Il s’affiche en ce moment au Splendid et à la Michodière. Un projet à la minute, une idée par seconde, on exagère à peine. Éric Laugérias prend ici le temps d’un récit singulier. Le sien.
Comédien, auteur, producteur, metteur en scène et grosse tête mais juste à la radio, il ne compte plus les casquettes et porte très bien la moustache ces jours-ci chez Guitry. Plus sympathique encore qu’il en a déjà l’air, Éric Laugérias est une musique à lui tout seul, joyeuse et enlevée. Il pétille comme le champagne, et les mots qui lui viennent lorsqu’il évoque son parcours se savourent comme un cognac millésimé. Il a le goût des autres et le bon sens du jeu, celui qui ne se joue bien qu’à plusieurs. Il aurait pu être quelqu’un d’autre, il a préféré être celui-là. Ça tombe bien, c’est cet homme qui nous plaît.
« Oui, j’ai plaqué Sciences-Po au bout d’un an. C’est vrai que je suis très intéressé par la chose publique, par la politique en général, par le journalisme. C’est d’ailleurs quelque chose que j’ai retrouvé au cours de ma vie artistique. Avec Karl Zéro, dieu sait que ça a été une longue aventure de « Zérorama » au « Vrai Journal », pour écrire des sketches, on se nourrissait de la presse tous les jours. Avec Laurent Gerra, pareil, on bouffait de la presse matin, midi et soir.
Et ça s’est retrouvé avec Thierry Ardisson, comme auteur et comme chroniqueur. Et aux « Grosses Têtes » aussi ! On n’est pas aux « Grosses Têtes » pendant quinze ans si on ne s’intéresse pas à l’actualité, à ce qui se passe dans le monde… c’était déjà, à 16, 17 ans, quelque chose qui me passionnait !
Et puis donc à Sciences-Po, un copain m’a dit : « Tiens, tu devrais voir au Conservatoire à Bordeaux, il y a un cours d’initiation, dix heures par semaine, toi qui as envie de faire du théâtre aussi… » Je me suis dit: « Oui, je vais pouvoir faire les deux en même temps (sourire). » Je me suis donc présenté au concours et j’ai été reçu tout de suite, à l’unanimité, dans la classe professionnelle et… et c’était quarante heures par semaine (sourire) !
Quarante heures à Sciences-Po, quarante heures de cours de théâtre… il a fallu que je fasse un choix. Et j’ai choisi le théâtre. J’ai la chance à ce moment-là d’avoir des parents assez ouverts et intelligents pour me dire : « Dans la vie, il vaut mieux avoir des remords que des regrets, si tu dois être un journaliste ou un diplomate malheureux on n’aura rien gagné non plus (sourire), donc vas-y, essaie ! Et si tu te plantes, tu pourras toujours reprendre Sciences-Po. »
J’ai commencé le Conservatoire en septembre. En octobre ou en novembre, j’ai été engagé dans la troupe qui tournait beaucoup à Bordeaux à l’époque et puis aussi comme prof pour les gamins… c’était parti et je n’ai jamais arrêté (sourire). »
Dans un métier qui prête, on le sait, aux jeux de l’égo, il tranche Éric Laugérias. L’aventure qui s’écrit ensemble l’intéresse davantage que le plaisir solitaire de se voir tout seul en haut de l’affiche. Et la bienveillance est son autre moteur. Celle dont il fait preuve comme celle dont il a besoin.
« Si le passeur, c’est à dire le meneur de projet, le metteur en scène ou le directeur de troupe a beaucoup d’amour à la fois pour son texte et pour les gens qui sont sur le plateau, ça se passe bien… L’un des mots d’ordre dans les stages de théâtre que j’organise et que j’anime, c’est ça, c’est la bienveillance…
Je pense qu’on n’arrive à rien en gueulant, en cassant les gens, en les ridiculisant. Je pense au contraire qu’avec beaucoup d’attention, d’amour, on peut faire sortir des choses extraordinaires des gens. Si le regard est dur et froid, on n’a pas envie de donner… parfois, ça m’est arrivé.
Après, que ce soit Beckett, Molière, Guitry, du Boulevard, des pièces de Café Théâtre, je suis toujours heureux. D’abord parce que je suis curieux, ensuite parce que j’ai un plaisir fou à jouer avec des partenaires sympas et drôles, et puis parce qu’en face, le metteur en scène, justement, a cette bienveillance et qu’il a envie de vous emmener vers mieux, plus loin, plus fort…
Jérôme Savary, c’était ça ! Il avait une force, une énergie incroyables ! Il était capable, à la table d’un bistro après une représentation, de lancer : « Tiens, et si on montait tout Molière ?? Oui, c’est ça ! (il s’enflamme) On va faire l’intégrale de Molière, mais dingue !! Dans un cirque ! Et les personnages principaux seront des clowns !! » (sourire) Quand on est en face de cette folie, on se laisse embarquer… Et ça ne marche que s’il y a cette bienveillance.
Et oui, j’ai eu la chance immense de travailler d’apprendre le métier dans des troupes. Il n’y pas beaucoup de gens qui ont la grosse tête qui restent en troupe bien longtemps. C’est une école du vivre ensemble, surtout quand on est dans un village du Lot-et-Garonne de 800 habitants et qu’on est vingt comédiens, bien obligés de se supporter du matin au soir et du soir au matin (sourire). Et puis, c’est une école de l’humilité, de l’écoute.
J’ai parfois passé des journées à cirer les 700 chaussures du stock de la troupe, à peindre des décors. J’ai même assuré la régie parce que le régisseur était pas bien, et que ce soir-là on jouait Feydeau à Saint-Étienne de Gratecombe (rires)… Dans une troupe, tout le monde s’y met. Ça me semble faire partie de ce métier.
Et quand, ensuite, j’ai bossé dans des théâtres parisiens, les techniciens me demandaient : « Tiens, tu es capable de faire tel démontage ? » Je leur disais : « Oui, bien sûr ! C’est pas compliqué. » Ils me répondaient : « Ah, c’est cool ! Parce que les comédiens, c’est pas souvent qu’ils donnent un coup de main ! Ou même qu’ils nous regardent (sourire) ! »
Je pense au contraire, et en faisant de la mise en scène je le vois d’autant plus, que le travail avec les techniciens, c’est intéressant et même vachement important… C’est ce qui va donner son esthétique à un spectacle et son ambiance… bienveillante, encore une fois (sourire)… Donc oui, la troupe m’a énormément, énormément appris.
J’ai retrouvé ça, récemment, avec « Beaucoup de Bruit pour Rien » de Shakespeare, avec une jeune compagnie, celle qu’ont formée Salomé Villiers et Pierre Hélie. J’aimais déjà beaucoup leur travail et humainement, ce sont des gens formidables. Et me retrouver à nouveau en troupe, on a fait des résidences en Vendée, en région parisienne, on a joué à Avignon, ça m’a botté ! Ça m’a fait du bien ! »
Pour le suivre au théâtre, à la télévision comme à la radio, il y a chez Éric Laugérias une folie qui affleure et qui ne demande qu’à jaillir. Dans son regard, dans ses mots et ses propositions de jeu, on sent à tout moment la possibilité d’une fulgurance, spirituelle, drôle et irrésistible. On ne s’étonne pas qu’il soit aussi sociétaire des Grosses Têtes sur RTL, hier chez Bouvard, aujourd’hui chez Ruquier. Ce qui n’est pas pire que d’être pensionnaire à la Comédie Française.
« Quand on sort des « Grosses Têtes », on est rincé ! Tout le monde le dit. C’est un bonheur fou mais c’est très fatiguant comme exercice (sourire). C’est une grosse dépense d’énergie. Ça m’a appris finalement une espèce de liberté formidable… D’ailleurs, Bouvard me disait qu’au début, quand ils ont commencé, ils faisaient du direct. Et il s’est rendu compte qu’en direct, les gens se censuraient beaucoup et qu’en fait, ils étaient beaucoup moins drôles.
Le secret des « Grosses Têtes », c’est quand il n’a plus fait de direct. Ils ont donc commencé à enregistrer, avec une liberté absolue… mais vraiment absolue (sourire) ! Et on allait très loin ! Quand il y avait des Carlos, des Jean Dutourd, des Jean Yanne et des Kersauzon en liberté (sourire), ça pouvait aller très très très loin (sourire) ! Et l’énergie de cette liberté-là, même s’il y a des coupes au montage, elle reste !
Et ça, cette liberté, ça m’a beaucoup aidé quand ensuite j’ai écrit pour Karl Zéro ou Laurent Gerra. Ça me sert aussi quand je travaille aujourd’hui avec Nicolas Briançon. Parce qu’au départ, pour construire un personnage, il faut beaucoup de folie, beaucoup de liberté ! Après, on gomme. On n’écrit bien qu’avec la gomme de toute façon (sourire). »
On comprend mieux qu’Éric Laugérias ait eu l’envie de monter Vive Bouchon ! de Jean Dell et Gérald Sybleiras. Cette fable délirante et surréaliste qui fait en ce moment les belles heures du théâtre du Splendid, et qui vous invitera au minimum à envisager l’Union Européenne, les politiques locales d’aménagement du territoire, la désertification des campagnes, sous un autre jour.
« Jean-Luc Moreau l’avait montée au théâtre Michel il y a quinze ans, avec notamment Jean-Luc Porraz et Christiane Bopp, ma partenaire dans « Blague à Part » et que j’aime beaucoup. La pièce s’est jouée deux saison, un gros succès à l’époque. Et au moment du Brexit, je me suis rappelé de ce petit village, « Bouchon », qui décide de quitter l’Europe après s’être gavé de subventions et avoir arnaqué l’Europe (sourire) ! Je me suis dit : « Mais c’est cette pièce qu’il faut monter ! »
Là où je vis, à 85 kilomètres de Paris, pas tout à fait la ville, pas tout à fait la campagne, avec des difficultés pour se déplacer, parce que les transports en commun sont mal foutus… je le vois bien que c’est compliqué.
Quand je vais dans ma ville natale, Cognac, et que je vois que le centre-ville est déserté, qu’il n’y a plus de boutiques, qu’il n’y a plus rien, que tout se trouve concentré dans des espèces de centre commerciaux moches, je trouve ça triste et je vois « Bouchon », ce village qui ne figure sur aucune carte et qu’on ne trouve que quand on se perd en chemin (sourire)…
C’est une farce mais elle raconte ça ! Elle raconte la vie de ces gens, qui ne sont pas des bobos gâtés. Avec ce maire admirable de volonté qui aime sa commune, qui a une énergie folle et qui décide pour arnaquer l’Europe de construire un stade olympique ! Un port, alors qu’il est à 350 bornes de la mer (rires) !! Et quand l’inspecteur de l’Union Européenne débarque et qu’il demande où est passé l’argent, il y cette phrase terrible : « Mais on l’a donné aux gens pour qu’ils restent ! » C’est Don Quichotte avec son Sancho Pança et sa Rosinante (rires) ! »
Récemment, Éric Laugérias a découvert le bonheur d’être seul sur scène ou presque avec un spectacle autour des chansons de Serge Reggiani, qu’il a d’ailleurs le désir de monter à Paris. Il a aussi un projet qui lui tient très à coeur avec l’ami Didier Caron. Et d’autres encore. Il ne sait que trop bien que sur dix projets, deux finissent par voir le jour. Il sait aussi la morsure des déceptions. Aucune ne l’a fait tomber. Il les accepte et les voit au fond comme l’autre face du bonheur que lui offre son art. Il avance ainsi, Éric Laugérias. Enthousiaste, curieux, passionné et passionnant.
« Quand je monte sur scène et que je vois dans l’oeil de mon partenaire s’allumer cette étincelle qui dit : « Allez, on déconne ! On joue ! » , les projets qui se sont cassés la gueule, je les oublie, c’est pas grave. Parce que pendant une heure, une heure et demi, l’énergie qu’on a entre nous, l’énergie de ces gens qui sont là dans la salle, qui sont émus, qui rigolent, c’est d’une puissance !… À partir du moment où on est là, tout le reste on s’en fout !
J’ai fait mienne cette phrase merveilleuse de Michel Bouquet qui dit : « Jouer est un jeu. »
C’est tellement ça. Ce n’est que ça. C’est magnifiquement ça ! »
O.D
Vive Bouchon ! Une comédie de Jean Dell et Gérald Sybleiras, mise en scène par Éric Laugérias. Avec Yvan le Bolloc’h, Julien Caffaro, Nathalie Corré et Sébastien Pierre. Au théâtre du Splendid.
N’écoutez pas Mesdames, une pièce de Sacha Guitry, mise en scène par Nicolas Briançon. Avec Michel Sardou, Carole Richert, Patrick Raynal, Éric Laugérias, Laurent Spielvogel, Michel Dussarrat et Dorothée Deblaton. Au théâtre de la Michodière.