Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
L’Isabelle de cette Histoire
Quand on tape la biographie d’Isabelle Boulay sur Google, on ne parle pas du tout d’une chanson phare de sa carrière, Le Saule, écrite avec mon compère Franck Langolff, et qui fut pourtant numéro 1 au Canada.
Isabelle était venue nous remettre à Franck et à moi son disque d’or, ou de platine je crois bien, dans un restaurant de la porte Maillot où elle et son manager Josélito Michaud avaient voulu qu’on fête ça. Isabelle enchaînait les éloges sur notre chanson, « Le Saule, le Saule, le Saule, on entend que ça à Québec !! » , elle nous répétait à table.
Franck fonctionnait au pinard depuis un petit moment déjà et je le suivais dans les proportions de deux tiers un tiers. Un tiers moi. J’avais du mal à suivre son rythme et je restais toujours en deçà de sa consommation. C’est un peu ce qui fait que je lui ai survécu.
Et puis ça s’est gâté. Isabelle a commencé à faire le tour de son album États d’Amour dont notre titre était la locomotive, ne péchons pas par excès de fausse modestie, et elle nous a balancé, avec son accent de Gaspésie :
-« Ah, Vrinzeus (Francis), Frink (Franck) quelle chinson le Sôôle mais y’a une chinson qué formidable sur l’albume c’est une chinson d’ Zazé (Zazie) : l’Héroïne de cette Histouaire. »
Je l’ai regardée, renfrogné réactif :
-« Euh… Isabelle, j’espère que c’est pas l’héroïne « Aaahhh » ( j’ai mimé l’extase admirative) et l’héroïne ( j’ai mimé la piquouze dans le bras) ? »
-« Si, comment teul l’sé ? » elle m’a dit.
-« Non, comme ça, j’ai dit, c’est parce qu’à 12 ans j’osais plus faire ce genre de double signifiant héroïne -héroïne. »
Elle s’est tournée vers son manager et lui a lâché :
-« Vrinzeus c’est tout à fait l’prototeup du Vrinzé (Français) râleur ! »
Forte de ce constat qui me classait dans les tendres grincheux alors que j’étais méchant et de mauvaise foi, elle a continué à encenser l’Héroïne de cette Histoire, au point de chanter le refrain a capella alors qu’on n’avait pas encore regardé la carte :
« Am stram gram pique et pique encore un gramme… »
La voix était belle et son charme planait dans le restau mais le texte me faisait poil à gratter.
-« Eh ben, c’est tout simplement à chier, j’ai dit, cassant l’ambiance. « Et cette chanson figure à côté de la nôtre sur l’album ? Ça m’emmerde vraiment cette promiscuité… »
J’avais toujours eu une aversion pour les jeux de mots dans les chansons. À part Gainsbourg et Bobby Lapointe. Quand on n’a pas vraiment d’idée de fond, on s’en tire avec un jeu de mots et on brode. Pareil avec l’encensement des disparus célèbres. Berger avait eu souvent recours, avec talent, à la léchouille de macchabées ( Ella Fitzgerald, James Dean, Tennessee Williams) mais c’était pas gratuit comme un jeu de mots pouët pouët qui est quand même une façon de botter en touche.
Langolff qui me connaissait bien a vu que je ne déconnais pas, que j’en avais rien à foutre des disques d’or, des awards et des décorations en poils de cul tressés. Il a fait le tour de la table pour venir embrasser Isabelle, rigolard, du style « n’écoute pas ses conneries, elle est super ta chanson sur l’héroïne ! »
Lui et moi on fonctionnait comme deux flics avec nos « interprètes ». Moi j’étais celui qui mettait la lampe dans la tronche du suspect pour le faire avouer et lui, il lui offrait une cigarette.
Et la bouffe est arrivée et Franck a commandé une autre bouteille de vin qui m’a rendu gai comme un canadien quand il sait qu’il aura de l’amour, encore de l’amour, toujours de l’amour…
Méchanceté et mauvaise foi, les deux mamelles du Basset
Fin des années 90 , Canal + avait créé un compartiment, Canal + Écriture, qui développait des projets envoyés par des auteurs. Sur à peu près 800 projets, ils n’en retenaient que trois. J’étais dans ces trois-là avec un synopsis que j’avais intitulé : « On achève bien les Chauves. » Les deux autres projets retenus étaient « Chroniques des Années de Baise » qui relataient le ciné X des folles années 70, avant la censure par la bien-pensance et le formatage moraliste, et « le Pacte des Loups featuring la Bête du Gévaudan » qui avait fait un carton au box-office.
Les Chroniques des Années de Baise ont dissuadé les frileux du fion et mes chauves ont intéressé fortement Gérard Lanvin, qui m’a finalement lâché pour une question de prod. Mais l’intérêt de cette aventure Canal + Écriture se situe dans mes rapports avec le mec qui me coachait pour mener mon projet à terme, François Cognard. Un grand spécialiste du scénar, incollable en ciné et à l’origine de Canal aux Etats-Unis.
Ce qui leur avait plu, à lui et à sa collaboratrice c’était mon style « rien à foutre de rien », débridé et sans concessions. Je voyais Cognard deux ou trois fois par mois pour une séance de travail à Canal. Là, il prenait mon texte et m’orientait, optimisait mon propos. J’apprenais beaucoup avec lui. Par exemple il me disait :
-« À quoi elle sert ta séquence 42 ? »
-« Ben, le mec sort de sa bagnole et remonte l’allée jusqu’à chez sa mère… »
-« On s’en fout. Cut. On le retrouve direct à table avec sa mère. »
Dans un autre registre, je mettais beaucoup de texte dans le genre : « Le mec se dit que finalement il la baiserait bien au paddock. » « Comment tu traduis ça à l’écran que le mec se dit qu’il sauterait bien la jockette ? » Il me mettait le nez dans mon pipi. « Ou bien on passe ça en voix off, mais c’est la solution de facilité parce qu’on l’a trop vu, ou tu le passes en dialogues avec quelqu’un. Un pote, le barman ou autre. »
Cognard m’a appris cette règle première au ciné : « Show don’t tell ! » Ne bavasse pas, montre !
Alors, je retournais à ma copie. Je m’appliquais. Un jour je me suis pointé pour une nouvelle séance de travail mais là du coup je voulais tellement faire bien et ratisser large avec un scenar qui touche tout le monde que j’avais perdu mon style, ma hargne et ma râlerie. Cognard avait rayé en rouge des dialogues entiers. « Qu’est-ce qui t’arrive Francis ? Qu’est-ce que c’est que ce sentimentalisme ça va pas du tout ?«
Il m’a pris entre quatre yeux- enfin trois, j’en ai perdu un avec un bouchon de champagne- et m’a lâché : « Ne fais plus jamais ça ! N’oublie pas qu’on t’a signé pour ta méchanceté et ta mauvaise foi. »
Dont j’avais usé plus haut avec Isabelle Boulay dans l’épisode de l’Héroïne.
Et il avait raison Cognard. Si j’avais dévié de ma nature profonde et que j’avais viré « tendresse de merde » de ma chanson Tue Moi, qui me fait vivre encore, comme la prod me l’avait demandé expressément, je vendrais peut-être des moules à l’heure actuelle. Moralité : rester immoral.
Mélenchon, t’as pas le monopole de l’Insoumise !
Quand j’étais plus jeune, et même en débordant un peu sur ces années, je me souviens que lorsque je plaisais à une fille, je m’arrangeais toujours pour la mettre en présence d’un mec que je trouvais super, que j’admirais dans certains domaines, et surtout, que je trouvais mieux que moi physiquement.
Quand c’était un pote à moi, j’allais même jusqu’à lui présenter, jusqu’à prendre le risque qu’il la séduise alors que j’étais très amoureux d’elle et que je ne voulais pas la perdre. En analysant avec le recul, je pense que c’était une forme d’honnêteté de ma part. Je ne voulais pas me « fourguer » à elle sans qu’elle ait toutes les données en main, sans qu’elle puisse avoir des éléments de comparaison. « A vaincre sans péril… »
J’ai l’air de me vanter avec mon honnêteté mais je me connais assez de défauts pour ne pas aller jusqu’au dolorisme et au misérabilisme de ne pas me sauver deux ou trois qualités.
On pourra m’opposer aussi que je suis joueur. Que j’ai aimé risquer mon amour. Mais c’est faux. Je ne suis joueur qu’aux courses, parce que mon virus est lié à la musique, à la guitare de mes rêves que je n’aurais jamais pu m’offrir sans avoir gagné gros la première fois que j’ai misé accidentellement sur un cheval. Je n’ai jamais misé un seul euro au casino, pas plus que je n’ai acheté un quelconque jeu à gratter au tabac du coin.
Je pense aussi que je trimballais ce putain de complexe social de ma mère polak du nord et mon père maçon qui passaient leur vie à « rester à leur place » et ont fini par m’instiller ça dans l’inconscient. Mais, toi ma femme, sache que je prends ça comme un atout. Maintenant j’ai toutes les armes pour te mériter. Je te veux fière et infiniment libre. Infiniment toi-même, indépendante et insoumise, sans aller jusqu’à Mélenchon. Ce serait de la gourmandise.
Francis Basset