Avec les Deux Doigts dans la Prise, son nouvel opus, Sanseverino prend l’époque à contretemps. Un bonheur bienvenu !
Les temps sont durs. Comme un air de jour sans fin. Le masque, le rappel de vaccination, le pass sanitaire… Il n’est pas question de se prononcer pour ou contre et allumer une énième polémique aussi stérile que stupide, mais plutôt de regretter la vie d’avant. Parce que oui, c’était mieux avant.
Aujourd’hui, heureusement, les artistes sont là, plus que jamais, pour nous faire oublier toutes ces choses. Parmi eux, il y en un qui nous fait vraiment du bien : Sanseverino.
À soixante balais, il ne les fait franchement pas, le chanteur parigot sort Les Deux Doigts Dans La Prise, deux ans après un album de tango resté assez confidentiel, et un autre consacré au génial François Béranger, dont nous avions parlé sur Paris Bazaar. Et dès les premières notes, c’est la grande surprise.
Stéphane Sanseverino a rebranché sa guitare, ses amplis à lampes, et a demandé au batteur de jazz Stéphane Huchard et au bassiste François Puyalto, qui officie habituellement avec Emilie Loizeau, de l’accompagner.
Résultat, un énorme son avec Je N’En Veux Pas, des guitares tranchantes et un backing band impressionnant. La rythmique funk rock est assez décapante et s’enchaînerait presque naturellement avec le morceau qui a donné son titre à l’album, Les Deux Doigts Dans La Prise, dont la rythmique alterne entre funk et afrobeat. Avec le chant, on imagine que ce morceau aurait pu être composé pour le grand Jacques Higelin. Et puis, il y a ce niveau musical, avec ses nombreux breaks, qui est hallucinant et qui témoigne d’un savoir-faire inégalable.
Ça se confirme sur des morceaux comme Craonne, qui évoque la destruction du village de l’Aisne pendant la Première Guerre Mondiale, sur lequel la rythmique est logiquement martiale et la basse extrêmement violente.
Autre exemple du niveau musical de haute volée avec Au MEDEF. Inutile de préciser que ce n’est pas une chanson d’amour dédiée à l’organisation patronale, même si la rythmique afrobeat, avec un saxo omniprésent, est franchement festive et offre à qui sait l’entendre un joli foutage de gueule comme on les aime.
Précisons tout de suite que côté paroles, Sanseverino n’a strictement rien perdu de sa verve légendaire. Depuis ses débuts, il se lâche sur à peu près tout, se foutant totalement du qu’en-dira-t-on et abordant divers sujets sans aucune autocensure, ni contrainte.
Cette simplicité, cette authenticité, cette vérité, on les retrouve sur la quasi-totalité des titres, que ce soit sur le foxtrot de Liquéfié, sur le rock de Nein qui évoque un bleu marine que l’on préfère éviter. Ou encore avec Ça Boxe, que l’on apprécie franchement pour l’ambiance décrite, et qu’on a l’impression de connaître par cœur tant le scénario est bien écrit.
Avec Les Îles De Pâques, Sanseverino dépeint une société horrible, inhumaine, violente et cynique sur un tempo afrobeat, renforcé par le saxophone du virtuose Frédéric Gastard, qui a notamment joué avec Jacques Higelin, André Minvielle, ou encore Tricky.
Sanseverino a aussi souhaité se rendre hommage ! Avec Moi Moi Moi, il s’offre une sorte d’egotrip totalement ironique. Il se fout de lui-même mais aussi, et surtout, de certains artistes qu’il a pu, on l’imagine, côtoyer au fil des années. De ceux qui donnent des leçons sur les associations caritatives mais qui, au fond, n’en ont strictement rien à foutre et ne la jouent que pour leur petite gloriole pitoyable.
Il a également eu la bonne idée de reprendre Les Embouteillages, chanson qu’on avait découverte sur Le Tango Des Gens, son excellent deuxième album sorti en 2001. Cette nouvelle version est blues rock, sur un faux air de Wild Thing. Pas de fanfreluches qui ne servent à rien, ici on la joue efficace ! Et ça sonne franchement.
Son côté altruiste l’a tout de même forcé à consacrer deux morceaux à des artistes qu’il admire. Chez J.J. Cale est un brillant hommage à l’auteur trop injustement méconnu de morceaux popularisés par d’autres comme Cocaïne, After Midnight, ou River Runs Deep, sur fond de country rock Lo-Fi, genre musical pratiqué admirablement par l’artiste américain décédé en 2013.
Pour conclure l’album, il s’éclate avec une reprise de Qui C’est Celui-Là ?, chanson de Pierre Vassiliu sortie en 1974, originellement composée et interprétée par Chico Buarque en 1972 sous le titre Partido Alto. Les paroles françaises lui collent à la peau et semblent avoir été écrites pour lui. C’est bon et presque trop court.
Laurent Borde
Sanseverino : Les Deux Doigts dans La Prise / Verycords