Vincent Perez : l’inconnu fait son adresse

Vincent Perez ne s'est jamais contenté d'être l'un des hommes très charmants du cinéma. Sourd aux lois de son physique, seul le mouvement dicte ses choix. Paris Bazaar

Vincent Perez ne s’est jamais contenté d’être l’un des acteurs les plus charmants du cinéma. Sourd aux lois de son physique, seul le mouvement dicte ses choix.

Il y a des gens comme ça. Qui donnent l’impression de traverser la vie avec grâce. Sans forcer, ni le geste ni le trait. Dont le seul charme naturel semble pouvoir effacer les obstacles et gommer les aspérités du quotidien. Des gens dont rien ne paraît devoir altérer le sourire. Vincent Perez a cette élégance d’un autre temps.

Son parcours, il l’écrit depuis plus de trente ans. Une cinquantaine de films dont il a souvent tenu le premier rôle, d’autres où il est simplement apparu. Populaires ou d’auteurs, des films de Régis Wargnier, Claude Pinoteau, Jean-Paul Rappeneau, Philippe de Broca, Hugh Hudson comme de Patrice Chéreau, Pavel Lounguine ou Raoul Ruiz. On n’oublie pas non plus Roman Polanski ni Bruce Beresford.

Ce n’est évidemment pas exhaustif, encore moins définitif, mais sa filmographie le raconte. On le croyait lisse comme Adonis bien parti pour s’abandonner à la facilité. On le voyait s’abonner à l’emploi du beau romantique, piégé comme Narcisse. Il était déjà ailleurs. Plus soucieux de sa propre vérité que des effets de son reflet. Et le cinéma, c’est en le découvrant à la télé qu’il en a eu le désir.

« Quand j’étais petit à Penthaz, en Suisse, il y avait cette télévision dans le salon. Et le soir, il y avait des émissions comme Cinéma Cinémas (conçue et produite par le réalisateur Claude Ventura, la journaliste Anne Andreu et le critique Michel Boujut-ndlr), ou le Cinéma de Minuit ou encore les Dossiers de l’Écran. Chaque fois que j’en entendais le générique, tout de suite je me disais : « Il va y avoir quelque chose d’important qui va se passer (sourire) !! » C’est comme ça que j’ai découvert les films de Costa-Gavras par exemple.

Et avec le Cinéma de Minuit, la révélation absolue, quand j’ai vu les Sept Samouraïs de Kurosawa, ça a été un choc !! Et puis ensuite, ça m’a traumatisé (sourire), quand j’ai vu James Dean ou Marlon Brando… Tu te dis : « Mais c’est extraordinaire ! »

Donc en fait, c’est à travers la télévision de mes parents, tout seul dans le salon, quand ils partaient dîner, que j’ai découvert les grands chefs d’oeuvres du cinéma. C’est ensuite, en les découvrant sur grand écran que j’ai saisi toute leur beauté.

Comme les Valseuses par exemple. Non seulement c’est un film incroyable qui transgresse les conventions de son époque et sans doute plus encore celles d’aujourd’hui, mais la lumière de Nuytten, alors tout jeune chef opérateur, est juste à tomber tellement elle est belle !! »

Vincent Perez-l'inconnu fait son adresse-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Avant de percer au grand écran, avec notamment le si beau Cyrano de Rappeneau où il prêtait sa beauté solaire à Christian de Neuvillette, Vincent Perez a pris le temps des planches. Le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris et puis l’école des Amandiers de Nanterre. Le Centre Dramatique National était alors dirigé par Patrice Chéreau, qui a su y faire éclore des talents magnifiques.

« Passer chez Chéreau, ça change une vie… sans hésitation. Ça nourrit, surtout ça éveille. Ça ouvre, ça met en danger. Ça bouscule et ça fait peur aussi parce qu’il y a toujours ce rapport avec la mort dans l’oeuvre de Patrice… (silence)

… D’abord, il était beau, très très beau. J’ai revu des images de lui à l’époque où on avait joué Hamlet dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, je me suis rendu compte à quel point il était beau. Il était extrêmement masculin, très viril même s’il avait un côté très féminin aussi.

Il était fascinant de charisme. Comme l’étaient les chemins de sa pensée. Il nous embarquait dans sa réflexion et il nous accompagnait. C’est ce qui était formidable. Il n’avait pas les solutions mais on les cherchait ensemble. Et une fois qu’on avait l’impression d’avoir trouvé quelque chose, il fallait pratiquement tout déconstruire pour repartir à zéro. En fait, la notion du travail avec lui, c’était plutôt la recherche ensemble, pas de trouver ensemble. On était toujours dans cette idée de recherche. C’était très agréable.

Moi, je me souviens beaucoup du travail du corps. Dans la Reine Margot, j’ai physiquement souffert. Jusqu’au sang. J’étais couvert de cicatrices à la fin du film. Ça avait duré des mois, c’était un tournage très long. J’avais des combats, j’avais les ongles qui sautaient tellement on cognait fort. J’étais à poil la plupart du temps. Pour la nuit de la Saint-Barthélémy par exemple, j’arrêtais pas de tomber, je n’avais pas de protections. Mais ça faisait partie de ce rapport qu’il avait au corps.

Et puis, en même temps, c’était touchant, il avait un côté un peu midinette. Il était parfois en admiration devant certains acteurs ou certaines actrices. Je me souviens de Jacqueline Maillan. Ça l’humanisait. Je me souviens aussi qu’on riait beaucoup avec Patrice. J’ai des photos du tournage de la Reine Margot, où on dansait ensemble, on déconnait (sourire) ! »

Vincent Perez-l'inconnu fait son adresse2-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Après Chéreau et cette famille dont il s’est toujours senti un peu l’outsider, Vincent Perez a poursuivi sa route. Elle l’appelait plus que ne lui parlait l’esprit de troupe. Demeurent bien-sûr des liens forts avec Dominique Banc, Bruno Todeschini, Marc Citti, Pascal Greggory ou Thibault de Montalembert mais tous, comme lui, sont ensuite allés de l’avant. Et c’est en solitaire qu’il a choisi de continuer à tracer sa route, refusant le confort que peut pourtant offrir de ne pas trop risquer.

« C’est comme ça que je fonctionne. Il y a cette phrase de la photographe américaine Diane Arbus que j’aime beaucoup qui disait : « Ce qui me plaît c’est d’aller là où je ne suis jamais allée. » Ce dont j’ai besoin, c’est ça. C’est d’aller là où je ne suis pas encore allé. Sinon ? Sinon, ça n’a plus de sens. 

C’est un peu ma difficulté d’ailleurs (sourire). Parce que les gens aiment bien être rassurés de voir l’acteur toujours dans ce qu’il sait faire. Comme dans une série. Pendant deux ou trois saisons, on connaît, on sait où on va, on aime y retourner. Alors que moi, justement j’aime aller dans des endroits vierges, qui vont me faire découvrir quelque chose. 

J’imagine que c’est pour ça que j’aime voyager. C’est pour ça que tout d’un coup, j’aime faire une bande-dessinée (La Forêt, 4 tomes, qu’il a scénarisée et dessinée par Tiburce Oger, aux éditions Casterman-ndlr), me remettre à la photo et aller photographier le Bolchoï, traverser la Russie et découvrir une Russie que je ne connaissais pas, à la frontière de la Mongolie (Un Voyage en Russie, avec les textes d’Olivier Rolin, paru chez Delpire Éditeur).

C’est comme ça que je me suis retrouvé à discuter avec un lama dans son datsan (centre d’études boudhistes-ndlr) du mystère entourant la dépouille du khambo lama Dachi-Dorjo Itigilov, qu’on a retrouvée intacte après 75 ans ! »

Vincent Perez-l'inconnu fait son adresse3-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

On est effectivement assez loin du microcosme parisien, de ses coteries et de ses affèteries. Et on est à peine surpris qu’il ait eu aussi l’envie de porter à l’écran l’histoire d’Otto et Elise Hampel, simples ouvriers allemands devenus résistants et exécutés en avril 1943 par les nazis. « Seul dans Berlin » , son troisième long-métrage, quatorze ans après le très beau Peau d’Ange, est sorti en 2016 et lui aura demandé de bouger des montagnes. Mais tout petit, Vincent Perez les regardait déjà dans les yeux.

Il est aussi le fondateur et le président du passionnant festival Rencontres 7é Art de Lausanne. Christopher Walken était au nombre des invités de la première édition. Un souvenir majuscule. La deuxième réunira bientôt Agnès Jaoui, Jean-Jacques Annaud, Jean-Paul Rappeneau, Paul Auster, Mat Dillon… entre autres. Même le rare et taiseux Joel Coen a dit oui. À se demander d’ailleurs si quelqu’un sait seulement dire non à Vincent Perez.

Dans les premières pages de la Forêt, il prend le lecteur par la main et lui parle d’un temps d’avant le nôtre. « Là où le savoir de l’homme s’arrête, là où celui des rêveurs commence. Un temps que seuls les magiciens peuvent comprendre. » Il vient de ce temps-là, Vincent. De ce monde inconnu. Et il y retourne souvent. Dès demain, probablement. Toujours en mouvement.

O.D

Ceux qui aiment le cinéma prendront le train.

Les autres prendront le temps de découvrir le programme des Rencontres 7é Art de Lausanne.

Du 7 au 10 mars 2019.

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