Peintre, photographe, réalisatrice, Hélène Guétary offre à notre monde confiné un autre miroir. S’y reflètent le rêve, l’émotion et la poésie. Rencontre avec une artiste absolument essentielle.
C’est sûr, cette femme est d’ailleurs. Elle nous arrive d’un autre pays. Celui de l’enfance probablement, où tout fait sens. Où tout invite au rêve et au jeu, pourvu qu’on ait les bons yeux et l’envie d’y croire plus qu’un peu.
Le monde depuis un an s’est en partie éteint. Mais aux portes qui se sont closes et ont rétréci nos horizons, elle a répondu en ouvrant des fenêtres sur des paysages inédits, joyeux, peuplés de fantômes émouvants et mystérieux. Elle s’appelle Hélène Guétary. Ses oeuvres nous sauvent de l’ennui.
« J’ai toujours eu cette manière de m’exprimer, j’aime bien raconter des choses graves en déconnant ( sourire)… Et j’aime bien la poésie… J’aime questionner la réalité par l’imaginaire… Le monde m’emmerde donc je le regarde d’une façon poétique (sourire)…
J’ai commencé à mettre en scène les aventures de « Me, Myself and I » au bout de la première semaine de confinement… J’ai posté les premières photos sur les réseaux sociaux, et très rapidement c’est devenu une mission quotidienne parce que ça faisait rigoler tout le monde (sourire) ! Et moi, ça m’occupait…
Tous les matins, il fallait que je sorte ma photo, ce qui me demandait énormément de temps… Si bien qu’au lieu d’être désespérée devant ce monstre qu’est le Covid, j’étais occupée toute la journée. Et comme je faisais absolument tout, je m’amusais beaucoup (sourire)…
J’ai fait plein de choses dans ma vie, essentiellement autour de la direction artistique, donc je sais faire des costumes, maquiller… Je connais bien la lumière et les effets spéciaux… Je pouvais donc faire appel à tout ce que je sais faire…
Par contre, ce que je n’avais pas fait depuis très longtemps, c’était d’être dans le cadre et là, je me suis super amusée (sourire) ! Parce qu’il fallait que je joue chacun des trois personnages vis à vis de l’autre !… J’ai des souvenirs de rigolades terribles quand je dérushais les photos (sourire) ! »
« Ça m’a permis de garder mon équilibre et de partager… Il a créé du lien, ce travail… À cause des réseaux sociaux aussi… Une galerie, Basia Embiricos, a pris mes photos en décembre, des gens sont venus, ils étaient super contents de pouvoir sortir de chez eux, de discuter à nouveau… Et puis, des magazines s’y sont intéressés… Ça a été une source de rencontres pour moi.
Ensuite, au moment où on est sortis du confinement, il y a eu cette série sur les masques… Quand je suis sortie de chez moi comme tout le monde le 11 mai, je devais aller chez le dentiste, j’avais une rage de dents, et il y avait des gens avec des gants, du plastique partout, tout le monde masqué… C’était la première fois que j’étais confrontée à ça !
Quand j’ai eu cette vision horrible de ne plus pouvoir se toucher, se voir, de ne plus communiquer qu’avec les yeux, j’ai eu une envie violente d’exprimer le sens primordial du masque… Ce qu’il cache, ce qu’il révèle, raconte… Tout ce que le masque a représenté depuis la nuit des temps dans l’histoire des hommes…
Et donc, je suis partie sur cette beauté-là pour contrer la violence de ce qui se passait à l’extérieur… Je me suis dit : « On est obligés de porter des masques, on vit un moment de merde, ça va passer et il faut que je me rappelle tout ce qu’un masque représente de magnifique. » … Et j’y suis allée sans trop réfléchir, en rebondissant sur l’actualité.
Le jour de l’Ocean’s Day, j’ai fait quelque chose sur les océans… Le Printemps arrivait, j’ai fait une photo où j’étais complètement masquée avec des fleurs pour le faire venir… Chaque photo était une réaction à quelque chose…
J’en ai fait une où je suis peinte en noir avec un chapeau et un masque de la couleur du deuil, parce qu’on commençait à se rendre compte à quel point cette crise nous pique nos libertés…
En fait, la violence du monde qu’on traverse a fait surgir en moi un monde poétique pour contrer cette violence. »
« Après j’ai eu cette idée de mes fantômes, des visiteurs, des esprits du temps qui se manifestent partout… Ils débarquent dans des lieux qui évoquent quelque chose qu’on est en train de perdre… Comme l’illustration d’une certaine fragilité du monde.
J’ai commencé ce travail avec l’environnement, dans la mer, sur des falaises… Et puis, il y a eu le deuxième confinement et ce mot horrible de « non-essentiel »… Comment peut-on ? Qui peut se permettre de dire ça ??… Que lire un livre n’est pas essentiel !? »
« Donc, je suis allée avec mes fantômes à la Bibliothèque Nationale, au ministère de la Culture, au cinéma le Louxor et plus récemment au Palais de Tokyo… Des endroits que j’ai choisis non pas pour faire joli mais pour ce qu’ils représentent justement… Pour des raisons poétiques qui sont les miennes… Après, qui veut les lire les lit (sourire)…
Quand on est face à un drame, ou on s’écroule ou on va chercher des ressources profondes et on les laisse émerger, c’est ce que j’ai fait… On dit que le rire est la politesse du désespoir mais ce n’est pas seulement le rire, c’est aussi la poésie de la vie !… J’ai eu ce besoin viscéral de poésie. »
Sous les toits mansardés de son appartement, Hélène Guétary a rangé des malles qui recèlent mille trésors. De ceux qui n’ont pas de prix mais qui valent plus que tous les tas d’or. Des costumes incroyables et merveilleux dont elle a assemblé chaque pièce et imaginé chaque couleur, qui ouvrent au rêve et invitent à jouer tous les rôles. À croire qu’elle n’a jamais tourné le dos à son enfance.
Les mômes attendent généralement leurs parents à la maison avec leur baby-sitter, Hélène attendait les siens dans les coulisses des théâtres. Sa mère, Janine Guyon fut la première réalisatrice à la télévision. Son père s’appelait Georges Guétary, un géant de l’opérette dont elle se souvient notamment de l’avoir vu jouer Certains l’Aiment Chaud au théâtre du Châtelet, déguisé en femme dans une tenue dessinée par Pierre Cardin… Déjà des costumes, des histoires, des mises en scène, des lumières et des images.
Partie quelques jours en vacances à New-York à la fin des années 70, elle avait dix-huit ans, elle y est finalement restée douze ans. Elle s’y est liée d’amitié avec le grand photographe Patrice Casanova. Pour se marrer, ils composaient ensemble des tableaux vivants qu’elle mettait en scène. Faute de costumes, elle peignait le corps de chacun des personnages. Ils ont eu ensuite la bonne idée d’un livre, Skin Deep, que Fellini, émerveillé, a préfacé et qui posait les bases des mondes imaginaires d’Hélène Guétary.
C’est ce même onirisme foisonnant qui sera encore à l’oeuvre quelques années plus tard lorsqu’elle apportera sa touche à l’identité visuelle d’Arte. Le génial Alain Maneval en était le directeur des programmes, tout s’explique. On se souvient de ces courtes séquences qui à chaque heure nous racontait les peuples du monde. Et on n’oubliera jamais ces moutons qui à l’heure où on les compte venaient nous dire que la chaîne allait maintenant s’éteindre jusqu’à demain. Voilà qui tranchait aussi singulièrement que joyeusement dans le paysage cathodique.
Depuis ? Depuis, elle n’a cessé d’imaginer, de créer, de raconter. Tout à la fois illustratrice, romancière, réalisatrice, Hélène Guétary a ainsi fait le tour du monde avec pour seuls bagages, ses histoires, sa poésie et son sourire comme un soleil à vous faire oublier tous les hivers. Mais pourquoi s’encombrer du superflu quand on a déjà l’essentiel ? Elle confie d’ailleurs ne pas beaucoup aimer les gros boîtiers photographiques. Elle leur préfère l’agilité simple et astucieuse de son smartphone.
Hélène Guétary dit que son imaginaire ces derniers temps a sauvé sa vie. Il éclaire les nôtres d’un jour qui nous donne envie de croire encore à tous les autres. Et pour longtemps.
O.D