Les Foulées Mélomanes du Violoncelliste : Courir au Crépuscule

Musicien et marathonien, lorsqu’il court, Xavier Berlingen n’est qu’images et musiques. Avec lui, vous redécouvrez les plus beaux classiques.

Je me trouve en forêt à courir sur un chemin parsemé de feuilles jaunes orangées. L’automne commence à produire ses effets. L’heure est au temps austère. Les arbres s’y plient en se débarrassant de leurs feuilles qui, avant de se fondre dans la terre, s’expriment une dernière fois en un artifice de couleurs.

Certaines d’entre elles se mouvent en un rouge crépusculaire, tout comme certains couchers de soleils, avant la nuit. Elles nous offrent en somme un dernier spectacle avant de disparaitre. Il n’y a pas à dire, la nature a du panache.

En classique, lorsqu’on parle du crépuscule, on pense au dernier et quatrième opéra composant la tétralogie de Richard Wagner, fresque musicale imprégnée de légendes nordiques dont la représentation dans son intégralité dure environ quinze heures.

L’histoire raconte le vol de l’or du Rhin, qui apporte toute-puissance à ceux qui le détiennent. Deux lignées rivales, l’une issue de Wotan (le dieu des dieux), l’autre du nain Alberich (le roi d’un peuple souterrain appelé les Nibelungen), mettent tout en œuvre pour le récupérer. C’est finalement Siegfried, le descendant de Wotan, qui y parvient.

Mais l’or, forgé sous la forme d’un anneau, est maudit et conduit tous ceux qui tentent de s’en emparer à leur perte. Amusant, on dirait à peu de choses près le Seigneur des Anneaux !

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Cette constatation me conduit à une autre œuvre de Wagner qui je trouve s’accorde bien à l’ambiance saisonnière du moment. Tristan et Yseult est un opéra parlant d’un amour impossible, d’une passion dont l’issue fatale se dessine dès le début de la partition.

Le prélude du premier acte commence sur une tirade des violoncelles qui lorsque vous la jouez, ne peut que vous remuer. Le phrasé, intense, s’accorde parfaitement avec le timbre profond de l’instrument.

En la jouant, vous n’avez pas d’autres choix que d’être emporté. Oui, là il faut avouer que c’est un peu triste… mais c’est vraiment beau. En plus, Raphaël le violoncelle solo et son pupitre du National sont excellents !

Une côte ardue d’un bon kilomètre se présente devant moi. Pour m’encourager, je pense à une musique plus légère mais toujours composée dans l’esprit des légendes. Le Chant des Elfes est un air qui, lorsque Jacques Offenbach le composa, ne rencontra pas le succès.

Ce n’est que quinze ans plus tard, lorsque ce dernier le reprit pour l’insérer dans sa création du moment, les Contes d’Hoffmann, et en le rebaptisant sous le nom de la Barcarolle, que cet air rejoindra les thèmes les plus connus du répertoire lyrique. Comme quoi, avec un peu de patience et de persévérance

Chaque moment fort de ma vie a toujours été ponctué par une musique que je jouais à ce moment-là et qui me rappelle fatalement ce moment lorsque je l’écoute. J’ai participé en début de carrière à une production des Contes d’Hoffmann au théâtre du Châtelet.

Durant cette série, j’ai vécu le début d’une belle histoire d’amour qui a duré un certain temps et qui fit que je suis père aujourd’hui. Quand j’écoute la Barcarolle, je ne peux que penser avec affection à cet amour qui s’en est allé. Comme je ne peux penser à cet air sans penser au Châtelet. Certains collectionnent des photos, moi ce sont des musiques, chacun son truc. 

Cette Barcarolle, qui est avant tout une forme musicale, m’a toujours fait penser à une autre de barcarolle, le Duo des Fleurs de Léo Délibes, composée à peine deux ans après la création des Contes d’Hoffmann.

La similitude musicale de ces deux pièces n’empêche pas la patte bien distincte de chaque compositeur, comme la ressemblance flagrante entre l’histoire traitée par Wagner en partition et celle de Tolkien en livre n’a pas empêché le succès de ces deux oeuvres. Finalement, ce n’est pas le sujet qui fait l’œuvre mais bien le talent de l’artiste qui la crée. 

Pour abonder encore un peu plus dans ce sens, je me rappelle de ce qu’avait dit à ce propos Gary Hoffman, un autre de mes professeurs, lors d’une masterclass. Vous prenez deux violoncellistes jouant le concerto de Dvorak (pièce maitresse du répertoire) que vous écoutez l’un après l’autre. Leur interprétation est impeccable tant au niveau technique, sonore, que musical. Pourtant vous trouverez l’un sympathique, agréable à écouter, sans plus, alors que l’autre vous touchera au plus profond de vous-même.

Pourquoi ? Pour Gary, vous avez la partition, le texte, le sens musical qui s’expliquent, et puis vous avez un pan imperceptible qu’il définit de magique qui ne s’explique pas, et dont certains musiciens savent se faire l’écho.

Sur le chemin du retour et histoire d’accélérer le rythme pour finir mon parcours, j’ai les oreilles branchées sur un hommage de Lady Gaga fait à Stevie Wonder et en sa présence, avec la reprise de son titre I Wish. Assise à son synthé, elle capte le public d’une façon magistrale. Il se dégage d’elle une telle énergie, c’est incroyable !

Arrivé devant chez moi, je me dis que la musique, comme l’amour, a ses voies impénétrables. Ce qui n’est pas étonnant, ces deux  expressions de l’âme sont indissociables et vont d’ailleurs tellement bien ensemble. 

Xavier Berlingen

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