Arno : l’Urgence de Vivre

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Accompagné du pianiste Sofiane Pamart, Arno vient de sortir Vivre. Un nouvel album qui sonne comme un testament. Puissant et sublime.

Les jours ont beau rallonger, ils s’assombrissent malgré tout. Le soleil revient, les terrasses sont rouvertes, la bière est fraîche… « Qu’est-ce qu’il te faut de plus, mon Boulet ? » allez-vous me demander avec ce sourire légèrement moqueur que je devine d’ici… Ben, c’est pourtant simple ! Juste de la bonne musique. Sauf que l’artiste auquel nous allons consacrer cette chronique n’est pas franchement le roi du « youpla boum ! ». Du moins pas en ce moment… Et on le comprend avec ce qu’il vient de subir.

Son nom, il le signe de la pointe de son micro, d’un A qui veut dire Arno. Oui, Arno. Le chanteur belge hors normes. Le chanteur dont le bégaiement, causé par une timidité extrême, est source de moqueries ridicules et déplacées de la part de certains animateurs télé dont la culture musicale se limite aux artistes de la rive gauche, apparemment clean et bon chic bon genre, malgré la poudre blanche planquée dans la poche droite de leur manteau. 

Arno, c’est avant tout un rocker qui a quasiment cinquante piges de carrière au compteur. Contrairement à d’autres, lui n’a jamais dévié de la ligne sex and drugs and alcohol and rock’n’roll. Il ne s’en est jamais caché non plus. Sauf qu’à force de multiplier les excès, il les paie aujourd’hui.

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En novembre 2019, il apprend qu’il a un cancer du pancréas. Fatigué, usé, et malade, il annule alors plusieurs concerts en France, en Suisse, et aux Pays-Bas au début de l’année 2020. Par la suite, il prend un traitement et se fait opérer fin 2020, avant de subir une nouvelle rechute due à un traitement de chimio mal supporté. Très amaigri, il doit à nouveau être hospitalisé pour subir quelques examens. 

Début 2021, Arno s’enferme avec le jeune pianiste surdoué Sofiane Pamart dans un studio d’enregistrement. Collaboration pour le moins étonnante puisque le musicien lillois, âgé de 31 ans, a beaucoup travaillé avec de nombreux rappeurs, dont le belge Scylla, ou les français Koba LaD, Vald, et SCH. Les deux artistes se sont rencontrés grâce à un troisième larron : Kenny Gates, co-fondateur du label PIAS.

Depuis qu’il a vu une émission à la télé française dans laquelle Gainsbourg interprétait seul au piano Parce Que d’Aznavour, le patron de la maison de disques belge se met à rêver de créer une collection brute de décoffrage. De l’acoustique piano voix, jouant sur l’émotion. Lui vient alors une folle idée, de croiser des artistes aux univers totalement opposés. Bien lui en a pris. 

Après un essai qui a duré une heure, Arno et Sofiane Pamart se sont aussitôt mis au boulot. Ensemble, comme ils ne sont pas là pour enfiler des perles, ils redonnent une nouvelle vie à quatorze titres d’Arno. Quatorze titres qui sont autant de magnifiques et émouvants témoignages.

Le Belge se dévoile, se défroque, sans pudeur mais avec une simplicité et une beauté folle. Il aborde à de nombreuses reprises le thème de la maladie comme avec Je Veux Vivre ou Solo Gigolo. D’autres morceaux comme Santé, Help Me Mary, Tatouages Du Passé, ou La Vie Est Une Partouze, qui commence comme une ritournelle pour enfants et qu’il termine a capella, lui permettent de faire une sorte de bilan d’une vie dont il a bien profité. 

La virtuosité de Pamart, premier prix de conservatoire de piano, met en exergue la force des paroles. Chacun reste à sa place. Il n’y a pas de star, pas de rôle joué. Ici, les deux artistes sont dans la pureté musicale. Quand Arno interprète Les Yeux De Ma Mère, les yeux commencent à s’embuer. On vacille, on titube, on écoute, on admire. Cette version piano-voix est encore plus forte que celle qu’il interprète de la même façon sur scène.  Sublime et puissante.

Quand il chante Dans Mon Lit, c’est encore plus dur. Une sorte de brume ultra épaisse s’installe. Sofiane Pamart, excelle, désintègre le morceau en toute beauté pour le rendre follement triste. Arno ne chante plus. Il récite. Comme s’il dévoilait une sorte de confession intime et terriblement noire. Comme dans Give Me The Gift où sa voix est terriblement triste, presque tremblante.

Arno a aussi sans doute voulu contrebalancer un peu en ajoutant Nous Deux, Putain Putain et Quelqu’un A Touché Ma Femme. Trois morceaux à son image, sympas et drôles, même si le fond reste terriblement noir. Au contact de ce chanteur, on se sent bien. Je le sais, je l’ai croisé.

Et je me souviens d’un vrai gentil. Un homme affable, drôle, barré, et tellement touchant quand il vous prend dans ses bras ou qu’il vous fait la bise. Il suffit de lui dire qu’il est une rock star pour qu’il réponde aussitôt : « Mais pourquoi tu dis ça ? » Et que dans la foulée, à l’époque, il se recommande un énième breuvage à base de houblon en allumant un clope. 

Avec Lonesome Zorro et Elle Adore Le Noir, Arno excelle. On s’enfonce davantage dans la tristesse et la mélancolie, sans s’empêcher de penser à cette salope de grande faucheuse qui semble rôder autour de lui. Ce n’est peut-être pas un hasard si cet album est sorti le 21 mai, jour de son 72ème anniversaire, histoire de fêter ça en grande pompe à un moment pas forcément facile pour lui. 

Certes, il fait du neuf avec du vieux. Certes, il fait du très noir avec du gris.  Certes, tous les morceaux ont déjà été enregistrés sur les albums précédents. Mais une chose diffère : ils n’ont jamais eu autant de force et n’ont probablement jamais été aussi envoûtants et surprenants.

Plus que des chansons, il s’agit là d’un véritable rapport de force avec l’inévitable, la fin du chemin. Jamais Arno n’aura sorti un album aussi beau. C’est de l’émotion pure. À la fois brutal et génial. Même si cet album sonne comme une sorte de testament, on ne souhaite qu’une chose : revoir très vite Arno sur scène et surtout, en pleine forme. Revoir Arno vivre ! 

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Comme si ça ne suffisait pas, le 29 avril 2021, Paul Couter, avec qui Arno a joué au sein du groupe Freckle Face en 1972, puis monté le duo Tjens Couter (contraction des deux noms Arno Hintjens et Paul Couter), et surtout le légendaire TC Matic, est décédé le 27 avril à 72 ans…

Le rock belge est triste. Le rock tout court est triste…

Laurent Borde

Arno et Sofiane Pamart : Vivre / PIAS (Collection Parce Que)    

 

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