Cascadeur, écuyer, dresseur, metteur en scène, Mario Luraschi est une légende du cinéma. Fascination, sa nouvelle création, mêle poésie et grand spectacle. Avant sa venue au Palais des Sports, il partage ici les fruits de sa passion.
Imaginez. Des canapés au cuir patiné, parfois recouverts de fourrures, des tapis indiens sur le vaste plancher en bois. Des coiffes de chefs indiens ornées de plumes, toutes sublimes, et d’antiques calumets de la paix. Des selles magnifiques qui viennent de tous les pays du monde et de toutes les époques, dont celle-ci, en cuir noir incrustée d’or et d’argent qui fut confectionnée à Hollywood dans les années 30. Une table longue comme une nuit de banquet et dans l’âtre de la monumentale cheminée au centre de la pièce, un billot de bois qui se consume doucement… Il y a encore cinq minutes, vous étiez dehors, le vent soufflait et le froid vous mordait. Mais vous voilà à présent dans l’antre du maître. Vous êtes dans le tipi de Mario Luraschi. Et vous vous sentez divinement bien.
« Avant tout, une maison c’est fait pour qu’on se sente à l’aise. Et surtout, j’ai été très imprégné de la culture amérindienne, l’hospitalité c’est la chose la plus importante. Chez moi, c’est pareil. En Italie, quand j’étais gamin, l’hospitalité était très importante. Il faut que les gens se sentent bien dès qu’ils viennent chez vous…
Pour autant, je ne suis pas toujours l’homme le plus facile du monde avec qui travailler, parce que je suis assez exigeant. Je me suis un peu calmé en vieillissant, mais je pense toujours que le plus difficile, ce n’est pas d’arriver à un certain sommet de qualité. Le plus difficile, c’est d’y rester. Ça demande des sacrifices et beaucoup de travail.
C’est ce que je reproche un peu à notre époque, on n’explique pas assez aux jeunes que si on veut être bon, si on veut durer, il faut travailler. Rien n’est facile. On peut avoir un coup de chance dans la vie mais il faut que le coup de chance se transforme en qualité si on veut toujours être là quarante ans après.
J’ai la chance d’être passionné et à partir du moment où la passion vous porte, la vie est facile. Même si on en chie parfois, parce qu’au début d’une carrière on n’a pas d’argent et que la vie est dure. D’ailleurs, j’en ai gagné beaucoup et je m’en fous. La seule chose importante avec l’argent, c’est que ça vous permet d’assouvir et de vivre les rêves que vous aviez. Et de rester libre.
Encore que la liberté, je l’ai toujours eue. Je me plie toujours à 100% à ce que veut un metteur en scène tant que ça n’engage pas la vie de mes chevaux. Je n’ai et je n’irai jamais sacrifier leur sécurité. Je dis toujours aux metteurs en scène : « Tu sais, un mètre de ta pellicule vaut pas un millimètre de la peau de mes chevaux (sourire). »
Chaleureux, direct, passionné et tout simplement passionnant, Mario Luraschi en deux minutes vient de résumer tout le sens qu’il a donné à son existence. Un chemin qu’il a ouvert il y a plus cinquante ans, riche aujourd’hui de 543 films pour le cinéma comme pour la pub, de spectacles hors-normes, jalonné de souvenirs formidables et d’autant de rencontres aussi magnifiques qu’inoubliables, avec Burt Lancaster ou Mickey Rooney.
Du Chevalier de Pardaillan de Bernard Borderie en 1962 à Emperor de Lee Tamahori en 2016, son histoire se confond avec celle du cinéma français et du cinéma international. Robert Aldrich, Gérard Oury, Marco Ferreri, John Glen, Philippe de Broca, Alain Corneau, Jacques Rivette, Jean Giraud, Alain Delon, Jean-Paul Rappeneau, Claude Lelouch, Jean-Jacques Beinex, Luc Besson… tous les citer nous mènerait jusque tard dans la soirée. Alors faisons court, on y croise tous ceux qui ont façonné la grande légende du 7é Art. Et soyons suffisamment précis, quand dans un film on voit un cheval faire l’acteur, c’est que Mario était là pour le diriger.
« Ma signature, elle tient au cinéma bien sûr. Elle tient aussi à mon envie de me surpasser, de connaître le cheval un peu plus et de voir à chaque fois ce que je peux faire d’autre avec lui. Et puis, il faut que ce soit toujours élégant. Ça peut en même temps être très violent. J’adore les batailles, je veux que le type s’accroche au siège quand il voit arriver les chevaux ! Je veux qu’une chute avec un cheval ait l’air violente à mort !!
En réalité, on se relève et on se marre (sourire). Ça m’est arrivé de faire neuf fois la même chute dans un film. Tant que je sentais que mon cheval était bien, je continuais. Mais quand j’ai vu que ça commençait à lui casser les pieds, j’ai dit : « Stop ! On arrête. » « Oui, mais si c’est pas dans la boîte ? » « Je m’en fous, vous n’aviez qu’à placer vos caméras autrement (sourire). »
Un cheval, il arrive chez moi quand il est poulain, comme un jeune élève. Et il faut prendre le temps de le découvrir. Les gens qui vous disent : « Je regarde un cheval et je peux vous dire tout de suite s’il est bon. » C’est des menteurs, c’est pas vrai. Il faut étudier son caractère, voir comment il réagit… Moi, il me faut au moins trois mois pour commencer à connaître un cheval et savoir quelle destinée relative il va avoir.
Parce qu’en réalité, je suis comme un entraîneur de football, c’est pas moi qui cours après la balle, c’est lui, c’est le cheval. C’est lui qui a le talent et c’est à moi de le faire sortir. Et si je vois qu’un cheval n’a pas de talent, c’est qu’on n’est pas faits pour vivre ensemble et c’est pas un problème.
En plus, plus je vieillis, plus la sélection devient dure parce que je n’ai pas envie de trop me pourrir la vie. Je suis moins têtu qu’avant. L’expérience vous évite d’être un têtu imbécile (sourire), c’est fabuleux ! Donc, ça me permet de voir que tel cheval ne va pas être bon, pourquoi je vais continuer à l’emmerder à faire un truc qu’il n’aime pas ?
Par contre, si je trouve celui qui aime ça, alors là… (silence)… j’ai l’impression d’être Dieu parce que je fais en six mois ce qui normalement demande quatre ans. »
« C’est pour ça que les gens qui veulent protéger les animaux, je suis 100% d’accord avec eux mais pour le cheval, foutez-nous la paix ! Foutez-nous une paix royale !! Pourquoi ? Parce que d’abord on sait où est la tête, où est la queue. On sait ce qui se passe dans le cerveau du cheval. On sait s’en occuper.
Ça ne me dérange pas de me lever à deux heure et demi du matin s’il est malade. Je n’ai pas de samedi, je n’ai pas de dimanche. Quand avec ma femme, on part en Espagne, on va voir des chevaux. On est des malades mentaux du cheval ! On n’a donc pas besoin qu’on nous explique comment il faut faire ! Surtout pas ! Laissez-nous plutôt vous expliquer à vous messieurs, ce qu’il faut faire d’intelligent !
Par exemple, avec Bougrain-Dubourg on a fait interdire les câbles qu’on mettait sur les antérieurs des chevaux pour les faire tomber. Et là où on a été intelligents, ce n’est pas en interdisant au pauvre gars au fin fond de la Sibérie, qui gagne 150 dollars par mois et où un cheval vaut cinquante dollars, de faire la cascade qui lui en fait gagner cinq cents, même s’il sacrifie son cheval. C’est en empêchant le producteur de sortir les 500 dollars et d’utiliser l’image.
La solution, ce n’est pas d’interdire et d’interdire encore. Parce que par effet boomerang, on va arriver à l’extinction de la race de l’animal ! Moi, je veux que mes enfants et tous les enfants du monde ait une culture équestre ! Je le vois sur « Fascination », mon dernier spectacle, 30% du public ce sont des enfants de moins de quatorze ans. Ils sont notre avenir ! C’est à eux qu’il faut expliquer comment on prend soin et comment on protège un cheval. Et sans interdictions ! Il y en a assez des interdictions !! »
Ce sont d’abord les Indiens d’Amérique du Nord qui le fascinaient quand il était môme qui lui ont fait découvrir le cheval. En 1964, il y avait ce feuilleton qui passait à la télévision, les Indiens. Écrite par Pierre Viallet et Paul de Senneville, l’histoire de Mato, jeune indien courageux, en lutte avec Tanka, chef de la tribu. Les critiques débinaient mais Mario adorait.
« Aujourd’hui, c’est irregardable mais c’est drôle. Et je suis venu faire un tour sur le tournage. Il y avait les Sabas, une grande famille du cirque, et un type extraordinaire, Monsieur Falque. Il claquait des doigts et le cheval tendait le pied ! Je me suis dit : « Nom de Dieu, mais comment il fait ça lui ?? » Il donnait des ordres à son cheval avec sa baguette sans même le toucher et pam ! Le cheval se mettait à danser ! Je me suis dit : « Ouah ! » Donc, je lui ai posé la question : « Comment vous faites ça ? Par quel miracle ?? » Il m’a répondu : « Oh, je fais juste le mouvement de la baguette et il sait le faire. C’est pas moi qui lui ai appris. »
Et j’ai voulu apprendre à mon tour. Mon père m’a donné deux coups de pied au cul et m’a renvoyé au collège. À l’époque, c’était les diplômes d’abord. Sauf que j’ai fini par être diplômé en aéronautique sur Mirage 3 et que je m’en contrefoutais complètement. Je suis content de prendre l’avion mais je ne veux surtout pas savoir comment ça marche…
Quand j’ai eu mes diplômes, je suis parti en Espagne. J’avais juste le nom d’un bar et le nom d’Alvaro Domecq (Une légende pour tous les cavaliers, il fonda en 1973 l’École Royale Andalouse d’Art Équestre-ndlr). J’arrive dans le bar après avoir fait une semaine d’auto-stop pour descendre à Salamanque. J’ai passé la frontière sans papiers grâce à des Basques que j’avais rencontrés par hasard (rires)… Et le premier mec que je rencontre dans le bar, je lui demande dans un bon italien mais un très mauvais espagnol (sourire) où je peux trouver cet Alavaro Domecq, il se retourne et me dit : « C’est moi. » Et je suis resté six sept mois à observer, à apprendre les bases…
Je suis en fin de compte un Arsène Lupin, extrêmement élégant mais qui vole partout des trucs dans le domaine du cheval (sourire). Je suis un grand observateur, et je suis toujours ébahi quand je vois un type faire quelque chose avec un cheval. J’essaye toujours de savoir comment il s’y est pris. Bon, avec le temps, au bout de cinquante-cinq ans, je peux me permettre de donner mon avis et de donner des leçons à mon tour (sourire).
Quand je suis rentré en France, je me suis débrouillé. J’ai eu la chance de rentrer dans le cinéma. Avec Robert Motura, on a créé la « Vallée des Peaux Rouges », un rêve extraordinaire ! Quatre années fabuleuses ! Après je suis parti, il a fallu que je gagne ma vie. Je suis resté dans l’équestre mais davantage dans le côté ballade. Et en même temps, j’ai toujours continué le dressage… Avec Philippe Cart-Tanneur, on a fondé le Salon du Cheval et à partir de là, je suis revenu dans la Haute-École et j’ai travaillé encore davantage dans le cinéma…
J’ai remis la course de chars au goût du jour. J’ai voulu refaire la cascade de Ben-Hur. À Bercy, j’ai créé un saut du char, les roues montaient à deux mètres cinquante et se reposaient six mètres plus loin… Parce que j’en avais marre d’être copié, à l’époque ça m’énervait grave, il fallait donc que je fasse plus fort (rires). »
S’il règle des chorégraphies équestres inouïes de virtuosité, le simple spectacle de Mario Luraschi échauffant son cheval au petit galop dans son grand manège est déjà en soi un bonheur rare. Le cavalier et sa monture tous deux paisibles fusionnent dans une harmonie presque irréelle. Et puis, Mario suggère une autre allure et le cheval lui répond. L’homme invite, l’animal accepte. Sans contrainte. S’ouvre alors un pas de deux élégant, fluide et précis.
Mario, ensuite, descend de sa selle et sans un mot balance doucement sa baguette de droite à gauche et le cheval se met à danser tout seul. On sait que cet instant, beau comme un songe, a demandé des heures et des jours, on est juste saisi par l’apparente facilité, ébloui par le dialogue qui s’est noué entre les deux partenaires. Et on se dit sans l’avoir encore découvert dans sa totalité, qu’il porte bien son nom ce nouveau spectacle, Fascination.
Il y aura de l’action, beaucoup. Largement inspirées de sa carrière cinématographique, certaines séquences feront la joie des cinéphiles qui n’ont pas oublié les Cavaliers de l’Orage avec Gérard Klein, Cyrano de Bergerac avec Gérard Depardieu ou Chevalier avec le regretté Heath Ledger. Il y aura du rêve et de la poésie, qu’a su insuffler son épouse, fameuse écuyère elle aussi, Clémence Faivre-Luraschi. Et il se pourrait même bien qu’on y croise le mythique Pégase. Mais chut… qui viendra saura.
Ce spectacle vient couronner plus de cinquante ans d’une carrière unique et magnifique qui donne l’envie de revoir tous ses films. Ce qu’on a déjà commencé à faire. Avec une tendresse particulière pour la Folie des Grandeurs de Gérard Oury, qui non seulement fut l’un de ses tout premiers mais marqua aussi le début d’une belle histoire entre Mario Luraschi et Louis de Funès. C’est sur le tournage de ce film que le grand acteur fit le choix du jeune cavalier pour le doubler dans ses cascades, ils ne devaient plus se quitter pendant les sept années qui suivirent.
Ses cascades équestres ont forgé sa légende. Elles continuent de faire les belles et grandes heures du cinéma mais Mario reste humble, surtout lucide. Et lorsqu’il pense à son passé comme lorsqu’il envisage son avenir, c’est toujours à ses chevaux qu’il revient.
« Ils m’ont appris la Vie. Ils m’ont surtout appris à ne jamais changer la taille du chapeau. Un poulain, il n’en a rien à foutre que je m’appelle Mario Luraschi… c’est fabuleux.
Je n’ai plus trop de temps à perdre, vu l’âge que j’ai. J’ai intérêt à profiter de la vie à mort et ce n’est pas mon intention de m’arrêter, loin de là. Mais j’espère mourir à cheval… ce serait extraordinaire. Bien sûr, je tomberai. Mais ce sera ma dernière cascade (sourire). »
O.D
Fascination, le nouveau spectacle de Mario Luraschi, actuellement en tournée.
Et du 19 au 22 mars au Palais des Sports à Paris.