Servie par trois jeunes interprètes talentueux, Radieuse Vermine est une pépite d’humour noir qui vous soumet à la tentation sans vous délivrer du mal. Même que c’est drôlement bon !
Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils sont vertueux. C’est suspect. Fleur et Olive, comme leurs prénoms invitent à le penser, forment un couple heureux, lisse et joyeux comme une pub pour le bonheur. Un heureux évènement est d’ailleurs prévu dans quelque temps. La petite famille va s’agrandir. Il faut penser à voir plus grand. Mais ils ne roulent pas carrosse et compte tenu du marché de l’immobilier, ça risque de coincer.
Une fonctionnaire du gouvernement, aussi charmante et maternelle qu’elle est inquiétante et qui étrangement les connaît par coeur, va heureusement leur proposer un deal incroyable en leur offrant une maison qui un jour finira par ressembler à leurs rêves. Et des rêves, Fleur en fait beaucoup. Beaucoup trop sans doute. La faute à ces revues qu’elle consulte, qui lui renvoient chaque jour le beau reflet de la vie idéale. Celle où on a tout et même plus.
Cette maison, c’est la seule condition, ils auront simplement à la rénover. Comment ? Là est la question. En y répondant, le britannique Philip Ridley a pris un plaisir qui fait notre régal. Radieuse Vermine règle sans trembler ni complexe le dilemme de l’être ou de l’avoir. Et nous confirme ainsi que le désir d’obtenir ne supporte aucune entrave à son assouvissement. Peu importent les croyances, les principes et les conventions. Dans la balance du moi-je-veux, même les droits de l’Homme ne font pas le poids.
Avec Fleur et Olive, on apprend aussi à ne plus pleurer du malheur des autres mais au contraire à s’en réjouir. Un SDF peut-être tellement utile. On en croise même une qui ne demande que ça, faire leur bonheur. La précarité, la misère, l’exclusion, l’auteur résout tous les problèmes. Avec une bonne louche de cynisme et ce qu’il faut de fantastique. C’est absolument immoral mais le pire, c’est que c’est drôle ! Terriblement. Et que ça fait réfléchir, sacrément.
©Jean-Marie Marion Louis Bernard-« Olive »
« J’avais déjà traduit une pièce de Philip Ridley, explique Louis Bernard, qui s’intitulait « les Petites Feuilles de Verre. » J’étais resté en contact avec lui. Un jour, il me dit : « Écoute, il y a cette pièce qui va être montée à New-York, c’est une comédie et j’en suis fier. J’aimerais que tu ailles la voir. J’y suis allé et ça a été un coup de foudre !
Elle touche tout le monde, tout le monde est concerné. Je l’ai donc adaptée et on l’a jouée pour la première fois en France en 2017 au festival d’Avignon, au théâtre du Chêne Noir.
Pour le situer, Ridley a écrit des pièces, des romans, des long-métrages. Il est aussi peintre et photographe. Il a sa propre galerie d’exposition à Londres…
… Il est toujours très engagé, ajoute Joséphine Berry, il a le souci de la profondeur. Il pratique un humour très très anglais, très noir, qui sort un peu du conformisme français. J’ai passé sept ans là-bas, ça ne fait pas longtemps que je suis revenue en France, et j’ai le sentiment qu’ici, on est plus consensuels. On ne veut pas tellement sortir de sa zone de confort. Pour aimer cette pièce, il faut aimer l’humour décalé et aimer rire de soi-même…
… Avec Radieuse Vermine, on est dans le surréel, précise Floriane Andersen, et on apporte une touche de surnaturel, parfois même de féérique. Même si les enjeux, très terre-à-terre, sont ceux auxquels on se confronte tous. C’est aussi pour ça que ça touche les gens. Accéder à la propriété, fonder une famille, avoir du bien matériel, se mettre à l’abri du besoin, ça peut nous pousser à faire des choses… horribles ! (sourires des trois) »
©Jean-Marie Marion Joséphine Berry-« Fleur »
D’abord victimes d’une époque qui invite sans cesse à consommer, au mépris des ressources naturelles dont on a bien fini par comprendre qu’elles ne sont pas renouvelables, sans se soucier du coût humain de ce toujours plus, Fleur et Olive deviennent ensuite et très naturellement des prédateurs avides et rapaces. Un peu comme nous tous, quand on y songe.
« C’est accepté, c’est admis. Tout le monde le fait, alors pourquoi pas eux ? s’interroge Louis. Et puis ils n’y pensent pas, ils n’ont pas envie, poursuit Joséphine, ils veulent surtout le dernier smartphone, la dernière paire de chaussures, la nouvelle cuisine design… Jouer des personnages qui sont tellement à l’opposé de nous, c’est ce qui fait qu’on a envie d’être acteur ! ajoute Floriane. Ça nous intéresserait pas de jouer la petite bobo végane du 13é arrondissement !! (rires des trois)
Oui, et quel kif de jouer ce rôle-là, souligne Joséphine, et en plus de faire passer des messages que je crois importants, de faire réfléchir les gens. Qu’en sortant, ils se remettent ne serait-ce que trois secondes en question… c’est exactement pour ça que je fais ce métier.
Et si la pièce est aussi vivante, c’est justement parce qu’on interpelle le public chaque soir et qu’il répond à chaque fois différemment. C’est lui qui donne son aval ou pas, et nous on doit jouer avec ça. C’est le public qui fait la pièce, conclut Floriane. »
©Jean-Marie Marion Floriane Andersen-« Luce » et « Laure »
Radieuse Vermine, une pièce pour rire de nous qui sommes capables du pire. Une fable sur le siècle encore jeune qui, sans qu’on se méfie, pose les vraies questions du moment en évitant de donner des leçons, portée en outre par trois jeunes interprètes qui n’ont rien à envier à pas mal de leurs aînés… on sort parfois au théâtre pour moins que ça.
Quant au décor qui vous surprendra peut-être par sa grande sobriété, doux euphémisme, il n’est pas sans renvoyer à ce que peut devenir une existence totalement dédiée à la consommation, qui ne se conjuguerait qu’avec l’auxiliaire avoir : un espace vide. Belle métaphore.
O.D
Radieuse Vermine, une pièce de Philip Ridley, adaptée par Louis Bernard et mise en scène par David Mercatali
Avec Joséphine Berry, Louis Bernard et Floriane Andersen
Pour la première fois à Paris, du mercredi au samedi à 19H
Au Petit Montparnasse jusqu’au 25 novembre initialement… mais prolongation jusqu’au 31 décembre !!