Clandestino de Manu Chao : Retour vers le Futur

Manu Chao-ParisBazaar-Borde

On croyait l’avoir perdu de vue. Comme à son habitude, Manu Chao revient quand on ne l’attend pas. Son Clandestino a même rajeuni !

À la fin des années 80, bon nombre de groupes de rock français se sont séparés, par lassitude, ou faute de succès. Starshooter, Lili Drop, Taxi Girl ou Téléphone n’existent déjà plus. À la même époque, d’autres, comme Noir Désir, les Satellites, Indochine, ou les Béruriers Noirs prennent la relève. Tous ces groupes connaissent une certaine aura. Parmi eux, deux connaissent une véritable renommée internationale : Les Négresses Vertes et La Mano Negra. 

Les deux groupes se connaissent bien. Certains de leurs membres sont issus des mêmes quartiers de Belleville et Ménilmontant, ils ont les mêmes points de chute, fréquentent les mêmes troquets. Certains musiciens des deux groupes ont même joué ensemble. Au début des années 90, ils effectueront d’ailleurs une tournée commune aux Etats-Unis. Viendra ensuite une sorte de désescalade.

Avec la mort d’Helno en janvier 93, causée par une putain d’overdose d’héroïne, Les Négresses Vertes marqueront le pas même si un ultime album sortira en 94. Du côté de La Mano Negra, les affaires ne tournent pas mieux. L’ambiance est à l’orage. Certains s’engueulent sans arrêt, d’autres quittent le navire, critiquant l’attitude de Mano Chao qui a tendance à faire les choses de plus en plus seul et à prendre des décisions pour le groupe. Fin 94, La Mano Negra est séparée. Chacun taille sa route. Santi dirigera Mercury et l’émission Popstars, Tom Darnal fondera P18, Daniel Jamet jouera avec P18 et Flor Del Fango,  Antoine Chao deviendra Dj avant de bosser à la radio, notamment sur Radio Latina et France Inter. Quant à son frère Manu, figure de proue de La Mano, il disparaît, prend le temps de vivre, enregistre des morceaux au cours des ses nombreux voyages, et réapparait au mois d’avril 98 avec Clandestino.

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Cet album est pour le moins déroutant. Alors que les fans de La Mano Negra s’attendaient à quelque chose de plutôt musclé, Manu Chao sort un album dépouillé, quasiment acoustique. Seize titres simples, quasiment tous chantés en espagnol, avec comme instrument de base une guitare acoustique. De toutes façons, Manu Chao s’en fout. Il veut arrêter sa carrière et cet opus sera le dernier. Il en parle d’ailleurs comme d’une simple maquette de travail, un petit truc sans importance. À la base, Clandestino, devait être un album techno. Mais durant l’enregistrement, les morceaux ont été perdus et réenregistrés rapidement. À moins que ce ne soit un bug informatique qui aurait effacé toutes les rythmiques techno. Les versions divergent. Quoi qu’il en soit, le disque prend une autre tournure et, à la surprise générale, cartonne.  

Alors qu’à l’époque, la hurleuse flippante du Québec, Céline Dion, le blond péroxydé Ricky Martin, ou encore l’effrayante comédie musicale sur Notre-Dame de Paris cartonnent, Manu Chao renverse le jeu et voit son premier album solo exploser les scores en France, en Espagne, en Italie, ainsi que dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. À l’époque, Manu Chao devient même tendance. Le summum du cool. Certains écoutent les titres Clandestino, El Desaparecido, Mentira, ou encore Bongo Bong (adaptation de King Of Bongo, morceau qui figurait sur album de La Mano Negra sorti en 91 ), assis dans un fauteuil en cuir, cigare à la bouche, sirotant une affreuse Manzana glacée. Qu’il est bon de se donner une contenance. Chez ces horribles personnes, Manu Chao va vite passer de mode, et tant mieux. Le musicien, lui, continue de faire ce qu’il veut. 

Plus de vingt ans après la parution originale de Clandestino, cet album devenu culte ressort avec trois inédits. Le morceau Clandestino change légèrement. Manu Chao l’interprète en duo avec Calypso Rose, dont il a coproduit l’album Far From Home en 2016. Le titre militant, qui parle de la condition de vie des émigrés clandestins partis chercher du travail loin de chez eux, s’accroche à une rythmique caribéenne, pas si éloignée de sa version originelle. Les deux voix s’accordent parfaitement. Des cuivres ont été rajoutés pour ce titre culte. Grande différence, la chanteuse trinidadienne chante en anglais. La reine du Calypso se fond parfaitement dans le morceau qui aurait presque pu être écrit pour elle.

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Bloody Bloody Border est aussi un inédit. Le titre, terriblement d’actualité, parle de l’émigration mexicaine aux Etats Unis. Manu Chao l’aurait écrit lors d’un voyage en Arizona en 2011, où il aurait pu voir les conditions de détention inhumaines des camps de réfugiés à la frontière mexicaine. Quant à Roadies Rules, le troisième inédit, il aurait été enregistré lors des séances de Clandestino en 1998. Bien qu’interprété en anglais, le morceau reggae aurait toute sa place dans l’album originel.

Même s’il n’a pas sorti de véritable album depuis 2007, Manu Chao reste aujourd’hui comme un très grand artiste français. Il est aussi, à n’en point douter, un des plus connus à l’étranger. La nouvelle version de Clandestino permet de redécouvrir quelques pépites comme La Vie À Deux, rare texte chanté en français qui n’est pas sans rappeler Out Of Time de La Mano, ou Welcome To Tijuana, sorte d’adaptation du mythique morceau Tequila des Champs. Clandestino est aujourd’hui considéré comme un des dix meilleurs albums de musique latine au monde. Pas mal pour Manu Chao qui ne pensait que vendre 10 000 exemplaires…   

Laurent Borde

Manu Chao / Clandestino (version 2019) / Because Music

Bon plan, sur manuchao.net, on trouve plusieurs inédits et versions démo, enregistrés durant la session de Clandestino, téléchargeables gratuitement et légalement !!

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