Hadrien Raccah n’écrit pas seulement comme d’autres respirent, les histoires qu’il compose donnent tout son sens à la sienne. Rencontre avec un jeune homme dont les mots font la voie.
Longtemps, il a attendu. Un temps, il s’est cherché. Souvent, il a douté. Aujourd’hui, c’est à se demander s’il s’appartient encore tout à fait. À quelques longueurs à peine de la première d’ À la Barre, le très attendu seul en scène de l’avocat Me Éric Dupond-Moretti, Hadrien Raccah a le sommeil à découvert et ne voit le jour que par intermittence. Ce moment de théâtre l’absorbe depuis des mois et ces dernières semaines il s’est consumé dans le travail d’écriture et de création. Des heures intenses et fiévreuses à savourer le bonheur d’être enfin à sa place.
« C’est d’abord un soulagement ! (sourire) J’ai commencé ce métier il y a quinze ans, écrit ma première pièce à dix-neuf ans. J’ai longtemps été dans l’ombre. Je me suis posé beaucoup de questions, j’ai eu plein de doutes. Comme si j’avais marché pendant des années dans un couloir sans savoir où j’allais, même si, étrangement, j’avais la quasi-certitude que ça allait fonctionner. Je ne sais pas d’où ça vient. Sûrement de l’amour de mes parents. Ce qui m’arrive aujourd’hui, c’est ce que j’ai toujours attendu. Ça arrive enfin. Ce que je vis tient du miracle. »
Quand il repense à ses premiers temps, Hadrien Raccah se souvient surtout d’une vie peinte en gris. Comme l’étaient tout à la fois son quotidien et la ville de la banlieue parisienne où il habitait.
« Et puis un soir, j’ai quinze ans, j’ai toujours été insomniaque, un film passe sur une chaîne du cable, en noir et blanc, « un Tramway nommé Désir » . Je vois Marlon Brando sous un balcon hurler « Stella !!! » Je tombe amoureux de quelque chose qui me transperce, qui me bouleverse. Et je me dis : « C’est ça que je veux faire, je veux être acteur ! »
Je vois le film trois fois, je deviens fou de cinéma. Marlon Brando me mène à Elia Kazan, à Tennessee Williams et je découvre tout un monde, l’Amérique des années 50, mon quotidien n’a plus d’importance. C’est un moment de ma vie où je me bats beaucoup, obligé de me mettre à la boxe pour me défendre, mais tout d’un coup ça n’a plus aucune importance.
Je découvre « le Parrain » , « les Affranchis » , « Il Était une fois en Amérique » , ça me donne du courage dans ma vie personnelle, je ne laisse plus personne me manquer de respect. C’est très étrange mais le cinéma m’a sauvé !
Je découvre les mots, leur portée et ça aussi, ça change totalement mon prisme. À seize ans, je ne sais pas combien de temps ça va me demander ni la forme que ça va prendre, mais ça bouleverse mon quotidien, ça change ma vie. »
Avant d’intégrer Science Po, ses parents lui offrent de se tester. Il en rêve, ils lui proposent donc de passer quelque temps au Cours Florent. Il y écrit Terminus, une courte pièce, et laisse jouer ses condisciples qu’il juge meilleurs acteurs que lui. Son professeur Anne Bouvier ainsi que Guillaume Gallienne, qui faisait partie des comédiens invités par l’école à découvrir le travail des élèves, le félicitent et l’encouragent à faire plus long. Ce qu’il fait l’été venu. La pièce est primée trois mois plus tard par le ministère de la Culture. Il crée ensuite sa propre structure de production, trouve le théâtre et les comédiens pour la jouer. Il récidive avec la Dernière Nuit, Grand Prix du ministère de la Culture et une formidable aventure théâtrale qui durera six mois.
« C’est moi qui produisais, je prenais des risques financiers mais j’avais l’impression d’être vivant ! J’avais mis mon adolescence entre parenthèses, je n’avais pas beaucoup d’amis, je ne sortais pas beaucoup non plus. Les préoccupations des ados de mon âge ne m’intéressaient pas du tout. J’avais toujours cette impression de décalage. Mais là, sur scène, à écrire et raconter des histoires, j’avais trouvé ma place !
Je me souviens d’un soir. C’était après une représentation de Terminus. Une vieille dame est venue me voir, elle m’a pris dans ses bras, en larmes, et m’a dit : « Merci jeune homme. Parce que l’espace de quelques instants, j’ai revu mon père qui est mort dans les camps. » J’ai pensé que si une personne me disait ça, c’est que ce que je faisais avait une nécessité, que c’était utile. J’ai aussi compris la portée du théâtre. Et puis écrire, pour moi qui étais tourmenté, c’était habiter un autre monde. Celui que j’avais créé… Ça a été une thérapie extraordinaire. »
Écrire pour se supporter, écrire pour simplement vivre et museler ses démons, c’est ainsi qu’il avance, Hadrien Raccah. En noircissant ses pages blanches, en blanchissant ses nuits noires. Il ne comprend pas toujours bien ses contemporains mais il les observe, il les écoute et saisit parfois au vol l’idée de ses histoires. Comme l’Invitation, qui réunira en avril, au théâtre de la Madeleine, Lucie Jeanne, Gad Elmaleh et Philippe Lellouche. Ce dernier parle d’ailleurs de lui comme on peut parler d’un petit frère.
« J’ai d’abord trouvé le mec étonnant, intelligent, rapide. Ensuite, j’ai lu ce qu’il écrivait et j’ai vu tout de suite son talent d’auteur. Il est très viril Hadrien, ce qui pour moi n’est pas bêtement machiste, viril dans ses convictions, dans sa parole et son sens de l’amitié. C’est quelqu’un d’extrêmement droit, du coup ça en fait un écorché vif. Et il sait remarquablement écrire les naïfs.
Hadrien, c’est Feydeau qui rencontre Francis Weber. Il y a à la fois un classicisme et un modernisme absolus, et puis un humour fin qui nous fait rire. Gad (Elmaleh-ndlr) était épaté quand on a fait la première lecture de l’Invitation, tout ce qu’il sentait qu’il fallait écrire après une réplique, Hadrien l’avait déjà écrit… ça l’a sidéré. À la fin, Gad a refermé le truc et il a dit : « Philippe, on la joue nous ! »
Hadrien Raccah sait la douleur de la colère. Il a même longtemps pensé qu’il n’était pas fait pour le bonheur, voilà que cet espiègle déboule dans son existence. Les bouffes entre potes, il voyait ça au cinéma. Les soirs d’été avaient le même goût d’ennui mortel que ses matins d’hiver. Il trouve aujourd’hui que la vie a du charme et de l’humour.
« Philippe m’a tendu la main à un moment où c’était très compliqué dans ma vie. Je perdais espoir et j’ai eu cette grande chance. Il a vu en moi ce que j’étais sur le point de ne plus voir. Ça été un tournant. J’ai découvert les grandes tablées, les grandes discussions jusqu’à trois, quatre heures du matin. Moi qui me sentais différent, jamais bien à ma place, j’ai rencontré des gens passionnants, et qui eux aussi avaient des fêlures.
Bien-sûr, j’étais encore dans le dur, au RSA, le frigo vide, mais mon quotidien était riche ! Depuis deux, trois ans, je vis une aventure qui est humainement extraordinaire ! Et ça me permet aujourd’hui de voir la vie vraiment différemment, d’aimer une femme pour les bonnes raisons, de pouvoir envisager les gens avec plus de bienveillance. »
Tombé du ciel il y a trente-quatre ans, Hadrien Raccah a d’abord appris à écrire. Ensuite, il a appris le bonheur de vivre. Et il n’est qu’au matin de sa vie. L’aube est prometteuse et ce garçon qui a tellement à dire, juste quelqu’un de bien.
O.D
À la Barre, un seul en scène théâtral de Me Éric Dupond-Moretti, co-écrit avec Hadrien Raccah et mis en scène par Philippe Lellouche. Du 22 janvier au 24 février.
L’Invitation, une pièce d’Hadrien Raccah, mise en scène par Philippe Lellouche. Avec Lucie Jeanne, Gad Elmaleh et Philippe Lellouche. Du 3 avril au 11 mai.
En vous lisant, je viens de découvrir un auteur passionnant qui a su faire de sa vie , une pièce de théâtre remarquable.
Raymond Mustacchi, peintre-auteur