Musicien et marathonien, lorsqu’il court, Xavier Berlingen n’est qu’images et musiques. Avec lui, vous redécouvrez les plus beaux classiques.
Je ne sais pas vous mais parfois, j’ai besoin de me poser ne serait-ce que quelques instants pour m’évader dans mes pensées. Une façon simple de m’échapper des vicissitudes de la vie qui m’est naturellement venue avec l’apprentissage du violoncelle.
Ce qui est somme toute logique car lorsque vous vous adonnez, acteur comme spectateur, à la musique, la danse, le théâtre, l’écriture ou la peinture, vous travaillez un imaginaire qui vous incite à façonner votre monde intérieur, votre jardin secret. Afin, comme le dit Hippocrate, d’ « harmoniser l’esprit et le corps »…
Assis dans le parc Monceau face à un étang, je me remémore un article de Paris Bazaar consacré à une artiste d’aujourd’hui (Mademoiselle Vegas-ndlr)… au fond, quelle que soit l’époque, les caractéristiques du musicien n’ont pas changé. Pour créer, il faut avoir en soi un peu de caractère volcanique, parfois doublé d’un brin de folie… En me faisant cette remarque, je fais un saut dans le temps de plus de trois siècles en arrière pour me retrouver en compagnie d’un des pères fondateurs de la musique classique…
Nous sommes en 1703 en Allemagne dans la ville d’Arnstadt. Jean-Sebastien Bach vient d’avoir 18 ans. Malgré des études brillantes, il est connu pour en avoir séché une partie, comme il est avéré qu’il ne fallait pas trop le chauffer car il avait le poing facile. Le fait qu’il se soit retrouvé orphelin à l’âge de 10 ans n’est certainement pas étranger au caractère qu’il s’est forgé. Et ce caractère rebelle, il l’affirmera toute sa vie.
À commencer lors de son tout premier poste d’organiste à l’église d’Arnstadt. Très vite, l’autorité religieuse dont il dépend regrette « les nombreuses et curieuses variations dans ses chorales, mêlées d’accords étranges, qui embrouillent l’assemblée des fidèles». On l’accuse aussi de profiter des sermons pour s’éclipser et rejoindre la cave à vin…
À 20 ans, il obtient une permission de quatre semaines pour aller rendre visite à un grand organiste et compositeur baroque de l’époque, Dietrich Buxtehude, habitant la ville de Lübeck. Ayant peu de moyens, il fera les 400 kilomètres de voyage à pied.
En perpétuel conflit avec son autorité religieuse, il quitte à 22 ans Arnstadt pour prendre un poste à Mulhausen qu’il n’occupera qu’un an, se trouvant de nouveau en conflit dans cette ville.
À 23 ans, il obtient un poste d’organiste à la chapelle du duc de Weimar. Il y restera cette fois-ci 10 ans jusqu’à ce que le duc de Weimar, avec qui ses relations n’étaient pas des plus simples, lui refuse la fonction prestigieuse de maître de chapelle. Bach alors ne se démonte pas et lui présente sa démission. Rappelons-le, les musiciens au 18é siècle dépendaient du bon vouloir des seigneurs auprès de qui ils étaient rattachés et ce que fit Bach n’était vraiment pas dans les habitudes de l’époque ! Résultat, le duc refuse sa démission et le jette en prison pour le faire plier. Mais au bout d’un mois, comprenant que son buté de compositeur ne lâchera pas, il le libère.
Bach finit donc par obtenir ce qu’il voulait : la fonction de maître de chapelle mais dans une autre cour, celle de Köthen. Il y résidera 6 ans pendant lesquelles il composera des œuvres majeures de son répertoire dont le double concerto pour violon en ré mineur...
Côté violoncelle chez Bach, on est gâté. Il y a évidemment les six suites retrouvées par hasard par le maître Pablo Casals aux alentours de 1890 chez un bouquiniste à Barcelone. Une bible qui était tombée dans les oubliettes du temps… Mais hormis ce monument, le violoncelle est utilisé dans l’ensemble de son œuvre d’une façon plus riche techniquement et musicalement que ce qui était fait par les compositeurs de son époque, comme Vivaldi ou même un peu plus tard Mozart.
Même si Bach l’utilise dans son rôle usuel de l’époque de basse continu, à « planter des clous d’or », comme le disait mon premier professeur Nelly Pasquier, il l’utilise également déjà en tant qu’instrument chambriste, à l’instar de ses confrères des siècles suivant. Le 3é Brandebourgeois en est une bonne illustration. Un dialogue entre les violons, altis et violoncelles qui, sous les archets de l’ensemble Musica Antiqua Köln, est complètement dingue, notamment l’Allegro. Ils courent trop vite pour moi !
Enfin, ce que j’ai toujours adoré dans cette musique, c’est la rythmique que l’on y trouve, qu’installent d’ailleurs les violoncelles lorsqu’il y a une partition de cordes. Une rythmique contribuant à une énergie qui, peut être, fait qu’aujourd’hui la musique de Bach est reprise par d’autres courants que le classique, tel que le jazz ou le rap. Et lorsqu’on écoute le jazzman Keith Jarrett interpréter le Clavier bien tempéré de Bach, on comprend pourquoi. La partition sous ses doigts n’est plus du classique, mais du jazz… et l’on se rend compte du coup que cette musique est vraiment intemporelle…
Je me réveille de mon songe, il est temps pour moi de reprendre la route. Dans les allées du Parc Monceau, je pense à un autre songe, le Songe d’une Nuit d’Été de Félix Mendelsohnn, grand admirateur de Bach, un de plus…
Xavier Berlingen