Quand Thomas Croisière s’Amuse, le Ciné File et on Jubile !

Avec Voyage en Comédie, Thomas Croisière signe un seul en scène érudit et jubilatoire qui dit tout son amour du cinéma populaire et sa joie de le transmettre. Un spectacle comme une gourmandise, qui se démarque et embarque.

 

C’est le genre de zigue qui vous sort du vague que l’époque vous colle à l’âme. À la débine systémique, au flingage systématique et aux sarcasmes de posture qui annoncent les esprits tristes, le garçon préfère les mots joyeux, les adjectifs enthousiastes qui font sa carte du tendre.

Le temps d’un spectacle passé trop vite, comme souvent quand on se fait du bien, Thomas Croisière livre la géographie d’un monde oublié qu’on n’avait pas fréquenté depuis l’enfance.

C’était le temps du grand film du dimanche soir à la téloche quand on avait la permission, du ciné le mercredi et le samedi quand la place était à douze, quatorze balles. On s’en bouffait de la péloche et du CinémaScope ! On en redemandait de la comédie, du polar et de l’aventure !

Parfois, souvent, l’affiche nous induisait en erreur. Ou alors, on se gourait de file et on s’infusait des nanars. Mais on s’en foutait, on les aimait bien eux aussi. Sans avoir l’âge d’avoir déjà goûté aux grands crus, on avait le pressentiment que ces piquettes sans prétention allaient forger notre cinéphilie. Oui, on avait déjà le sens de l’alibi.

C’était un temps qu’ils étaient quelques fameux à habiter. Belmondo, Delon, Constantin, Noiret, Marielle, Blier, Lefebvre, Richard et Guybet… Giraud, Robert, Lautner, Enrico, Verneuil, Oury et Zidi…

Les Charlots, que couvait Fechner, jouaient les bidasses et Seller était leur adjudant Bellec. Max Pécas foirait un peu beaucoup ses gags mais il y avait toujours chez lui un nichon ou deux à reluquer, et ça faisait la blague.

Philippe Clair se faisait dézinguer au lance-flammes par les critiques bien mis, mais moissonnait suffisamment de blé pour les envoyer se faire cuire le cul et persévérer dans le pire où il était le meilleur. Notez qu’il avait un atout majeur, avec Aldo la Classe dans son jeu, il faisait poker à chaque partie. Et il nous faisait marrer, Maccione…

Évidemment, on en oublie. Mais c’est ce temps-là qu’il revisite, l’artiste. C’est vers ce monde et ses rivages qu’il nous emmène en croisière, Thomas.

Avec un art consommé du récit et de l’anecdote, avec truculence et drôlerie, au fil de ses souvenirs qui sont aussi les nôtres, il nous raconte mille histoires incroyables de ce cinéma qu’on dit « populaire » , même que certains et certaines le prononcent avec parfois comme une arête dans la glotte.

Le « cinéma populaire » , qu’importe l’étiquette et le pedigree, le cinéma qu’on a toujours aimé et qu’on aime toujours depuis. Même si des fois, au hasard d’une redif’, revoir certains films du jus pique un brin, et pas que les yeux.

Un pays à part entière, en tout cas. Dont on se transmet les bonnes adresses, les chemins de traverse et les sites pittoresques de génération en génération. C’est d’ailleurs tout ce qui anime ce môme devenu grand mais resté très môme quand même, et qui, comme tous les mômes, se rêve encore parfois dans les films où il n’est pas.

©Kobayashi

« Je suis gourmand, c’est certain (sourire) ! Je m’intéresse, quand tu aimes tu t’intéresses, et je me rends compte qu’il y a tellement de choses que je ne sais pas… Je reste client de culture sur ce cinéma… Je lis des bouquins, je lis des mecs comme Philippe Lombard qui sort la revue « Schnock » qui parle de ça aussi… J’écoutais aussi de vieux gourous comme Bertrand Tavernier qui connaissait bien le sujet…

J’adore les gens qui transmettent et qui m’ont transmis, au premier rang desquels mon père qui n’a rien à voir avec cette industrie mais qui m’a montré ses bons comme ses mauvais goûts… Et moi, je fais pareil, je transmets mes bons et mauvais goûts à mes enfants, je les ai transmis à la radio et aujourd’hui, je les transmets sur scène… Parce que j’aime ça (sourire)… Et comme tout, dans ce cinéma populaire m’intéresse, je m’intéresse à tout… Et à tous !

Lautner, Zidi, Verneuil mais aussi, mais oui, Philippe Clair (sourire) ! Philippe Clair, alias Prosper Bensoussan, ancien copain de conservatoire de Belmondo… Dont j’évoque, c’est vrai,  le « Rodriguez au Pays des Merguez » , une adaptation du Cid de Corneille version pied-noir (sourire)… Mais c’est pas un mauvais goût, parce que pour le coup c’était un vrai cinéphile ! 

Philippe Clair, il y a un seul truc qu’il aimait pas, c’est qu’on lui dise qu’il faisait des nanars… Quand on lui disait ça, ça le faisait bondir ! Parce que lui, il faisait du cinéma ! Après, ça dépend comment certains l’ont reçu (sourire)…

La musique d’un de ces films, « Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir ! », a été faite par un mec qui s’appelle Alan Silvestri, et Alan Silvestri il est connu parce que c’est celui qui a fait toutes les musiques des films de Robert Zemeckis, donc « Retour vers le Futur », « Forrest Gump », « Seul au Monde », un truc de dingue !… Et quand Philippe Clair nous a quittés il y a deux ans, Alan Silvestri s’est fendu d’un message en disant que Philippe était un génie du cinéma !

En fait, ce que je n’aime pas ce sont les arbitres des élégances qui décident… « Ça, c’est bien, ça c’est pas bien, ça tu dois aimer, ça tu dois pas aimer ! » …

Ce qui est chouette avec cinéma, c’est qu’on a tous un rapport différent aux films… Tu vas regarder un film, je vais le regarder, on ne va pas ressentir les mêmes choses…

Parfois, si, il y a une vanne qui va nous faire rire en même temps, parfois il y en a une autre qui va te passer au-dessus mais moi, elle va me faire marrer… Moi, j’adore les jeux de mots, toi il y a des peut-être des jeux de mots, tu va saigner des yeux (sourire)… En fait, quand tu regardes un film, tu n’es pas passif, tu y apportes ce que tu es !

D’ailleurs, ce qui est très chouette, c’est que tu peux regarder des films à huit ans, tu les regardes vingt ans plus tard, tu n’auras pas le même regard, les films ne changent pas mais toi tu changes et avec toi change aussi le regard que tu portes sur ces films…

Je cite, par exemple, un film qui s’appelle « Signé Furax » que j’aime beaucoup, qui est adapté d’abord d’un feuilleton radiophonique que j’aimais beaucoup et qui a été adapté en livre que j’ai lu gamin que j’avais adoré, et tu vois, il y a des trucs que j’avais vu à huit ans, que j’ai compris à quarante…

En particulier ce jeu de mots à côté duquel j’étais totalement passé (sourire), de ce scientifique néerlandais qui s’appelait « Van de Petoman »… Quand tu as huit ans, tu la comprends pas, à quarante ans, tu fais : « Ah, c’est drôle ! » … Et d’autres diront : « C’est affligeant (rires) ! »

Quand Thomas Croisière s'amuse, le Ciné et On jubile-De Funès-Voyage en Comédie-ParisBazaar-.Kobayashi©Kobayashi

Si Thomas Croisière a vu beaucoup, mais vraiment beaucoup de films, et celle comme celui qui ira découvrir son beau et gourmand « Voyage en Comédie » saura à quel point beaucoup est un euphémisme, il a également fait des rencontres. Et des belles. Avec notamment un grand bonhomme de cinéma, qui avait lui aussi le goût de la vie, de la découverte et le sens du partage. Il s’appelait Bertrand Tavernier.

« Les hasards de la vie font que Bertrand Tavernier était un ami et que son dernier film de fiction, « Quai d’Orsay » , c’est moi qui lui ai offert la bande-dessinée (scénario de Abel Lanzac, dessins de Christophe Blain paru chez Dargaud-ndlr)… Si… Il ne connaissait pas la B.D, et je lui ai offert en lui disant : « Ça devrait t »intéresser. »

Et il faut savoir qu’il y a un truc dans le cinéma de Bertrand Tavernier, c’est qu’il ne faisait jamais deux fois le même film et surtout à chaque fois, il s’intéressait à des univers… Un film était pour lui l’occasion de se plonger dans un truc qu’il ne connaissait pas…

Et il n’avait pas fait de film vraiment politique, sur la politique… « Quai d’Orsay », ça parle évidemment de politique, puisque on est au ministère des Affaires étrangères, à l’époque de Dominique de Villepin et du fameux discours contre la guerre en Irak, à l’Assemblée Générale des Nations Unies…

Et j’étais certain qu’il aimerait le livre mais pas au point d’optionner les droits et un an plus tard, de m’envoyer un mail pour me dire : « Écoute, tu m’as offert la B.D, je l’ai lue dans la nuit, j’ai optionné les droits le lendemain, est-ce que ça te dirait d’avoir deux répliques dans un dîner ? »…

J’ai donc l’honneur de jouer dans « Quai d’Orsay » , et j’ai deux répliques…

Dans l’une, je dis  : « Ben non, y’a pas de pétrole en Palestine mais le Lousdemistan, y’en a, c’est pour ça qu’il est pote avec les Lousdeménites, Taillard » , ce qui n’est pas  simple à passer quand t’as jamais fait ça (sourire)… Dans l’autre, je dis : « Et ton anti-acteur, il prend des anti-décisions (sourire) ? » 

Surtout, quand je suis allé à l’avant-première du film, sur les Champs-Élysées, j’étais persuadé que je serais coupé au montage, parce que c’est une scène qui n’est pas dans la B.D, c’est une scène de dîner, une scène qui ne fait pas avancer l’action mais en revanche qui pose les personnages…

Dans le cinéma d’aujourd’hui, on ne passe plus autant de temps sur la caractérisation des personnages, donc j’étais persuadé que… Et puis, à un moment, putain, je me suis vu sur grand écran, dirigé par Bertrand Tavernier… J’étais tellement fier (sourire) !

Mais, lui-même, tu vois, c’était un énorme passeur de cinéma !

Une anecdote, j’avais fait un papier sur Philippe Clair, au moment de ses 90 ans, d’ailleurs je ne savais même pas que ce monsieur était encore en vie puisque ça faisait longtemps qu’il n’avait pas réalisé, j’envoie un tweet aux auditeurs de France Inter en disant : « Attention, ça va piquer je vais célébrer Philippe Clair (rires) ! » Philippe Clair a vu ça sur Twitter et il a retweeté, je me suis dit : « Putain, il est connecté, il est toujours là ! »

Et Bertrand a entendu la chronique et il m’a appelé derrière pour me dire : « Savais-tu que Philippe Clair avait un projet de film qui s’appelle « Les Dents de la Belle-Mère » … et que Spielberg lui avait interdit de le faire (rires) ! » …

Tu vois, ça, typiquement, c’est ce que j’aime… Ça ne sert à rien de le savoir, mais c’est tellement bon de le savoir… Et quand Bertrand nous a quittés malheureusement, c’est une cinémathèque qui a disparu. »

Quand Thomas Croisière s'Amuse, le Ciné File et On Jubile-As des As-Voyage en Comédie-ParisBazaar-Kobayashi©Kobayashi

Son « Voyage en Comédie » , Thomas Croisière l’a d’ailleurs dédié au cinéaste aujourd’hui disparu. Ainsi qu’à une autre figure illustre, mais de nos années tendres où nous étions alors très cathodiques pratiquants, Jacques Martin.

C’est en effet sur la scène de cet empereur que Thomas Croisière est né au monde. Un instant de télé qu’on découvre dans son spectacle. On y voit le jeune provincial de 23 ans, à peine descendu du train qui le menait de Bordeaux, participer à l’émission « Sous Vos Applaudissements » , et malgré le trac, déjà comme chez lui face au public.

S’inspirant de la chanson de Balavoine, il disait alors, avec le sourire désarmant de ceux qui s’en cognent du regard des autres, vouloir « réussir sa vie, être aimé, être beau, gagner de l’argent… et puis surtout être intelligent. »

Il devait, le temps d’un jeu-tremplin, convaincre le jury qu’il était fait pour la télévision. Lewis Furey lui accorda un encourageant 18 sur 20. Evelyne Leclercq fut moins généreuse et Thomas n’alla plus loin.

Jacques Martin lui proposa néanmoins de revenir faire le groom dans son show, mais l’AVC qui allait quelques mois plus tard frapper l’animateur torpilla le projet. L’histoire, toutefois, était en marche. Et comme Thomas Croisière ne connaît pas les freins, elle roule toujours.

Avant-hier, l’Empire. Aujourd’hui, le Lucernaire à Paris et d’autres salles encore en région où il tourne son « Voyage en Comédie » . S’offrant, chaque soir de spectacle, la joie de changer de costume et de laisser au vestiaire celui de son vrai métier de producteur télé. Plus important encore à ses yeux, savourant le grand bonheur de partager et de transmettre à son tour un peu beaucoup de l’amour qu’il porte à ce cinéma qui rassemble les pères et leurs fils.

« Moi, avant d’être un père, je suis un fils, donc  je sais ce que c’est d’être un fils, et je sais qu’à un moment, mes enfants qui sont mes fils, ils vont être en colère contre moi…

Il y a un moment où le super-héros que je suis encore mais qui commence à vaciller sur ses appuis, il ne sera plus Superman, je ne serai plus Superpapa…

Et ils vont se construire contre, c’est des petits gars… Je les vois déjà tester les limites (sourire), les conneries qu’ils sont en train de faire (sourire)… Et qu’est-ce qui va me sauver ?… C’est ce qui a sauvé ma relation avec mon père, j’ai été très fâché contre mon père, je crois que je le suis encore un peu, même beaucoup, pour plein de raisons, mais il m’a transmis ça… Il m’a transmis une partie de sa pop culture !

Si j’aime la B.D franco-belge, c’est grâce à mon père et à mon grand-père… Si j’aime la pop-music, si je suis fan absolu des Beatles, c’est grâce à mon père, c’est pas ma génération… Si j’aime le cinéma, c’est grâce à mon père !

Alors, pas tous les cinémas, pas toutes les musiques, il y a des trucs que j’ai explorés par moi-même, mais à un moment, aussi fâché que j’ai pu être contre lui, quand j’entends le titre  » No Mule’s Food » de Family, qui est un titre pas très connu mais avec un violon électrique que j’adore, un je chiale, deux je pense à mon père et trois j’ai envie de l’appeler pour lui dire : « Je t’aime ! »

Donc le truc, c’est que lorsque mes enfants seront en colère contre moi, s’ils tombent sur un film avec Tony Curtis comme « La Grande Course autour du Monde » qui est un film un peu oublié de Blake Edwards et qui pour moi est quand même une grande comédie, ou s’ils tombent sur un film des Charlots, j’espère qu’ils m’enverront un message pour me dire : « T’es un connard… Mais je t’aime bien quand même. »

Quand Thomas Croisière s'Amuse, le Ciné File et on Jubile-Portrait-Voyage en Comédie-ParisBazaar-Kobayashi©Kobayashi

Une scène, une lumière, un dialogue, un gros plan, une b.o, chacun son rire, ses larmes, son émotion, on doit tous quelque chose au cinéma. On le remercie encore d’avoir ouvert nos chakras et nos horizons.

Aujourd’hui encore, Thomas Croisière, lui, dit merci à Umberto Ecco et Jean-Jacques Annaud, dont le « Nom de la Rose » et une certaine sauvageonne lui ont plus enseigné que les manuels dédiés aux choses de la vie, à ses joies aussi.

Et puis, il a pris le temps d’observer que, mieux que les discours qui n’engagent déjà pas ceux qui les tiennent et de moins en moins ceux qui les écoutent, le rire réunit ceux qui l’aiment.

Cols blancs, cols bleus, blindés, galériens, on peut penser avec lui que De Funès a, davantage que tellement d’autres, su tous les réunir. Au vivre à côté, il préfère le rire ensemble.

Un enfant de son temps, mais en plus joyeux, rêveur et partageur que les temps qui courent de travers, Thomas Croisière.

Un enfant du cinéma, en somme. Avec qui on a aimé partir en voyage. Beaucoup.

O.D

Voyage en Comédie, un seul en scène cinéphile et irrésistible de Thomas Croisière, mis en scène par Thibault Ameline.

Actuellement en tournée et à l’affiche du Lucernaire.

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