La Bande Originale d’un Rock’ n’ Râleur : quand Johnny traînait la nuit

Johnny-Rock'n'Râleur-ParisBazaar-Basset

Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !

Jojo et la ménagerie

Mes rendez-vous avec Eddie Vartan pour lui présenter des chansons pour sa soeur étaient chaque fois une fête. J’arrivais à son bureau, rue Vignon aux éditions Tanday music, je lui déposais mes chansons et on allait déjeuner. Et là, le mot « déjeuner », donc ne plus être à  jeun, prenait toute sa signification. 

On commençait par deux ou trois kirs, c’est Eddie qui orchestrait, on continuait avec une bonne bouteille de pinard rallongée en verres « guest » pendant l’entrée et le plat, et on s’attardait à l’alcool de poire après le dessert. J’habitais à Rouen à l’époque et je reprenais mon train en anesthésie générale de la mâchoire tellement j’étais bourré. On aurait pu m’arracher les molaires, je n’aurais rien senti.

Un jour, j’ai dit à Eddy dans quel état je repartais après nos déjs et combien il métabolisait bien l’alcool parce que moi, malgré ma matrice polak, je n’arrivais pas à suivre. Il avait ri et m’avait dit que lui, à côté de Jojo- Johnny donc- était un petit garçon. Et il m’avait dressé une liste de spiritueux que l’idole pouvait ingurgiter. Et surtout dans quel état « d’esprit » il se retrouvait dans les troisièmes mi-temps en boîte.

Évidemment, il se faisait des copains qui ne demandaient que ça et au petit jour il leur disait : ‘Toi, faut que tu m’écrives une chanson !! » Les mecs étaient d’accord, tu penses bien ! Et Jojo allait se coucher. Mais c’est Eddy qui se tapait les paroliers d’un soir, le lendemain aux éditions. Un jour, il m’avait montré les textes qu’il gardait pour rigoler et surtout pour ce recul sur l’humain qu’il avait et qui le fascinait. 

Ces textes pour lesquels Jojo avait missionné ses potes d’une nuit étaient tous, sans exception, à base d’animaux : « Je suis un lion implacable, je suis un mustang déchaîné, je suis un loup sans concessions, je suis un aigle justicier, comme un léopard prêt à  bondir, comme un grizzly qui sort ses griffes » etc… que de la ménagerie. Ses « potes » occasionnels le percevaient comme ça. Les pros de ses chansons allaient plutôt dans la valeur sûre de la solitude : « Revoilà ma solitude, Je suis seul, Seul » ... pour ne citer que ces titres. Là, ils ne pouvaient pas se tromper parce que c’est vrai que Jojo avait horreur de la solitude et aimait toujours être entouré. Ça lui a d’ailleurs coûté très cher. Avec l’esprit anachorète, il aurait fait des économies faramineuses.

Toujours est-il qu’il avait résumé un jour ces deux tendances, solitude et animale : « Un rocker doit vivre comme un loup solitaire. » Mais il y avait une époque pour se permettre un tel rapprochement. On sait, hélas, aujourd’hui qu’on voudrait bien encore n’attribuer que le rock à ce loup solitaire.

Johnny-Bar-Rock'n'Râleur-ParisBazaar-Basset

La phonétique, le vrai juge de Paix

Dans les années 2000, des jeunes nanas ayant entendu parler de moi comme parolier m’avaient contacté pour prendre des cours d’écriture de chansons. J’aime pas trop ce truc de se bombarder prof parce qu’on a écrit une chansonnette qui a fonctionné. Faut plutôt remercier l’air du temps et le coup de bol d’avoir trouvé l’interprète juste dans le créneau où les gens étaient disposés à l’entendre. Bref, j’avais besoin de pognon et j’ai pris. 

Gentilles nanas, avec des classeurs tout propres et des stylos qui roulaient bien sur le papier vierge. Elles m’ont soumis ce qu’elles avaient déjà écrit. Beaucoup de système Goldman dans le style « Je te promets » ou bien «  Pour que tu m’aimes encore » J’irai branler ton chien jusqu’au fond de sa niche pour que tu m’aimes encore… Pauvre bête.

Qu’est-ce que je pouvais leur dire à ces filles sinon « ben voilà,  vous n’avez pas besoin de moi, le système a fait ses preuves » ? Mais non. Elles voulaient quand même que je leur donne deux ou trois ficelles du métier de parolier. 

Alors je prenais ma guitare et je leur chantais une mélodie en yaourt. Et je leur disais de coller des mots dessus. C’est romantique une nana. Y’en a une qui m’a trouvé ce vers dont elle était très contente : « Dans le ciel de mon amour, il est monté comme un aigle. » J’ai chanté la phrase et j’ai rentré les épaules sur « comme un aigle. »

« Voyez, j’ai dit à la fille, écrire des paroles de chansons c’est aussi et surtout veiller à la phonétique. Là par exemple, le « comme un aigle » peut vite déraper en « comme un nègre »… Dans le ciel de mon amour il est monté comme un nègre. Vous avez l’esprit mal placé ! elle m’a dit. Sûrement, j’ai répondu, mais y en aura beaucoup dans mon cas en écoutant vos mots ».

C’est pas par hasard si Flaubert disait son texte tout haut dans son « gueuloir » après l’avoir écrit. La phonétique c’est l’épreuve de vérité. Mais elle est restée sur ses positions. Comme cette autre qui m’avait soumis : « Dis-moi des mots dans l’oreille, juste un bruit doux » .

– « Vous le connaissez ? » j’ai demandé.

« Qui ça ?

– Justin Bridoux. .. Le bâton de berger…

–  Oh la la, oui, zut ! »

Et elle est partie en fou rire. À la bonne heure, le métier rentrait.

Mais y’a des phonétiques plus insidieuses où l’on risque la sortie de route. « Ramener » par exemple est un verbe délicat. Mal prononcé il peut fourcher en « ramoner« . Ainsi, cette autre qui m’avait proposé : « Mon prince charmant m’a ramenée chez moi. Ah oui, j’ai dit, comme ça vous êtes sur votre terrain »

Et encore dans le genre : « J’aimerais tant que tu sois là, à mes côtés » qui dérape en « mégoter » .

Y ‘ en a tellement qui sont là à mégoter. C’est vrai qu’on est de moins en moins débordés par la générosité. ..

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Attention, carte de visite

Avec Langolff, mon pote et mon « frère  » de toujours, quand on faisait les bals du temps de notre jeunesse chevelue on avait tendance à jouer fort. Surtout lui. Pourtant, j’avais un ampli Marshall et lui « seulement  » un ampli Mi. Du matériel français contre de l’américain, normalement ça ne faisait pas le poids. Eh ben oui. Il me couvrait, même.  

Faut dire qu’il avait un coup de patte redoutable sur sa Fender strato et surtout qu’au bout de trois bières, il avait besoin de s’entendre jouer. Comme si l’alcool lui niquait l’audition. J’étais obligé de le suivre si je voulais me faire entendre. Avant de commencer à jouer, on faisait des marques au feutre sur le potar « volume ». On s’interdisait de dépasser 4. Et au bout de deux heures et huit bières, Franck était à 9. Il gardait pudiquement un cran en réserve.

On jouait tous les deux en devant de scène. Lui avec sa strato, moi avec ma Gibson modèle Alvin Lee. Un soir, un mec en bas ne nous quittait pas des yeux pendant qu’on jouait. Il avait des moues dubitatives et des hochements de tête pas convaincus quant à  notre façon de jouer. Il restait en bas de la scène, bras croisés sur la poitrine et se caressant le menton. Franck et moi, on a eu l’impression de passer un concours au conservatoire. Et comme y’a pas eu de bagarre générale ce soir-là, il nous a observés jusqu’à deux heures du matin.

Quand on est descendus, une fois le bal terminé et la salle rallumée, il est venu vers nous et il nous a tendus à chacun une carte de visite sans un mot. On a lu, c’était écrit en lettres noires luisantes : Jean Pierre Mauduit- guitariste.

Il nous a toisés, style « Prenez ça dans vos gueules. Ça vous apprendra à  faire les malins avec vos grattes ! »

Et il s’est barré, toujours sans un mot. On était censés être morts de honte d’avoir continué à  jouer devant lui alors qu’il avait la qualité de guitariste.

C’était fou. Ce mec s’était fait faire des cartes de visite et c’était censé faire autorité. C’est comme si je m’étais fait faire des cartes de visite avec le libellé : Francis Basset-gynécologue détaché de l’OMS, et que je montre ça à des nanas dans la rue : « Excusez-moi mademoiselle, mais il faut qu’on s’isole quelques instants, y’a un virus qui boursoufle les grandes lèvres en ce moment, c’est très méchant. Vous allez me montrer ça… »

Le pire, c’est que le monde fonctionne sur ce mode-là. Je sais, tout le monde veut exister. Il est bien là  le problème.

Francis Basset

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