Nicolas Cazalé : Intense d’Instinct

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Révélé hier chez Gaël Morel, flic chez les narcos dans Overdose de Marchal l’an passé, et aujourd’hui prêtre gitan dans Magnificat aux côtés de Karin Viard, Nicolas Cazalé imprime depuis vingt ans petits et grands écrans de sa présence hautement magnétique. Rencontre avec un aimant.

 

Ça ne s’explique pas. On peut discuter, disséquer, prendre du recul, y revenir, tenter des pistes, oser des comparaisons, ça ne s’explique pas.

Il y a des acteurs dont la simple présence est déjà un moment de cinéma. Des acteurs qui sans même dire un mot mangent tout l’écran. Dont on se dit que la caméra les aime d’amour et les a aimés dès le premier jour. Nicolas Cazalé est de cette famille.

Et le chemin qu’il trace depuis un peu plus de vingt ans raconte autant l’artiste qu’il est devenu que l’homme qu’il veut être. Libre de ses choix de tourner ou de peindre. Curieux de se voir toujours ailleurs et autrement. Soucieux de ne pas ronronner en rond, de ne jamais s’abonner à la facilité. Comme en témoignent les rôles que lui ont notamment confiés Stéphane Giusti, Gaël Morel, Coline Serreau, Regis Wargnier, Frédéric Fonteyne. Tout dernièrement, Virginie Sauveur. Et juste avant, Olivier Marchal.

Prêtre gitan dans Magnificat, flic martyr dans Overdose, les contrastes à l’évidence font sa joie de jouer. Tout comme les voyages intérieurs auxquels ils l’invitent. Passé le temps long de la réflexion et de la construction, vient alors celui, fulgurant, qui l’absorbe tout entier, du jeu et du plaisir pur.

Nicolas Cazalé-Intense d'Instinct-1-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

« Je ne dis pas que je ne le ferai pas, ou que ça ne m’intéresserait pas de le faire, mais sortir des pavés de vingt lignes explicatives, c’est pas mon truc. Moi, j’aime quand il faut aller chercher de l’émotionnel. »

 

« Je suis très très mauvais en casting, je crois que je n’ai jamais décroché un rôle en ayant passé un casting… En revanche, sur un plateau, à un moment donné, il y a un moment de vérité qui commence à « Action ! » et qui se termine à « Coupez ! » …. Et c’est un moment de vérité que je vis comme un pur moment de liberté… Et je me sens libre parce que j’ai beaucoup préparé…

Je marche beaucoup par projection… Quand je lis un scénario, que je me plonge dans une scène, j’ai le film qui se met en place dans ma tête et j’arrive à me construire l’image mentale optimale de ce que je veux faire… Et entre « Action ! » et « Coupez ! », c’est le moment pour moi de l’atteindre…

Et je sais tout de suite, pas sur le moment mais juste après, si j’ai été à la bonne place ou pas… C’est quelque chose de très très intérieur… Pendant la scène, je suis dedans et je suis incapable de juger mon partenaire mais à « Coupez ! », je sais si on y était ou si on n’y était pas… Il y a une résonance, une joie intérieure qui naît ou ne naît pas… Ça marche aussi dans la communion avec le ou les partenaires, c’est quelque chose de très instinctif sur le moment… 

Je fais de la peinture aussi et il y a quand même des liens par rapport à ça… Quand je commence un tableau, je sais exactement où je veux arriver et je vais savoir le moment où j’y suis  arrivé… Je découpe, je colle, je réécris et je repeins par dessus, ça peut prendre du temps, beaucoup de temps jusqu’à un moment où je vais poser un point rouge et je sais que ce sera le dernier… Je le sais, pas parce que l’image me plaît, mais parce ce que je sais que c’est terminé…

Et quand je joue, c’est la même chose… Je sais si j’ai réussi à atteindre cette image un peu miraculeuse que je me suis construite… Et je sais que je suis capable d’aller très loin, je n’ai pas de limites sur les scènes…

Je ne dis pas que je ne le ferai pas, ou que ça ne m’intéresserait pas de le faire, mais sortir des pavés de vingt lignes explicatives, c’est pas mon truc… Moi, j’aime quand il faut aller chercher de l’émotionnel, je ne parle pas forcément de pleurer, de crier, de hurler, de vomir, mais c’est l’émotion qui m’intéresse…

De ce point de vue, oui, pour Reynal, le flic sous couverture que j’incarne dans Overdose, les mots sont presque superflus… Parce que c’est un personnage sublime, j’en aurais voulu encore plus (sourire) ! C’est rare d’avoir à interpréter un personnage comme ça !… Parce qu’il est riche de mille choses, il marche sur un fil…

J’ai regardé des documentaires sur des types qui ont été infiltrés pendant trois, quatre ans, dans des gangs de motards au fin fond des États-Unis, et qui te racontent leur expérience, ils reviennent jamais, en fait ! C’est trop intense émotionnellement ! Ça veut dire que t’as pas le droit à l’erreur, sinon tu y passes ! Et toute ta vie, chaque seconde, elle peut basculer… C’est pas une vie…

Et mon personnage, c’est ça… C’est comme ça que je l’ai construit… Pour moi, dès le début, il sait qu’il est condamné…  Dès le début, il sait qu’il a une mission, il faut qu’il y arrive mais il sait qu’il s’en sortira pas… C’est un aller simple, son dernier voyage… Donc, oui, il y a une intensité à aller chercher…

C’est un personnage de rêve ! Il faudrait faire un préquel avec lui (sourire) ! On pourrait faire une série avec lui (sourire) ! Il y a moyen de creuser (rires) ! »

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(Nicolas Cazalé-Reynal-dans le film Overdose d’Olivier Marchal) ©Jean-Marie Marion

« Mon père m’a conduit à la gare pour Paris. Dans sa tête à lui, j’allais redescendre dans six mois. Je ne suis jamais revenu. »

 

Avant l’acteur, il y a eu le môme. Élevé ses dix premières années par sa grand-mère dans un petit village des Pyrénées-Atlantiques, c’est dans un autre petit village du Lot-et-Garonne qu’il a ensuite grandi. Ce qui explique aujourd’hui encore son besoin viscéral de campagne et qu’il sache répondre à l’appel de la verte.

Sans être franchement fâché avec les études mais sans non plus avoir attrapé un coup de soleil pour l’école et le bahut, c’est d’abord avec le sport qu’il s’est ouvert aux autres. Comme tous les ados du monde, foot et judo. Comme tous les minots d’Ovalie, rugby aussi.

Et c’est parce que ce jour-là, il n’avait vraiment rien d’autre à faire et que la copine qui l’avait invité à la suivre à son cours de théâtre était jolie, qu’il a su comment il allait écrire la suite de son histoire.

« Je me souviens très très bien de ce moment, c’était hyper fort… J’ai une copine, un samedi, qui me dit : « Écoute, viens me voir, je fais du théâtre. » Je lui réponds : « Non, je ne vais certainement pas aller te voir faire du théâtre dans ta salle polyvalente pourrie (rires) ! »  

Après, c’est un concours de circonstances, il se trouve que je me suis fait virer de mon équipe de hand, mon match de foot est annulé… La meuf, je la kiffe… Donc, j’y vais… Je m’assois sur une chaise, il y avait quasi que des vieux et sur la scène, ils font une espèce de jeu,  le jeu de la bouteille, ils fermaient les yeux, ils se laissaient tomber et les autres, derrière, les récupéraient…

Et je sais pas ce qui m’a attiré mais je me suis dit : « Ça, c’est ma vie ! Moi, je veux faire ça ! Je veux fermer les yeux, tomber et on me rattrape (rires) ! Ça a l’air magnifique ! » Et ma chance, c’est qu’avec la prof de théâtre, ça a collé très fort et je lui ai dit : « Moi, je veux faire ce métier ! »

Elle me prend sous son aile, elle me  fait travailler des textes… Je veux monter à Paris, faire une école de théâtre, préparer le concours du Cours Florent… Et tout ça, je le fais en sous-marin, parce que dire à mon père que je veux être acteur, c’est inconcevable !

Arrive le bac, tout le monde remplit des souhaits, la fac à Agen, le Droit… Et moi, je garde la feuille dans ma poche… Je monte à Paris, je passe l’audition pour Florent, soit-disant je venais voir mon oncle (sourire), je  décroche le truc…

Mon père tenait un commerce, juillet, août, je bosse avec lui, je gagne trois mille francs, et je lui dis qu’il faut qu’il me dépose à la gare, que je monte à Paris… Il m’a dit ok, il m’a conduit à la gare, et je crois que dans sa tête à lui, j’allais revenir dans six mois… Je ne suis jamais revenu (sourire)…

Je passe une première année de merde, je déteste Paris, je déteste les cours de théâtre, je ne me fais aucun pote ou très peu… Et je passe une audition pour l’Avare, je suis pris, et je pars jouer la pièce en Guadeloupe pour les enfants…

L’expérience de théâtre est géniale mais, surtout, je découvre le voyage !… J’oublierai jamais… Les odeurs, la moiteur, le poulet grillé sur la route… En plus, on arrive de nuit, je suis transporté dans un autre monde !

Moi, je venais de la campagne profonde, j’avais jamais voyagé, la première fois que j’avais pris le train, c’était pour monter à Paris… Et là, c’était la première fois que je prenais l’avion ! J’avais vingt piges… À mon retour, j’ai dit : « Je me casse. Ton rêve de théâtre, c’est pas grave, ce sera pour plus tard. Moi, je veux voyager ! » Ce que j’ai fait pendant cinq ans…

Parce que je voulais me découvrir moi… J’étais trop perdu à cette époque-là, dans une espèce d’océan émotionnel… J’avais besoin de mettre de la distance avec tout le monde, d’avoir mes propre expériences, de vivre des choses, de me remplir… Et peut-être un peu aussi de faire la paix avec moi-même… »

Nicolas Cazalé-Intense d'Instinct-3-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

« Olivier Marchal ?… Honnêtement, quand on aime le cinéma, qu’on est acteur, Olivier Marchal, on va pas se mentir, c’est un monument ! Il a renouvelé quelque chose qui était fort en France et qui avait disparu. »

 

« Et à un moment, comme je te le disais avec mes tableaux, quand tu sais que c’est fini, j’ai senti que c’était mon dernier jour, qu’il fallait que je rentre à Paris et que je vive mon rêve…

J’ai trouvé un agent, j’ai passé des castings, j’en ai loupé deux cents (sourire)… J’ai rencontré Gaël Morel, « Les Chemins de l’Oued », « Le Clan », et puis « Le Grand Voyage » d’Ismaël Ferroukhi, et après « Le Fils de l’Épicier » d’Éric Guirao…

Entre vingt et trente ans, je bosse énormément, je m’éclate, je fais des rencontres, je me trouve, je suis heureux de vivre de ma passion, je suis nommé aux Césars… Je suis pas tout à fait en paix avec moi-même mais ça va, je trace ma route… J’ai trouvé quelque chose qui me donne envie d’avancer (sourire)… 

Le film avec Olivier Marchal est arrivé à un moment de ma vie un peu particulier parce que ça faisait presque douze, quatorze ans que je n’ai quasiment rien fait, par choix… Et puis, il y a un an et demi, j’ai envie de revenir sur les plateaux, j’ai le sentiment d’avoir fait le tour de ce que je voulais découvrir pendant cette pause, et Olivier me fait une promesse qu’il tient et je me retrouve sur « Overdose »… Pour moi, c’est un cadeau !

Olivier Marchal ?… Honnêtement, quand on aime le cinéma, qu’on est acteur, Olivier Marchal, on va pas se mentir, c’est un monument ! Il a renouvelé quelque chose qui était fort en France et qui avait disparu… Il est arrivé, il a tout cassé… Il est venu avec une vérité, un background, il a mis ça en image avec des acteurs sublimes… Moi, j’ai été absolument bouleversé par « MR-73 » , c’est un film que j’adore…

Et puis, Olivier c’est une générosité, un amoureux du cinéma… Quand on t’appelle pour te dire qu’Olivier Marchal a envie de te rencontrer, il est sur un projet… Eh bah, on y va ! On y va et c’est tout (rires) !! Et ça a été une rencontre magnifique ! 

Belle rencontre aussi avec Karin Viard, une grande actrice vraiment, vraiment, avec qui je joue dans « Magnificat » de Virginie Sauveur, une metteuse en scène que j’adore ! Que j’avais rencontrée sur une série pour Arte, et qui est comme une soeur…

Ce qui m’embarque aujourd’hui ?… C’est ce qui me fait peur.. Là, j’y vais tout de suite !… J’ai envie d’avoir peur, d’avoir la boule au ventre, j’ai envie de me transcender, d’aller chercher plus haut… J’ai vraiment besoin de ça ! D’avoir la frousse ! »

Nicolas Cazalé-Intense d'Instinct-4-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Nicolas Cazalé a donc repris le chemin de ses rêves, et d’autant mieux qu’il a pris le temps de vivre sa vie d’homme et de s’accomplir. Le funambule se sait toujours sur un fil et n’ignore pas la colère qui longtemps l’a consumé, mais il a appris à en faire une servante docile.

Quant à la pause qu’il a prise pendant un peu plus de dix ans, elle lui a offert ce qui à ses yeux demeure le plus beau rôle de sa vie. Celui de père. Une première et une seconde fois.

Pour rien au monde, il ne serait passé à côté de ces moments clé, intenses et passés comme dans un songe, où l’enfant qui parait laisse entrevoir l’adulte qu’il deviendra. Où le regard qu’on pose alors sur lui, l’écoute qu’on lui donne, fixent son cap de bonne espérance.

Pour en avoir été lui-même privé et l’avoir cherché, il n’a que trop bien compris que c’est dans ces instants simples et magnifiques que se trouve le vrai bonheur. Et ça, ce n’est pas du cinéma. Juste la vie, quand elle a du sens.

O.D

Magnificat, un film de Virginie Sauveur. Avec Karin Viard, François Berléand, Patrick Catalifo, Nicolas Cazalé… En salles depuis mercredi 21 juin.

Overdose, un film de Olivier Marchal. Avec Sofia Essaïdi, Alberto Ammann, Assaâd Bouab, Simon Abkarian, Nicolas Cazalé… Toujours disponible sur Amazon Prime.

 

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