Musicien et marathonien, lorsqu’il court, Xavier Berlingen n’est qu’images et musiques. Avec lui, vous redécouvrez les plus beaux classiques.
Sur le quai de la ligne 9, j’observe les personnes se trouvant autour de moi. Ils ont tous une tête déconfite. Il faut dire qu’il est difficile actuellement d’avoir la banane lorsqu’on doit se déplacer sur Paris. Oui, l’heure n’est pas à la bonne humeur… humeur, mot que les anglais nous ont emprunté dès le 16e siècle pour nous le rendre au 18e siècle sous une autre forme et un autre sens, celui de l’humour. Et justement, de l’humour, on en a grandement besoin ces derniers temps.
Tout comme la musique, l’humour nous permet de prendre du recul sur la réalité en la traitant sous un revers insolite et ironique. Un état d’esprit qui chez certains se révèle être une véritable philosophie de la vie. Le compositeur Jacques Offenbach était de ceux-là…
Novembre 1833, Jacques marche dans la rue Bergère pour se rendre au Conservatoire de Paris. Il a alors 14 ans. Bien qu’il compose depuis l’âge de 9 ans, c’est pour son talent exceptionnel de violoncelliste qu’il y est accepté. Mais, ayant du mal avec la discipline et le travail scolaire qui lui sont demandés, il n’y restera au bout du compte qu’une année. Il rejoint alors l’orchestre de l’Opéra-Comique et c’est là, en tant que musicien d’orchestre, qu’il commencera son véritable apprentissage de compositeur.
Plutôt turbulent, Jacques est en fait un vrai déconneur. D’ailleurs, ses collègues de pupitre en font les frais, à tel point qu’il se fera sanctionner plusieurs fois par le retrait de sa paye.
À 20 ans, il entamera une vie de soliste dont la notoriété ne cessera de grandir tout au long d’une décennie jusqu’à le faire voyager en Europe pour divers concerts. C’est au cours de cette période de sa vie, à l’âge de 28 ans, qu’il écrira pour son propre usage son Grand Concerto pour violoncelle. Partition qui nous fait deviner la dextérité qu’il devait avoir sur l’instrument, car je peux vous l’assurer, cette pièce est foutrement difficile…
Pour autant, le succès du violoncelliste n’arrive pas à apaiser la soif créatrice du compositeur. Bien qu’il soit déjà à cette époque reconnu dans les salons à la mode pour des mélodies que l’on définirait aujourd’hui de chansons, ses compositions d’opéra n’intéressent personne.
À 31 ans, il prend le poste de directeur de la musique à la Comédie Française, dirigeant l’orchestre pendant les intermèdes musicaux, ce qui lui permet de développer encore un peu plus sa connaissance de la scène.
N’arrivant toujours pas à ce qu’un directeur de théâtre parisien accepte de le mettre à l’affiche, il finit au bout du compte par s’installer à ses frais, à l’âge de 36 ans, dans un petit théâtre sur les Champs-Elysées qu’il baptise « Les Bouffes-Parisiens », et se produit lui-même. Sa persévérance sera très vite récompensée par le formidable succès de ses opéras, qui ne cesseront d’être joués jusqu’à aujourd’hui. Parmi eux, j’avoue avoir un faible pour la « Belle Hélène »… Pas vous ?
À bien des égards, Offenbach n’aurait pas été dépaysé s’il avait vécu de nos jours. Il a en effet créé sa troupe de la même façon que celle créée par la troupe du Splendid, dont le théâtre fut ouvert dans les années 1970 dans l’arrière-salle d’un bistrot rue des Lombards. Il a été entrepreneur et producteur de la troupe des Bouffes et correspondait plus à l’image des artistes d’aujourd’hui que ceux de son époque.
Il a également eu l’intelligence de rassembler en un tout artistique ce qu’il aimait, à savoir la musique, le théâtre et l’humour. Il a ainsi inventé un genre, l’opéra-bouffe, mélange de scènes chantées et de dialogues parlés dont les thèmes traités ne le sont que sous l’angle humoristique. Genre qui fera de lui une véritable star de son siècle.
Enfin, j’ai toujours personnellement aimé l’humour fait avec élégance, et de l’élégance, Jacques en avait. Jugez plutôt. Un jour, il se fait accoster par un mendiant qui lui demande une pièce. N’ayant rien sur lui, il entre dans un bureau de tabac, demande une feuille de papier et un crayon, trace à la hâte des portées, improvise un morceau de musique et le signe. Il donne la feuille de papier au mendiant et lui dit : « Va chez le marchand de musique, et garde la monnaie… », classe, non ?
Je reviens sous terre. J’en ai marre d’attendre un métro qui ne vient pas. Sortant à l’air libre, je tombe sur deux jeunes, leur JBL branchés sur du RAP. Vu leurs tête, ils ont l’air de prendre leur musique au sérieux. Les observer me fait penser à deux rappeurs croisés sur la toile. Dotés d’un sacré sens de l’humour, ils dénotent en outre par leur originalité dans ce style de musique. Ils ont en fait tous les deux soixante-dix ans bien tassés ! N’empêche qu’ils sont bons dans leur genre. Voyez plutôt…
N’étant tout compte fait pas si loin de l’Étoile, je décide d’y aller à pied. J’ai de toute façon toujours aimé me diriger vers les étoiles…
Xavier Berlingen
Pour le plaisir de prolonger et inversement :
Le nom d’Offenbach est indissociable de l’opéra-bouffe, genre qu’il a inventé. Son œuvre reflète la joie de vivre et l’insouciance de l’époque (écouter le Cancan extrait d’Orphée aux Enfers). Cependant, sous couvert de l’humour, elle n’en véhicule pas moins une certaine profondeur : critique politique, observation des mœurs, réflexion sur le destin.
Jacques Offenbach a littéralement régné sur la scène musicale du Second Empire. En 1857, il est acclamé à Londres où il se produit avec sa troupe. En 1858, il réalise son premier grand spectacle : Orphée aux enfers. Malgré un parfum de scandale, cette pièce finit par s’imposer. En 1860, le ballet Le Papillon fait très bon effet et l’air de La valse des rayons est très célèbre. Désormais les chefs-d’œuvre se suivent : La Belle Hélène (1864 : écouter le Couplet des Rois), Barbe Bleue (1866), La Vie parisienne (1866), La Grande duchesse de Gerolstein (1867). La Périchole, opéra romantique, aura moins de succès.
Mon cher filleul , si je devais baptiser tes rubriques ce serait sous le générique « De l’archet à la plume »… et je dirais que cette dernière est prometteuse et ne peux que te féliciter et t’encourager à poursuivre.
Le parrain voyageur
Plaisant article, agréable rédaction, toutefois entachée par une vilaine faute, hélas fort courante : vous dites des deux rappeurs qu’ils « dénotent » par leur originalité dans ce style de musique, alors qu’ils DÉTONNENT (avec deux n) car n’étant pas dans le ton. Néanmoins , vous écrivez joliment bien et je vous pardonne !
Avouez tout de même que « dénoter » correspond mieux au langage du musicien que je suis que « détonner ». Néanmoins votre remarque linguistique étant des plus fondées, je ne peux qu’en prendre bonne note!
Vous souhaitant une excellente année 2020,
XB