Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
T’es parti mon Ticky
Ticky Holgado nous avait contactés, Langolff et moi, pour qu’on lui écrive un album rock. Il était venu à Rouen, où Franck avait un studio d’enregistrement auquel il était fidèle, le studio Quasar, où d’ailleurs Vanessa Paradis avait enregistré Joe le Taxi.
Ticky voulait rire avec cet album. Ça tombait bien, nous aussi. Et dans ces années 90, la bien pensance n’était pas encore généralisé. On pouvait encore dire bite, cul, noir, pédé, gouine, arabe, sans être accusés de racisme, d’intolérance et traités de fachos.
Donc Ticky arrive, on s’était donnés rendez vous à l’hôtel de Dieppe près de la gare. Ticky avec béret et portable dont il usait et abusait. On boit des coups, on se renifle, on est d’accord Franck et moi sur l’esprit de ce qu’il veut faire. Je me souviens de la première chanson qu’on a concoctée pour lui, j’avais appelé ça les Gwinados. Ticky m’avait donné l’idée en nous disant qu’il venait de tourner dans Gazon Maudit, avec Alain Chabat, Josiane Balasko et Victoria Abril.
J’ai dit à Ticky: » Ben voilà, on va faire une chanson où tu dis que t’en as plein l’cul des « jusque broutistes », que finalement à tout choisir, tu préfères les chieuses. »
« T’es fou, il me dit, je veux pas me mettre les gouines à dos ! »
« Les gouines à dos, les gouines à dos, j’ai répété, ça sonne super, ça fait Mexicain! »
Et Langolff est parti là-dessus musicalement. On a trouvé un trompettiste pour faire les riffs couleur locale et moi j’ai embrayé sur les gouines à dos qui est devenu les gwinados. Et j’ai aligné les couplets sur la musique de Franck :
« J’veux bien passer pour un macho
Qui fait l’amour dans son auto
Tout en gardant son sombrero
Mais j’veux pas me mettre les gwinados
J’veux bien surfer comme un maso
En me faisant mal aux rouleaux
A Hawaï ou Acapulco
Mais j’veux pas me mettre les gwinados »
On s’amusait comme des gamins. On passait notre temps au studio, on se faisait livrer des pizzas. Ticky voulait déconner. Entre deux, il nous racontait ses anecdotes de carrière. Par exemple, quand il était secrétaire de Claude François. Il avait morflé. Comme tous ceux qui s’étaient retrouvés au service du bêle bêle bêle comme l’amour.
J’avais trouvé une autre idée de chanson. Dans le refrain, Ticky chanterait seulement ces trois mots : Elle vivait seule. J’aimais ce genre de formule à tiroirs. On se pose plein de questions. Pourquoi elle vivait seule cette pauvre femme? Et on a commencé à déconner. Et on a convenu qu’elle vivait seule parce qu’elle ne faisait rien pour s’arranger, se laissant aller aux McDo, sodas et pâtisseries. J’ai suggéré une musique un peu ringue à la Alain Barrière et l’esprit était là :
« Quand elle sortait de l’eau elle remplissait l’espace
Et la mer d’un seul coup semblait à marée basse
Elle avait une peau blanchâtre et détendue
Rougissant au soleil quand il tapait dessus
Je la vois quand le soir tombait sur Trebeurden
Et que je lui criais Alien pour qu’elle revienne
Elle vivait seule »
Tu m’étonnes ! Évidemment on avait l’air de s’en prendre aux femmes et de « stigmatiser » les obèses et les lesbos. Mais Dieu sait si on les aimait les femmes, Ticky, Franck et moi ! Qu’elles soient petites, grandes, boulottes, maigres, bi ou carnivores. On avait juste encore un permis de déconner, sans police de la pensée et sans politiquement correct brandi à chaque saillie comme un crucifix bardé de gousses d’ail à un vampire.
Ticky, Franckie, mon insouciance.
Sourire : Atout pas toujours Majeur
Pourquoi, que ce soit en politique, dans la pub, sur n’importe quelle affiche ou magazine de retape, le sourire est-il systématiquement exigé ?
Pourquoi ne pas laisser la décision de sourire ou pas à l’appréciation du concerné ? Ça change quoi de voir un faux-cul de base en train de dévoiler un clavier à 50 000 euros dans une vieille tronche ravagée ? Ça séduit qui ? Ça convainc qui ?
On va dire : « Oh il est sympa, il sourit ? » Non. On s’en branle. Pourquoi alors ne pas adopter des variantes, des alternatives à ce sourire-réflexe ? Par exemple des mimiques à la Buster Keaton ? Visage fermé ET sympa. C’est pas incompatible. Elle est sympa sa tronche à Buster. Même hermétique. Pourquoi toujours mettre en avant ce sourire niais de faux bonheur, de fausse empathie, de fausse béatitude face au monde?
Ce truc du sourire, c’est dans les idées reçues. Presque aussi dévastatrices que le politiquement correct. Laissons le sourire d’affiche ou de magazine à ceux pour qui c’est un atout majeur.
Hein, Delpech ? Ça te fait sourire mes conneries. Je le sens. Y’a bien un paparazzi du ciel qui va te le figer pour l’éternité ? Mais j’aimais bien ta gueule aussi quand tu la faisais. Et nos chansons aussi… quand on les faisait.
Tendresse de Merde
« L’artiste doit être son propre juge. S’il dialogue avec son oeuvre, c’est véritablement un artiste. S’il dialogue avec le public, c’est probablement un imposteur. » Ernest Gomrich. Spécialiste de l’histoire de l’Art.
Cette citation résume tout le différend entre les commerciaux-décideurs et les artistes. Les premiers se placent toujours comme ceux qui savent ce dont les gens ont besoin. « Balance -leur ça, coco, c’est ça dont ils ont besoin les blaireaux, ils sont stressés, cocus, surtaxés, ils ont besoin de se détendre ». Eh ben non, mon pote ! Ton étude de marché tu peux te la carrer dans l’fion !! Les gens il se trouve que ce dont ils ont besoin, c’est du ressenti de l’artiste !
Et c’est pas par hasard qu’il a ressenti ça, l’artiste à ce moment-là. Ça s’appelle l’air du temps, la conscience collective. Comme un médium, il sert de borne, d’intermédiaire. Souchon à ses débuts avait fait tiquer avec ses mots un peu supermarché : tapioca, potage, salsifis dans Le Bagad de Lan Bihoué. « T’as pas plus poétique ? Tu vas les faire fuir, ils ont besoin de rêver ». Ben non, ils n’ont pas fui. Ils ont adoré ET acheté le disque.
Rivat me racontait ses affres avec les Divorcés, écrit avec et pour Delpech. Personne n’en voulait en radio. On ne pouvait pas chanter « ça », trop tabou le divorce à l’époque. Pourquoi pas les échangistes ou les zoophiles, pendant que vous y êtes, les mecs ?! Ben oui, Rivat, en divorce à l’époque, avait tout foutu dans cette chanson. Parce que ça lui faisait du bien de purger le radiateur de son âme comme ça. Y’avait trop d’air dans ses canalisations affectives. Mais les gros malins décideurs ne voulaient pas de cette chanson. Ils avaient le zoom arrière sociétal, eux. On a vu le carton qu’a fait la chanson. Toujours cette propension castratrice des décideurs. Tellement peur d’effrayer le clampin, de le choquer. Mais non, il aime bien être choqué, figurez-vous, le mimile qui consomme. Il aime surtout quand ça sonne vrai.
« On » m’ a fait le coup avec Tue-Moi, écrite avec Langolff- encore lui- et qui a cartonné en France avec Pagny et au Canada avec Dan Bigras. « Elles sont bien tes paroles, m’a dit la maison de disques, mais tu me retires « tendresse de merde ». Ben non je n’ai rien retiré parce que pour moi la tendresse, par rapport à la passion amoureuse qui brûlait sous mes 35 piges, c’était un truc de pantouflard. Ça sentait le tournoi de dominos et les points fidélité Super U. En plus à l’époque, y’avait que ça dans tous les coins : « J’veux de la Tendresse », « Et la Tendresse, bordel ?!« , « Tendresse tendresse« , « la Tendresse« … toute cette tendresse cartonnait allègrement mais moi j’en voulais pas. Gavé du diktat tendresse. Alors j’ai laissé ma tendresse de merde dans mon Tue-Moi. Et j’ai bien fait. Sinon, on en vendait deux de ma chanson. C’est justement le truc qui interpelait à la fin de la chanson.
Déjà à l’époque, le consensus mou sévissait. Cachez ce poil de chatte qui dépasse du maillot, voyons mademoiselle ! Ah oui, c’est vrai. On ne dit plus mademoiselle, on dit madame.
Francis Basset
(Portrait de Ticky Holgado :©Jean-Marie Marion)