Musicien et marathonien, lorsqu’il court, Xavier Berlingen n’est qu’images et musiques. Avec lui, vous redécouvrez les plus beaux classiques.
Aujourd’hui dimanche, premier marathon de la saison. Un soleil magnifique, des visages tout aussi radieux m’entourent, tous tournés dans la même direction. Le départ est donné, nous nous mettons en mouvement sous les applaudissements et encouragements d’un public venu nombreux.
J’aperçois une coureuse « repère » qui effectuera la course au temps indiqué sur le drapeau qu’elle porte, du nom de Maria. Une jolie brune d’une quarantaine d’année… son prénom me fait penser à un des airs phare de West Side Story. Quand on y pense, la genèse de cette œuvre part d’une frustration d’un acteur, Montgomery Clift qui en 1949, engagé pour jouer le rôle de Roméo dans la pièce de Shakespeare, n’arrive pas à endosser la peau du personnage qu’il trouve « has been ».
Le metteur en scène Jérôme Robbins lui conseille alors d’imaginer son personnage à leur époque, à New-York avec en toile de fond les rivalités de bandes de quartiers. West Side Story était né. Robbins approfondira son idée, contactera Léonard Bernstein, on connait la suite, la création à Broadway en 1957, le film aux 10 oscars en 1961… c’est dingue comme un grain de sable peut parfois déboucher sur un chef d’œuvre !
7 bornes, on est sortis de la ville. Hormis les teintes claires des quelques maisons sur le bord de la route, c’est le vert et le bleu qui dominent. Je suis happé par la beauté des différents feuillages plus ou moins clairs qu’offrent les arbres, par les jeux d’ombre et de lumières aidés par un petit vent bienvenu sur nos visages. Le ciel est limpide, d’un bleu présageant la venue de l’automne. C’est beau. C’est beau par le tableau que nous offre la nature, par l’unicité éphémère de ce moment. Vient en moi le second mouvement de la 7e symphonie de Beethoven. Je m’aperçois d’un coup, qu’à l’inverse des autres coureurs qui ne regardent que la route, je suis le seul à avoir le nez vers le ciel.
18 bornes, une forêt se profile, un peu d’ombre et de fraicheur nous feront du bien. Nous sommes plusieurs à avoir le même rythme de course. Mais un rythme commun aux foulées différentes, plus rapides pour les plus petites jambes, plus longues pour les plus grands. C’est amusant, comme si nous jouions, tel un orchestre, une mélodie avec les différents instruments qui la composent.
27 bornes, « Allez ! C’est quoi 4 heures dans une vie ! Allez ! Allez ! » nous crie un type sur le bord de la route. C’est dans ces moments où l’on se rend compte de la relativité du temps. On est sortis de la forêt et le soleil tape. Plus que 15, les muscles commencent à tirer, plus personne ne parle.
32 bornes, je suis dans le dur. Mais qu’est-ce que je fous là ?!!! Pourquoi ai-je cette passion pour la course ?? Cette question me renvoie à la passion avec laquelle je suis né, la musique. Mais en cela, rien d’étonnant. Né de parents musiciens, je trainais tout jeune dans les coulisses des salles de concert où ils se produisaient. C’est à la suite de l’un de ces concerts durant lequel se joua un concerto de violoncelle, qu’à l’âge de 5 ans je choisis cet instrument. J’ai d’abord aimé en la musique ce monde d’harmonie, d’imaginaire, puis plus tard vint le goût de la scène, des concours.
35 bornes, « Cours Forrest, cours !!! » me crie une charmante demoiselle me ramenant à la réalité du bitume, son encouragement me rend le sourire. C’est cool ! Quelqu’un qui connait ses classiques ! J’ai en effet demandé de mettre sur mon dossard, non mon prénom mais celui de Forrest en référence au film Forrest Gump. Mon choix n’est pas un hasard, c’est en souvenir d’une scène que j’aime particulièrement dans ce film, celle où Forrest tout jeune, alors diminué physiquement, aidé pour marcher de sortes d’attelles en fer encerclant ses jambes, est alpagué par une bande de gamins. Pour s’en débarrasser, Jenny, son amie d’enfance, lui crie « cours, Forrest, cours !!! », ce qu’il fait si bien que ses attelles lâchent et qu’il se met à courir à une vitesse impressionnante. Il a eu un déclic, il s’est surpassé et ce talent qu’il se découvre l’aidera toute sa vie.
39 bornes, se surpasser, essayer d’aller au-delà des capacités que l’on se connait, cet état d’esprit, je l’ai particulièrement acquis auprès d’un grand Maître du violoncelle lors de ma dernière année d’étude, à Bloomington, aux Etats-Unis. Je n’ai jamais autant travaillé mon violoncelle qu’en étant là-bas, les studios étant disponibles jour et nuit. L’enseignement de Janos Starker était plutôt dur, il fallait mentalement être costaud, mais nous savions que c’était au bout du compte pour notre bien. C’est à Bloomington, pour relâcher la pression, que j’ai commencé à courir. La course est à partir de là devenue un élément indispensable dans la préparation de mes concours et de mes concerts, jusqu’à ce qu’elle devienne elle-même un challenge.
42 bornes, j’aperçois la ligne d’arrivée, je puise tout ce qui me reste de force, c’est-à-dire pas grand-chose, je l’atteins encouragé par des derniers applaudissements…vidé mais heureux, baignant dans une sorte d’état second, je sais pourquoi je l’ai fait. On s’interroge tous à un moment où un autre sur le sens de notre vie.
Pour ma part, je l’ai trouvé en apprenant à connaître mes capacités intellectuelles et physiques et essayer avec elles d’aller toujours un peu plus loin. C’est en essayant d’aller au-delà de moi-même que je trouve mon équilibre, ma sérénité. On est tous différents, chacun ses talents, à chacun de les trouver. Et ce chemin pour moi se résume en un seul mot : Passion.
Xavier Berlingen