Journal d’une Pandémie : Seuls sans Scènes-4

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À l’invitation de Paris Bazaar, des artistes racontent ici leurs vies sans vous et disent comment la pandémie a durablement affecté leur quotidien. Entre frustration, colère, angoisse et incompréhension, se dresse l’état des lieux d’un monde qui s’accroche pour ne pas sombrer.

Je suis Chloé Froget, comédienne, metteur en scène et co-gérante la Compagnie Le Jeu du Hasard.

J’attendais cette année 2020 avec l’impatience d’un enfant la veille de Noël. Le spectacle Aime comme Marquise, que j’ai mis en scène et dans lequel je joue, devait débuter une tournée magnifique en Chine, au Maroc, en Nouvelle-Calédonie, en Suisse et partout en France, à partir du mois de février 2020.

Je devais également commencer les répétition d’une nouvelle création théâtrale, Sur un air de Tango, mise en scène par Pascal Faber et Bénédicte Bailby, qui devait voir le jour au Festival OFF d’Avignon 2020, tout en continuant de jouer les autres spectacles toujours en tournée : Foutue Guerre, Le Voyage de Reinette et d’autres qui devaient être créés. 

Et patatra… L’arrivée du Coronavirus a annulé purement et simplement l’intégralité de ces projets artistiques, humains, et vibrants. Une grande déception bien sûr, mais surtout un grand désarroi face à cette situation inconnue et imprévisible.

Outre l’annulation de l’intégralité de ces spectacles aux dates prévues, il a fallu gérer les possibilités de report (ou non), les changements d’administration suite aux élections du mois de juin 2020, les disponibilités floues de chacun (artistes, techniciens, théâtres…), la formation de nouveaux acteurs pour palier les indisponibilités nouvelles de certains.

Cela représente le double de travail, d’énergie dépensée, et d’organisation à chaque espoir de réouverture des théâtres, sans aucune finalité. Garder le moral, respirer, y croire, sourire et recommencer. Une année chamboulée par l’incertitude, et les décisions gouvernementales radicales, prises parfois du jour au lendemain. 

En résumé, depuis le 15 mars 2020, j’ai eu le bonheur d’être sur scène trois fois. Trois fois seulement. Trois petites fois où je me suis sentie chanceuse de travailler. Trois petites fois où, jusqu’à la dernière minute, j’avais la boule au ventre que la représentation n’ait pas lieu. Un partenaire symptomatique, un cas contact dans l’équipe du théâtre, une nouvelle restriction de jauge, un couvre-feu ou un préfet ou un maire frileux ou inquiet d’un cluster…

Oui, j’ai beaucoup de chance : j’aime mon métier. Mais même si je l’aime, il s’agit bien d’un travail. Un travail qui me nourrit comme il nourrit des milliers d’autres personnes. Un travail qui est nommé « la Culture ». Qu’on résume souvent aux activités extra-scolaires des enfants, aux loisirs de certains, au simple amusement distrayant d’écouter de la musique, de s’émouvoir devant un film, de s’émerveiller devant spectacle, ou de s’éterniser devant une œuvre lors d’une exposition. On omettant malheureusement l’énorme industrie qui se cache derrière ce mot « Culture », et les milliers de personnes qui travaillent pour la faire exister et perdurer.

Après la colère, le sentiment d’injustice, la déception, le désarroi et la lassitude, je pense qu’est venu le temps de la considération. Depuis plusieurs semaines, les référés-libertés et autres démarches entreprises auprès du Conseil d’État et de notre Gouvernement ont prouvé l’iniquité des procédures de fermetures des théâtres, des cinémas, et des musées face à celles mises en place dans les lieux de cultes, les centres commerciaux et j’en passe.

Le message envoyé nationalement est terrifiant : « la Culture est non-essentielle ». La Culture est moins importante que de prier ou de s’acheter un vêtement. Les milliers de personnes travaillant dans l’industrie culturelle sont moins importantes que celles travaillant dans les autres domaines.

J’attends qu’on me redonne une légitimité. Une légitimité à faire mon travail, comme je le fais depuis de nombreuses années.

Depuis la fin du premier confinement, les lieux accueillant du public ont développé une énergie folle pour respecter et faire respecter des règles sanitaires draconiennes, au risque d’ouvrir leurs lieux à perte, afin de sauver une partie de l’industrie culturelle. 

Ouvrons ces lieux. Il ne s’agit pas là d’une inconscience face à la situation sanitaire, mais au contraire, d’une conscience aigüe de la crise sociale, économique et morale vécue par nombre de travailleurs. Ouvrir un théâtre n’est pas plus dangereux qu’un métro bondé, un magasin de jouets à Noël, ou une messe dans une église.

Le Gouvernement a fait part de son inquiétude, non pas d’ailleurs pour les salles accueillant du public, mais plutôt pour les rassemblements que cela entrainerait avant et après les représentations. Je crois qu’il est possible, comme dans n’importe quel magasin, de trouver des solutions pour créer des files d’attente respectueuses des règles sanitaires.

Les foules n’afflueront peut-être pas les premiers temps : la peur du virus, l’attente du vaccin, l’inconnu…  Mais perdre l’habitude d’un rendez-vous artistique, d’un contact humain même masqué, du lien social, me semble bien plus inquiétant. Ou alors elles afflueront, ces foules. Prouvant, dans le même temps, le besoin viscéral que nous avons tous, spectateurs de tout âge, de découvrir, de rêver, d’apprendre, et de nous divertir. 

À défaut d’ouverture, il faut aider massivement, financièrement, le secteur de l’industrie artistique et culturelle, qui, au même titre que les restaurateurs (entre autres), connait une crise économique bien plus violente que nombre d’autres secteurs dont les activités ont pu perdurer grâce télé-travail et reprendre au sortir des confinements. 

De plus, le dispositif de « l’année blanche » pour les intermittents (du spectacle ou encore de la restauration, et autres domaines) mis en place jusqu’au 31 août 2021 doit être prolongé. Cette mesure prenait en considération la situation arrêtée au mois de mai 2020.

Nous sommes dorénavant au mois de janvier 2021, et nous avons dans l’intervalle vécu un second confinement, un couvre-feu et des fermetures de salles de spectacle. Cette mesure doit prendre en compte ces nouveaux évènements et prolonger « l’année blanche » au moins jusqu’au 31 décembre 2021, dans l’espoir que l’activité puisse reprendre d’ici-là.

Quoiqu’il advienne : il faut donner de l’espoir. Car tuer les rêves des créateurs artistiques, c’est tuer l’Art, c’est tuer la Culture.

Et La pandémie ne peut pas et ne doit pas gagner sur la Culture.

Chloé Froget

 

Journal d'une Pandémie-Michael Hirsh-ParisBazaar-Marion

©Jean-Marie Marion

Je m’appelle Michaël Hirsch, je suis humoriste, auteur, comédien… c’est-à-dire en cette période : « multi-non-essentiel en attente ». En attente, car évidemment mes activités professionnelles dépendent de la réouverture des salles de spectacle.

Ce qui est probablement le plus difficile pour moi, c’est que mon métier, c’est aussi ma façon de m’exprimer et donc d’exister au monde. Ne pas pouvoir être sur scène, représente donc bien plus que simplement ne pas pouvoir travailler.

Ressentir le frisson du spectacle, le partage d’émotions avec les spectateurs, entendre les rires du public, tout cela me manque terriblement.

Bien sûr, la situation actuelle rajoute beaucoup d’incertitudes et de précarité à un métier qui n’en manquait déjà pas… Mais plus que d’être qualifié de « non-essentiel », ce qui me peine le plus dans ce moment que nous traversons, c’est d’être privé d’explications claires sur les décisions prises.

Cela rend chaque report de la réouverture des salles plus douloureuse car je me sens comme balloté et chahuté. La frustration qui découle de cela, et que que je ressens comme un manque de considération, m’est au final plus pénible que la non-réouverture des salles elle-même.

Fort heureusement, il y a une très grande solidarité parmi les professionnels du spectacle vivant et qui s’est merveilleusement illustrée ces derniers mois. On s’appelle, on se soutient, on s’entraide. Cette bienveillance, cette compréhension, ce soutien mutuel me rendent fier de faire partie de ce monde-là.

Le soutien vient également des spectateurs dont nous sommes hélas éloignés. J’ai reçu beaucoup de messages qui m’ont bouleversé. Et puis, la technologie m’a permis de me créer une petite scène, qui bien sûr ne remplace pas le spectacle vivant en chair et en os.

Ainsi, j’ai profité de ces moments hors des théâtres, pour créer des sketchs en vidéo, pour partager des pensées quotidiennes sur les réseaux sociaux et pour organiser aussi des lectures quotidiennes d’oeuvres en vidéo et en direct qui s’appelle Prenons un peu d’Auteur.

C’est une autre manière d’exercer mon métier, une manière d’apporter un peu de bonne humeur, de positif à ceux qu’on ne peut par réunir dans le réel. Ça permet de se sentir utile et de partager avec les spectateurs derrière leurs écrans des émotions qui sont, elles, bien réelles.

Michael Hirsh

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