Avec Boris Bergman suivez les folles aventures d’Alex Korn, songwriter passé de vie à trépas. Vous découvrirez que l’Enfer n’est pas ce qu’on croit, qu’il est même très bien fréquenté et que l’ange Gabriel porte le Perfecto. Un feuilleton totalement barré. Un bonheur pur Bazaar !
Chapitre VII : Et l’Ange fit la Bête
Où l’on assiste à une séance de travail Alex-Gabriel. Où le journal d’Alex nous fait part de ces blessures qui ne se ferment jamais puisqu’elles sont près du cœur. La blessure s’appelle Sue, jolie chanteuse Navajo-Tsigane, ascendant 13é tribu.
« Journal d’Alex Korn (re-suite)
Léonide ne s’est pas trompé sur la deuxième séance avec l’Ange.
Gabriel a inondé son bureau de départs, m’expliquant de temps en temps que notre association nous vaudrait le sabre et le bicorne si nous étions en bas. J’ai failli m’endormir deux fois.
Le visage de Sue n’en finit pas de me ramener à mon existence d’autrefois. Sue… Sue… la Navajo-Tzigane qui a choisi de vivre dans la réserve apache d’El Paso. Je me souviens du matin où je l’ai présentée à Léonide.
À l’époque, il ne produisait que des groupes de rock métal. Cette musique était depuis longtemps l’antidote qu’il s’était fabriqué afin de contrarier les parents qui n’écoutaient que Nat King Cole et les sanglots judéo russes des mélodies en mineur.
Sue était déja passée des protest-songs de Woodie Guthrie et Pete Seeger au punk rock… »
Les ombres de la zone A se sont assoupies. C’est l’heure du thé ou de la vodka. Il écrira la suite plus tard. Alex caresse le samovar. Il se retourne. Surprend Léonide en train de lire son journal.
– Te gêne pas Tonton.
– J’fais partie d’la famille.
– C’est pas une raison. Au contraire.
Alex n’écoute plus Léonide. Il devrait. Ce n’est pas tous les jours que l’oncle protecteur se livre. Son esprit se balade du côté de la zone C. Il semblerait que le plan Leone-Morrison ait fonctionné et que les invités de Gabriel aient la possibilité de quitter ce coin d’enfer… Mais pour aller où ?
Sommes-nous encore assez vivants pour affronter un monde encore plus extérieur que celui que nous avons connu ?
Pendant ce temps, nos héros s’occupent…
Jim M., aidé d’un Buddy Holly réconcilié, bloque les hélices du ventilateur. Jim est le plus mince. Il se glisse entre les pales. Un automate les menace d’un 6-38. Du bout du flingue sort un petit drapeau rouge. L’automate ricane et Jim se marre.
– Qu’est-ce qui est marqué, Jim ?
-« C’est pas par ici la sortie mes petits…. »
– L’Ange s’est encore foutu de nous. La sortie est ailleurs.
Les deux chanteurs s’assoient des deux côtés du ventilo. Buddy prête sa Stratocaster à Jim. La Zone C résonne de leurs deux voix harmonisées.
– « You don’t like crazy music
You don’t like rocking bands
You just wanna go to a movie show and sit there hand in hand
You so square…
Baby I don’t care »
– Leiber…
– Et Stoller.
C’est l’heure où le tyran à plumes prend des cours de batterie. Quand il sera certain d’avoir réveillé tous les habitants de la zone A, il chaussera ses patins à roulettes. Gabriel fait des cercles autour de la table de billard.
– Ne t’inquiète pas.
– Il est trop près de la salle des machines, Gabriel. Je t’ai dit mille fois de faire des appartements à cet endroit. Ça énerve tout le monde et ça risque de nous créer de gros emmerdements.
– Et pourquoi, monsieur Monsieur ?
– Buddy Holly se plaint. Il a même cru entendre un bruit de machine à sou précédé de la musique qui annonce le jackpot.
– Ça n’me dit pas où est mon médicament…
– Lequel ? La Hawaïenne weed ou le sérum pour le nez ?
– Les deux, idiot. Tu as raccompagné Alex Korn à sa chambre ? Je n’voudrais pas qu’il entende la suite de notre conversation.
– Il doit être en chemin.
– J’avais pourtant demandé que Sinatra danse avec la Garner et qu’il chante « It was a Very Good Year » … En revanche, « Drinking Again » n’était pas prévue au programme.
– Je vois où tu veux en venir, Gaby. Tu penses qu’il en a chanté une deuxième pour faire diversion et permettre à Jim Morrison d’accéder à la porte derrière la scène. Celle qui mène à la salle des machines.
– On sait où il est ?
– Non, mais je sais qu’il communique avec le metteur. Jim Morrison est le seul à bloquer les cordes comme il le fait.
– À mon avis, Jim et Buddy sont en train de goûter ta beuh en musique
– Qu’est-ce qui t’fait dire ça ?
– Ça fait une heure qu’ils chantent « The Green Green Grass Of Home » à deux voix.
« Journal d’Alex.
Sur le chemin qui me ramène au couloir de la salle A, j’aperçois la visière du croupier et le chapeau du mormon.
Ils ont l’air surpris de me voir aller librement dans ce bout d’Enfer, où les rapports de force ne semblent pas différents de ceux que j’ai connus dans le monde d’en bas. La porte de ma chambre est entrouverte. Ma bouteille de vodka aussi. Je reconnais l’haleine de dinosaure de Tonton Léonide. »
– Je n’te parle pas tout de suite, Tonton. Il faut d’abord que j’écrive ce que je viens de vivre sinon j’vais oublier.
– Ça, c’est l’pétard.
– Non, c’est l’âge.
– Alex, on n’vieillit pas ici.
– C’est c’que tu dis. Regarde, ce n’est pas d’la teinture. C’est un nouveau cheveu blanc. T’expliques ça comment ? Ok. C’est comme d’habitude. Quand on ne veut pas répondre, on fait les trois singes en un. Je vais donc taquiner le samovar et me faire le thé qu’adorait Macha….
– Macha ?
– Ma grand-mère et ta sœur Jakobitch. Et tu n’es pas obligé de lire pendant que je dose le thé.
Peine perdue. Léonide lit et relit : « Ceux qui vous singent sont souvent des Kong »
– Qu’est-ce que t’en dis, Alex ?
– C’est très beau votre Angerie.
– Tu serais pas en train de te foutre de moi par hasard ?
– C’est possible, Gabriel.
– Je te trouve impertinent
– C’est toi qui m’as dit de n’jamais t’épargner, Gabriel.
– T’es pas obligé d’être désobligeant
– Je ne le suis pas. Écoute, Tu ne cherches que le bon mot. Le bon mot arrive sans qu’on l’invite. Tu n’me proposes jamais une idée. Tu fais les poches de ceux qui t’ont précédé. J’ai l’impression d’être ton rimeur-alibi.
– Tu sais que le purgatoire est au coin d’la rue ?
– Je sais. Il parait même que ça sent bon l’herbe qui fait rire.
– La Hawaïenne Weed ?
– C’est possible. Allez, rejoue-moi le départ de Nelson Riddle…
– Pas mal, Alex… Ma parole, le bougre s’est endormi.
« À y est le jour se lève…
À toi d’jouer mon Alex.
T’oublies tout même ton ex
À toi d’prendr’ la relève…
Bientôt, nous n’s’rons plus
Qu’des soldats inconnus
Une plaque sur un nom d’rue…
Pour moi, ça vient j’ai un gros rhume
Tu s’ras ce que nous fumes
Sans une plume
Elle descend de la dune…
Sue t’attend Quai des Brunes.»
À suivre…
Boris Bergman