Elle écrit, joue et chante. On ne voit que sa beauté, on distingue mal l’inquiétude qui l’anime. Douce et cash à la fois, Helena Noguerra travaille sa voie.
On ne va pas se mentir mais au risque de surprendre, c’est d’abord son sourire qu’on regarde. Ensuite ? Ensuite aussi. Il est immense et désarmant. On se sent devenir tout petit et, une fois n’est pas coutume, presque intimidé. On n’a pourtant pas l’émotion trop facile. Il y a tellement de douceur et de bienveillance dans ces yeux-là qu’on se demande si, des fois, il leur arrive de se voiler de colère. Helena Noguerra ouvre ensuite la parenthèse et les mauvais bruits de l’époque miraculeusement s’estompent.
Mannequinat, chanson, télévision, cinéma, théâtre, elle n’a jamais cessé tout au long des années qui ont jusqu’ici jalonné sa carrière, d’écrire, de tenter, d’explorer, d’avancer. On l’a vue, entendue, écoutée, découverte et redécouverte. On la voyait belle sur papier glacé, elle avait aussi beaucoup à dire et tellement à raconter. Elle court, elle court Helena. Mais pourquoi ? Et après quoi ?
« Ah…(sourire)… Qu’est-ce qui me fait courir ?… S’il s’agissait de nourriture, on dirait que je suis boulimique. Donc, il doit y avoir une névrose. C’est une peur, une angoisse. Il faut que je fasse diversion. Il faut donc que je fasse beaucoup de choses. Et plutôt que d’être une comédienne qui attend que quelque chose ou quelqu’un sonne à sa porte, je fais de la musique. Et quand la musique ne marche plus, j’écris. Je fais toujours quelque chose.
… Je suis vaillante. Les choses ne viennent pas à moi, je construis, je vais taper aux portes. Quand j’écris, personne ne me le demande. Il faut toujours que je prouve. Les gens sont surpris de me voir jouer au théâtre, « Ah, tiens, elle sait jouer ! » Surpris de m’entendre chanter, « Ah, mais elle chante bien ! Et c’est bien ce qu’elle écrit ! » En fait, à cinquante ans bientôt, je suis une éternelle débutante pour tout le monde. C’est très amusant (sourire).
Mais je fais tout sérieusement. J’y vais à chaque fois sans cynisme et sans me moquer de ce qui se passe. Je me dis que je peux en tirer quelque chose, apprendre de ça. Je travaille, je suis laborieuse. On dit qu’on n’a qu’une vie, j’aimerais en avoir mille. Si c’était possible, j’aimerais être architecte ou coureur automobile pendant un mois. Mais je n’ai pas ce savoir-faire. Le seul que j’ai, c’est de raconter des histoires. Quel que soit le support. Au fond, je fais toujours la même chose, je raconte des histoires. Je suis un griot (sourire). »
Les histoires d’Helena se tissent et s’écrivent autour du même thème. L’Amour. Depuis le temps que le sujet inspire, et qu’au minimum tout a été dit à son endroit comme à son envers, ce grand pays du tendre qu’on croyait balisé sinon cartographié, reste pour elle à explorer. Comme la passionnent son mystère et ses énigmes.
« C’est fascinant. De voir déjà comment les gens se débattent dans leurs histoires d’amour, les fameuses. Qu’est-ce que c’est l’Amour ? Est-ce que c’est une chimère ? Est-ce qu’on l’invente ? Qu’est-ce que c’est aimer l’autre ? Quand est-ce qu’on l’aime vraiment ?… J’adore.
On change tout le temps d’avis, ce qui est vrai maintenant sera faux dans cinq minutes. Aujourd’hui, à 49 ans, qu’est-ce que j’en pense ? Je forme une hypothèse. Comme je n’ai plus besoin de construire ni de me reproduire, il est peut-être maintenant question d’amour. Quand je rencontre quelqu’un, est-ce que j’aime ce qu’il est ? Ce qu’il raconte ? Plutôt que de me donner l’illusion.
Parce que tu rencontres une personne mais tu ne la connais pas. Tu projettes quelque chose. Et tu te dis : « Je l’aime ! » Mais non ! On va attendre un peu, on va voir qui est là. Je vais d’abord me demander si j’aime ce qu’il raconte, si j’aime ses valeurs et non me borner à penser : « Oh, avec l’amour, ça va changer ! » Et puis, des fois on désire mais on n’aime pas, on confond. D’autres fois, on aime et le désir vient après… Aimer l’autre, c’est un vrai truc ! Mais je n’en sais rien, au fond. Je n’ai que des hypothèses… C’est passionnant (sourire). »
Helena Noguerra ne se souvient pas avoir un jour défini un plan qui serait venu étayer sa carrière. Enfant, elle réglait la mise en scène et les chorégraphies des spectacles de ses fins d’années scolaires mais sans se projeter plus loin, sans imaginer que le monde des arts et du spectacle serait plus tard aussi le sien. Quand Lio, sa soeur aînée, a commencé à fréquenter assidûment les cimes du succès, elle traînait son ennui sur les bancs de l’école.
Sa beauté lui a offert de mettre un terme à ce calvaire. Happée par la mode, elle dit avoir alors sauté dans le premier wagon. Ce n’est que plus tard qu’elle en a mesuré les limites. Mais il y a chez elle cet instinct, une inconscience qui fait sa force, d’aller là où on ne l’attend pas, sans se perdre dans des histoires d’ego et de nombril. Elle n’a peur de rien, Helena. Surtout pas du regard des autres. Pour tout dire, elle s’en fout de ce qu’ils en pensent ou non. Elle ne s’excuse pas plus qu’elle ne demande la permission, elle y va. Au culot s’il le faut et elle n’en manque pas.
Alors la mode et puis la chanson avant que ne viennent le cinéma et le théâtre. Même si paradoxalement, elle ne se sent d’aucune famille en particulier et se vit plutôt à la périphérie des milieux qu’elle côtoie pourtant. Elle ne comprend pas bien d’ailleurs ces histoires de papiers et de frontières. Elle en retient surtout les murs qu’ils dressent entre les gens. Elle est de son temps et d’un autre, et reste convaincue que c’est la peur qui mine le monde. Celle de l’autre et de ses différences.
Rompue aux codes de son métier, elle s’étonne quand-même des figures qu’ils imposent. Comme cet entretien et ce jeu des questions-réponses qu’elle jugerait presque absurdes, mais auxquels elle se prête malgré tout sans rien esquiver. Elle se trouve décousue et bavarde, elle est prolixe, claire et passionnante. Drôle aussi, juste sans filtre.
Elle est libre, Helena. Sa première héroïne s’appelait Angélique. La marquise des anges. Celle qui aimait un boiteux balafré et disait merde au roi. Elle lui a autant appris que beaucoup de livres de philo. Elle pense que si les hommes ont pris beaucoup de place, il revient aux femmes de prendre la leur. À elles de jouer, d’agir et de revisiter l’idée qu’elles se font d’elles-mêmes. Qu’elles arrêtent par exemple de tourner des clips en secouant leurs culs. Qu’elles cessent de penser les hommes comme leur tout, leur toit.
La marche du monde ne la rassure pas. Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil, cette régression qui se confirme, ce recul qui s’amorce. Et les moins forts qui en paient déjà le prix amer. Comme si l’humanité n’apprenait pas, ne retenait rien, pense-t-elle. On se dit que même par mauvais temps et vents contraires, Helena saura néanmoins garder son cap de bonne espérance en accrochant toujours un peu de joie à ses semelles.
Comme celle que lui a procuré cette saison d’être en tournée avec les Parisiennes, la comédie musicale produite par Laurent Ruquier. Comme Nue, ce bel album de bossa-nova en français dans le texte, paru au printemps dernier, petit frère d’Azul sorti en 2001. Il y a aussi ce conte musical pour enfants qu’elle aimerait bien voir enfin sortir des tiroirs où il repose. Réalisé avec Ibrahim Maalouf, il sommeille depuis bientôt six ans.
« On sait pas où le mettre (rires) !! On l’a fait avec beaucoup de fougue, on a tout construit mais on a trouvé zéro preneur. Il est là. Il dort. Il est comme la Belle au Bois Dormant (sourire). Il faudrait que quelqu’un l’embrasse… ah mais non, la Belle au Bois Dormant, c’est terminé. Il l’embrasse pendant qu’elle dort, c’est du harcèlement ! (rires) »
O.D
Nue, le sixième album solo d’Helena Noguerra, paru chez BMG, toujours disponible chez votre disquaire. Et s’il ne l’a pas ou plus, changez de disquaire, pas de projet !