Rosemary aime le théâtre tout le temps, même l’été. Surtout à Avignon. Comme beaucoup d’autres Parisiennes, elle a retrouvé son cher festival. Sa carte postale.
C’est long deux ans. On a le temps de compter les jours. Deux ans à attendre, loin d’Avignon, avec ses souvenirs pour seuls compagnons. Deux longues années de privations, sans pouvoir nous réjouir de ces spectacles comme tombés du ciel qui font tout le charme du Off, qu’on découvre au fil de nos déambulations, au gré de nos envies, et qui souvent nous cueillent et nous émeuvent.
Après ces deux ans qui m’ont paru durer un siècle, j’ai enfin pu me perdre avec joie dans cette si jolie Cité des Papes que je fais mienne depuis au moins mes vingt ans. Savourant comme les autres festivaliers chaque instant de cette liberté retrouvée, à nouveau je me suis vue fureter, découvrir, me laisser séduire, par le jeu, les mots, par des lumières, des décors et des mises en scène, emportée par mille histoires.
C’est dire si cette semaine, les retrouvailles ont été intenses. Comment le dire mieux ? Elles ont eu la saveur et le parfum des premières fois ! Ça faisait si longtemps.
À l’invitation de Paris Bazaar, qui est maintenant devenue la famille de mes étés, j’ai retenu pour vous trois pièces et une fois n’est pas coutume, un concert.
Au Théâtre Espace Roseau Teinturiers, j’ai d’abord découvert Amour Amère, sur un texte de Neil Labute adapté par Dominique Piat, un seul en scène incroyable de Jean-Pierre Bouvier. On y découvre un homme à la veille de l’enterrement de sa femme. Il s’appelle Édouard et l’histoire qu’il raconte face au cercueil de son épouse disparue, c’est celle d’un amour fou.
Avec un brin de rudesse, une certaine dose de cynisme et surtout beaucoup d’amour, il partage ses souvenirs. Son enfance cabossée de petit garçon que sa mère a abandonné et qui a été trimballé d’une famille d’accueil à l’autre, sans que jamais ne le quitte cette volonté dingue de retrouver sa mère.
Porté par la colère jusqu’à la rage devant sa propre impuissance face aux injustices de la vie et de la mort, il laisse aussi percer la fragilité de l’orphelin qu’il demeure. Et on ne peut que comprendre qu’il ait un jour été fasciné d’avoir finalement rencontré un amour plus grand et plus fort que sa douleur.
Jusqu’à la révélation qui met en lumière la dimension unique du personnage de Edouard Carr et le relie même aux mythes grecs.
Avec Amour Amère, Jean-Pierre Bouvier lance un formidable cri d’amour et nous prend aux tripes. Il nous rappelle aussi qu’il est un très grand comédien !
Amour Amère, de Neil Labute, adaptation de Dominique Piat, musique d’Agatha Kaspar, mis en scène et interprèté par Jean-Pierre Bouvier.
À l’affiche du Théâtre Espace Roseau Teinturiers.
La deuxième claque, je l’ai reçue au Théâtre des Gémeaux avec Badine. D’après Alfred de Musset, une création de Salomé Villiers qui a su réunir une troupe magique autour de ce grand texte qu’elle a donc adapté avec bonheur et talent, en osant lui adjoindre une très belle partition musicale.
Badine nous fait redécouvrir l’incontournable classique et c’est avec un immense plaisir que j’ai moi-même renoué avec Perdican et Camille.
Souvenez-vous, ces deux-là s’aiment depuis toujours. Le Baron, père du premier et oncle de la deuxième, rêve de les unir. Perdican y est disposé mais Camille montre une réserve inexplicable. Elle aspire à un amour absolu et préfère se faire religieuse plutôt que de vivre la douleur d’une histoire d’amour brisée.
Perdican, convaincu qu’il faut vivre sa vie pleinement, blessé par la froideur de sa cousine, feint de s’éprendre de Rosette, une aimable fille de la campagne. Par orgueil et dépit, il l’épousera, provoquant la colère et le désespoir de Camille, enfin consciente des sentiments qu’elle porte à son cousin.
Badine ouvre nos coeurs sur l’amour d’un homme et d’une femme qui ne se voient pas tels qu’ils sont mais qui se connaissent depuis l’enfance. L’amour sera pour l’une et l’un la grande révélation.
Les comédiens, à la hauteur de cette belle histoire, sont toutes et tous formidables. Delphine Depardieu qui joue Camille est magistrale. Milena Marinelli chante aussi bien les standards du jazz des années 50 qu’elle incarne à la perfection cette paysanne qui veut être aimée et non pas séduite par le beau Perdican, que défend Benjamin Egner avec maestria.
Kate Cyler et Adrien Biry qui veillent sur les deux jeunes gens déploient toute la bienveillance requise. Et Bernard Malaka est irrésistible en baron survolté et passablement déjanté.
Et je n’oublie pas Salomé Villiers qui signe donc la mise en scène et dont l’imaginaire nous enchante et nous invite autant au rêve qu’à l’amour !
« On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux. Mais on aime. Et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. »
Longtemps après avoir vu Badine, comme moi, j’en suis sûre, vous vous souviendrez de ces mots…
Badine, d’après Alfred de Musset, sur une mise en scène de Salomé Villiers.
Avec Delphine Depardieu, Benjamin Egner, Bernard Malaka, Milena Marinelli, Adrien Biry-Vicente et Catherine Cyler et Marjorie Frantz.
Autre grand classique qu’on aura plaisir à revisiter, la Mégère Apprivoisée de William Shakespeare que Frédérique Lazarini a eu l’excellente idée d’adapter et de mettre en scène.
Elle a choisi pour cadre de l’histoire un cinéma ambulant installé sur la place d’un village, dans les années 50 en Italie. Il y a des draps tendus tout autour de la scène. On est dans la joie et la truculence de l’Italie comme le cinéma a su nous la faire aimer.
Catarina se montre plus insoumise que de coutume, une femme qui entend rester libre, une femme d’aujourd’hui. C’est à Delphine Depardieu qu’est revenu de camper cette jeune femme que rien ni personne ne fait taire, elle est parfaite. Cédric Colas est un Petruchio colérique à souhait ma non troppo.
Et l’intrigue qu’on connaît pourtant bien ne cesse de nous étonner, tant la mise en scène de Frédérique Lazarini est drôle, enlevée et joyeuse. Surprenant et bien vu aussi, le film de Bernard Malaterre spécialement tourné pour cette pièce et qui lui apporte avec finesse et à-propos son supplément de poésie.
Comme une comédie italienne de la plus belle eau !
La Mégère Apprivoisée, de William Shakespeare, mise en scène de Frédérique Lazarini.
Avec Delphine Depardieu, Cédric Colas, Pierre Einaudi, Maxime Lombard, Bernard Malaterre et Guillaume Veyre.
Et puis, si comme moi, les musiques venues de l’Est savent vous remuer l’âme, je ne saurais trop vous conseiller Josef Josef qui l’autre soir, comme tous les autres soirs d’ailleurs, a enflammé le Théâtre du Roi René. Je le sais, j’y étais ! Une vraie et grande première pour ce lieu devenu incontournable du Off.
Après vingt-cinq années de tournée, mille-huit-cents concerts sur les cinq continents, huit albums, Eric Slabiak, fondateur du groupe Les Yeux Noirs a commencé il y a deux ans une nouvelle aventure musicale avec Josef Josef, son nouveau groupe composé de cinq musiciens.
Un orchestre fabuleux dont les toutes premières notes vous donnent l’envie irrépressible de danser et de chanter ! Avec eux, on se transporte du Vaucluse aux Balkans, et on se retrouve installés à un grand balcon avec vue sur le bonheur !
Eric Slabiak joue autant des compositions originales que des mélodies traditionnelles. Et sa voix nous envoûte. Avec ses musiciens, ils démontrent si besoin était que la musique est une langue universelle. Peu importe qu’on ne comprenne pas le Yiddish, nos choeurs chantent et vibrent à l’unisson.
Un soir avec Josef Josef, c’est un aller-simple pour l’Europe de l’Est, une immersion vibrante au coeur des cultures juives et roms. Un voyage fabuleux, en somme.
Josef Josef, avec Eric Slabiak (violon & chant), Frank Anastasio (guitare & chant), Dario Ivkovic (accordéon), Jérôme Arrighi (basse) et Nicolas Grupp (batterie)
Au Théâtre René à 21h50. Jusqu’au 31 juillet.
Enfin, autre bonne nouvelle, le même Théâtre du Roi René va faire la part belle à des jeunes talents ! Hélène Zidi propose cet été les tout premiers Talents Labo Avignon.
C’est sur les conseils de son amie la comédienne Beatrice Agenin, m’a t-elle confiée, qu’elle a eu l’idée d’ouvrir son théâtre à ces jeunes comédiens. Après une année de cours intensifs, il leur est donc offert de se retrouver à Avignon.
Ils joueront des scènes de pièces de théâtre comme de cinéma. Ils feront surtout devant vous leur tout premiers pas.
Un rendez-vous avec le talent qu’on aura raison de ne pas laisser passer !
Talents Labo Avignon, première édition au Théâtre du Roi René du 19 au 24 juillet.
J’aurais tellement aimé vous parler de tous ces autres spectacles que j’ai découverts mais le temps me manque. Le train m’attend. Paris me rappelle. Avignon, toi m’as qui m’a tant manqué, à bientôt de nous revoir. À l’année prochaine ! À tout à l’heure ! Et que toujours vive le théâtre !!
Rosemary