Arno, Sparklehorse, June The Girl sont les hôtes de choix d’une playlist exigeante et réjouissante. Oubliez les mauvais bruits du monde !
Un Belge en vaut Deux
C’est le cas d’Arno. Le 23 avril 2022, cette légende du rock européen décidait de se barrer, emporté par une saloperie de cancer du pancréas.
Après Opex, l’album posthume sorti en septembre 2022, la maison de disque s’est décidée à sortir Les Duettes, une compilation de tous les duos réalisés par Monsieur Arno.
Au programme, certains titres très connus comme Ils Ont Changé Ma Chanson avec Stephan Eicher, Supermarket avec Brigitte Fontaine, ou Jean Baltazaarrr avec B.J Scott. Ce qui ressort le plus, c’est l’éclectisme dont faisait preuve le rocker. Capable d’enregistrer Lèche Botte Blues avec Eddy Mitchell, Elisa avec Jane Birkin, ou encore la version folle du Téléphone Pleure, dont les paroles ont été furieusement transformées, avec sa compatriote Alice On The Roof.
Capable encore de travailler sur Au Cœur De Mon Pays, adaptation d’Heartland de Bob Dylan, avec Hugues Aufray, ou de retravailler ses propres morceaux comme Putain, Putain, transformé en une version dance electro avec Stromae, pas extrêmement séduisante.
Autre morceau qui laisse perplexe, L’Amour Suze, morceau signé du groupe de hip-hop belge Starflam sur lequel la voix d’Arno apparaît un peu comme une usine de pneus au beau milieu de la Lozère : on ne comprend pas ce que ça fout là ! De Mots, enregistré avec Julien Doré, laisse aussi assez dubitatif…
Heureusement, d’autres morceaux frôlent le sublime. La reprise de Je Me Repose de… Dalida (si si !) où la voix d’Arno est sublimée par le jeu de trompette d’Ibrahim Maalouf, avec une musique originale signée William Sheller, semble faite pour le chanteur.
On ressent la même chose avec la reprise de Non, je Ne Regrette Rien, avec le rappeur Guy Zwangere, auteur du premier album de hip hop néerlandais disque d’or.
La version de Brussels avec le groupe « afro bruxellois » Karavan est franchement extraordinaire. Les voix s’accordent et s’opposent à la fois, sans artifice. Comme l’adaptation de Just As You Are, de Robert Wyatt, enregistrée avec Yaël Naïm dont la voix fluide contraste totalement avec celle, enfumée, d’Arno, le tout accompagné par l’Orchestre National de Jazz.
Cet album est aussi à écouter pour la sublime version des Paradis Perdus de Christophe et le remix de l’inévitable La Paloma Adieu, version remixée avec Mireille Mathieu, la Jeanne D’Arc d’Avignon avec les cheveux façon Flamby.
Les Duettes prouve juste une chose : le plus grand rocker européen était aussi, probablement, le plus ouvert et le plus talentueux.
Arno : Les Duettes ( [PIAS] Le Label)
Mal-être et Chef d’Oeuvre musical
Autre album surprenant : Bird Machine de Sparklehorse. Derrière ce nom de groupe se cachait en fait un seul homme, Mark Linkous. Élu d’office leader au royaume des dépressifs, ce musicien surdoué, a finalement réussi à se foutre en l’air d’une façon radicale en mars 2010 : d’une balle dans la poitrine. Il avait, auparavant, essayé de passer de l’autre côté de différentes façons, dont une qui l’avait collée dans un fauteuil roulant durant plusieurs mois.
Affable et extrêmement courtois, il pouvait vous dire, sourire au lèvre et tristesse infinie dans le regard, en baissant la tête : « La vie est belle ». Cet album enregistré un an avant sa mort permet de retracer la carrière de ce génie trop méconnu.
Avec un morceau comme Kind Ghosts, il s’adresse à ses proches en leur demandant : « Où étiez-vous, mes gentils fantômes, quand j’avais besoin de vous ? ».
Avec O Child, il revisite sa vie, la mélancolie atteint un sommet. Le morceau aurait pu figurer sur plusieurs de ses précédents albums comme Distorded Ghost ou It’s A Wonderful Life. La voix, cette voix, vous envoûte, vous retourne, et finit par vous obséder. Le titre se finit dans une atmosphère angoissante, limite film d’horreur…
C’est sans doute pour contraster cela que le morceau suivant, Daddy’s Gone, est d’apparence léger. Un titre composé à l’époque où Linkous bossait ses compos avec un certain… David Lynch. Que ce soit les très noisy It Will Never Stop ou I Fucked It Up, la power pop de Chaos Of the Universe, ou le plus léger Evening Star Supercharger, Linkous savait tout faire, brillamment, avec finesse. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si certains morceaux de Radiohead, Muse, ou encore Beck semblent fortement inspirés de Sparklehorse.
Bird Machine n’est pas un bon album. C’est un chef d’œuvre.
Sparklehorse : Bird Machine (Anti- Records)
Agréables Terreurs
Tiens, si on allait faire un tour rapide du côté des vivants. June The Girl, donne dans l’électro pop depuis 2016. Assez méconnue, la chanteuse sait jouer de la guitare et compose ses morceaux. Son dernier EP, Welcome To My Terreurs, mélange pop légère et paroles surfant sur l’étrange, l’amour, la folie. Hello Mr Slender Man, référence au célèbre Slender Man, l’homme en noir sans visage synonyme de mort en cas de rencontre, se retient extrêmement bien. Peut-être est-ce dû à une sorte de nonchalance dans le chant qui ressort notamment dans Les Reasons Why ? La version acoustique du morceau en fin d’album est encore meilleure…
Quand on évoque les chanteuses française, les références sont parfois Jenifer ou Nolwenn Leroy… Oui mais non ! Là, June The Girl possède son propre univers, original, ses terreurs donnant dans le concept album.
Mention spéciale pour Cavale Au Bates Motel, morceau pop aux paroles qui font penser au film Tueurs Nés et qui pourraient figurer sur une BO d’un film de David Lynch. Lorsqu’elle dit : « Sans la musique j’s’rais en HP », on la croit parce que nous aussi. Et on lui répond qu’on a qu’une seule envie : partager toutes ses terreurs avec elle !
June The Girl : Welcome To My Terreurs (InTenSe ! Distribution Kuroneko)
Laurent Borde
Le Bonus de Tonton Borde, un mix chic et bien ourdi !