Musicien et marathonien, lorsqu’il court, Xavier Berlingen n’est qu’images et musiques. Avec lui, vous redécouvrez les plus beaux classiques.
Assis à mon bureau, je profite de l’instant présent, déconnecté des tracas de la vie quotidienne, pour me détendre en écrivant. Oui, je trouve cette période de fêtes de fin d’année particulièrement propice au temps qui s’arrête.
Une période qui commence par les décorations de Noël, les enfants émerveillés devant les vitrines, la joie des parents devant ces sourires émerveillés. Une période qui nous incite à nous replonger dans nos souvenirs d’enfance, à cette époque de notre vie où nous inventions facilement des mondes extraordinaires. Des mondes qui s’offrent encore à nous sous différentes formes et manières, comme par exemple l’écriture ou la musique.
Imaginons… En écrivant ces mots, je décide d’ouvrir la porte de l’un de ces mondes, celle-ci ne s’ouvrant qu’au son d’une musique. Aujourd’hui, c’est Camille Saint-Saëns qui m’en donne la clef…
Je me retrouve à Saint-Jean-de-Luz, sur la promenade longeant le bord de mer. Une sensation de bien-être m’envahit à la vue du ciel bleu, au ressenti du vent doux mais vif, au son des légères vagues s’échouant sur la plage. À ma droite, j’aperçois de dos, assis sur un banc, un homme distingué, plutôt mince, pas très grand. Le fait qu’il n’y ait que lui dans les environs m’incite à me rapprocher de lui. Arrivé à sa hauteur, je le reconnais et le salue : «Bonjour, Monsieur Ravel !» Celui-ci détourne son regard de l’horizon pour me saluer à son tour par un hochement de tête et un sourire.
Le remerciant du bonheur qu’il nous donne par sa musique, je lui confie qu’une de ses pièces, le Jardin Féérique a une place toute particulière en moi… Je ne sais pas pourquoi mais lorsque je l’écoute, je suis happé par elle, comme si Ravel l’avait écrite en plongeant sa plume dans l’encre de mon âme, comme si elle était le miroir de ma vie. À chaque fois que je l’ai jouée, la magie a toujours opéré. Bien qu’étant dans l’orchestre, je me retrouvais seul, détaché de mes collègues dès la première phrase…
https://www.youtube.com/watch?v=DTSey_og_hk
Cette œuvre existe également dans une version pour chœur moins connue mais pourtant vraiment belle, un vrai discours de voix célestes…
À observer Maurice Ravel, qui, après m’avoir écouté poliment, s’est de nouveau remis à scruter l’horizon, je m’interroge sur la façon dont il a le secret de créer ces univers qui nous ramènent à l’enfance. La première des réponses se trouve dans le fait qu’il y est lui-même très attaché. Il suffit de visiter sa maison de Montfort-l’Amaury, où il vécut les quinze dernières années de sa vie, et de porter son regard sur les différents jouets et objets miniatures qui s’y trouvent. Pour le reste, finalement, le génie ne s’explique pas, et tant mieux.
Le soleil commence déjà à décliner. Il est temps pour moi de repartir. Et pour m’accompagner sur le chemin du retour, je pense à une autre œuvre de Ravel qui dépeint non pas le coucher mais le lever du soleil…
Après les festivités de Noël viennent celles du nouvel An. Le 31 décembre à minuit, nous fêtons, tel un rite de passage, la naissance d’un nouveau cycle, moment porté par l’espérance d’un avenir meilleur pour tous. Vœu qui se traduit souvent par l’espoir de nouveautés… En me faisant cette réflexion, je pense à la Symphonie du Nouveau Monde d’Antonin Dvorak.
Le compositeur l’a écrite en quatre mois, de janvier à mai 1893. Ce qui est plutôt bluffant lorsqu’on connait la partition. Il occupait alors la fonction de directeur du Conservatoire de New-York. Cette œuvre est un hommage à la jeune nation de l’oncle Sam, en plein essor à cette époque.
On y retrouve, tout au long des quatre mouvements, des mélodies inspirées des musiques indiennes et negro-spirituals mais également des thèmes folkloriques slaves. Ce mélange d’inspiration entre l’ancien et le nouveau monde fait à mon avis toute la richesse de cette œuvre. À l’écouter, je me retrouve encore ailleurs…
New York le 7 mars 1928, la cantatrice mezzo-soprano Eva Gauthier est tout sourire. La soirée qu’elle a organisée chez elle en l’honneur du 53e anniversaire de Maurice Ravel se passe à merveille. Je me fonds dans la foule des invités en essayant une fois de plus de m’approcher de notre compositeur. Je le retrouve assis à écouter, fasciné, les improvisations d’un pianiste qui n’est autre que George Gershwin.
À l’issue de ses interprétations, et après des applaudissements chaleureux de tous les invités, Gershwin rejoint Ravel. Une discussion s’engage à travers laquelle il en ressort une admiration mutuelle. Gershwin aimerait beaucoup recevoir des leçons de composition du Maître Ravel, mais quand il lui en fait la demande, il essuie un refus bien compréhensible : «Cher ami, si vous travailliez avec moi, vous perdriez la grande spontanéité de votre mélodie pour écrire finalement du mauvais Ravel, ce qui serait dommage.» Et Ravel d’argumenter un peu plus sa réponse : «Vous, les Américains, prenez le jazz trop à la légère. Vous semblez y voir une musique de peu de valeur, vulgaire, éphémère. Alors qu’à mes yeux, c’est lui qui donnera naissance à la musique nationale des États-Unis»…
Gershwin ayant écouté avec intérêt les réponses de Ravel se propose de se remettre au piano pour jouer en l’honneur de ce dernier une pièce qu’il a composée 4 ans plus tôt et qui, justement, fait écho à ce qui vient d’être dit, Rhapsody in Blue…
En écoutant cette œuvre, je reprends mon chemin pour laisser ces deux géants de la musique à leur soirée. Je couche les derniers mots de la journée sur ma page d’ordi avant d’aller courir, car j’aime bien aussi courir en début de soirée, c’est une autre ambiance.
Mais en écrivant ces derniers mots et étant certainement encore un peu en voyage, je lève la tête et je vous vois, vous qui me lisez. Je vous devine étonnés. Je profite donc de cette rencontre inopinée pour vous présenter à vous et à ceux qui vous sont chers mes meilleurs vœux pour cette année 2020 !
Xavier Berlingen