Avec Boris Bergman suivez les folles aventures d’Alex Korn, songwriter passé de vie à trépas. Vous découvrirez que l’Enfer n’est pas ce qu’on croit, qu’il est même très bien fréquenté et que l’ange Gabriel porte le Perfecto. Un feuilleton totalement barré. Un bonheur pur Bazaar !
Chapitre XV : Une Sortie d’Enfer
« Qui va consoler Gabriel
Lorsque l’enfer n’est plus
Quand l’Ange est presque nu`
Sous l’asphalte et les plumes
Il est ce que nous fumes
Va les payer ses prunes
À nous le quai des Brunes. »
– Il te reste quelques pièces, Léonide ?
– Une pour toi, une pour moi, et une dernière pour l’avenir.
– On met les trois d’un seul coup ?
– Il te reste quelques pièces, Léonide
– Une pour toi, une pour moi, et une dernière pour l’avenir.
– On met les trois d’un seul coup ?
– Bien sûr, neveu…
Dernier rêve-journal d’Alex Korn avant sortie définitive et levée d’écrou sous le sable.
« Cette nuit, Pavel Papitok s’est avancé dans mon rêve sur la pointe des pieds :
– Je peux ?
– Bien sûr, Pacha, entrez.
– On s’est déjà vus quelque part ?
– Je ressemble à tout le monde. Je suis ici depuis longtemps et la possibilité que nous nous soyons croisés est infinitésimale… Peut-être à une de mes conférences à UCLA : Hypnose et musique ?
– C’est possible, Pacha…
– Je peux m’asseoir ? Merci. Je me suis toujours demandé qui des deux côtés de l’aquarium était le poisson ou le poisson…
Je lui ai proposé une tasse de thé aux agrumes.
– J’en bois déjà trop pour sans doute oublier les salauds d’aujourd’hui, parce que tu vois Aliocha je regrette les salauds d’hier… »
Knock-knock…
– Qui ça peut être, Léonide ?
– Je ne sais pas, ils sont tous supposés interpeller le goudronné. Ce devait être au tour d’Ava, ensuite de Sinatra. Va ouvrir, Alex.
– Qui c’est ?
– « Peggy Sue Peggy Sue oh my Peggy Peggy Peggy Peggy Sue hou hou »
– C’est bon Buddy, je t’ouvre.
– Dis-moi Léonide, tu savais que la Piaf russo-polonaise Anna German était morte comme moi dans un accident d’avion.
– Sauf que tu n’es plus Buddy Holly
– Si. Écoute :
« Please don’t tell no no no,
Don’t tell that I told you so
Peggy sue got married not long ago o-o-o- o- o »
– C’est très bien, Sam
– Buddy
– OK. Dès que nous serons sortis d’ici., j’irai voir mon pote Simon Bloom chez Warner. Je verrai ce qu’il peut faire pour toi. J’espère qu’il est encore vivant. Mine de rien, cela fait presque dix ans que je ne suis pas sorti de ce trou.
Pendant ce temps-là, dans le désert du Nevada…
– Quel gâchis, frère Jakob.
– Une si belle entreprise.
– Que veux-tu dire, frère croupier ?
– Tu n’te rends pas compte. Nous assistons au crépuscule d’une magnifique aventure. Tout a été pensé et aménagé comme un hôtel 5 étoiles. Il a fallu maquiller toutes les tuyauteries qui amènent l’eau et l’électricité à Vegas. Il ne restait plus à ce Grec de malheur de trouver des comédiens sans emploi. Quel coup pour moi… enfin pour vous.
– C’était rentable.
– Et ça, qu’est-ce que c’est ?
– Des santiags en peau d’iguane.
– Exact.
– N’empêche que c’est interdit. C’est une espèce en péril.
– C’est bien ce que je disais. Il n’y a qu’un homme riche qui peut se permettre de porter des boots d’une espèce en voie de disparition sans être inquiété.
– Qu’en pensez-vous, frère Karl Heinz ?
– Jakob, si cela ne vous dérange pas. C’est agréable de changer de nom.
– J’ai l’impression d’être quelqu’un d’autre.
– Tu as oublié de récupérer les originaux de Métal Hurlant. Et surtout celui dédicacé par Dionnet.
– Tu m’prends pour un mormon ?
– Non, bien sûr.
– T’es sûr ? Faites vos jeux… Tout sur le rouge. (Il lui met une grande gifle.) C’est rouge, J’ai gagné ? Et il l’a planqué où l’exemplaire unique de Métal dédicacé par JP ?
– Je n’sais plus.
– Faites vos jeux… Le noir gagne, impair… Tu le veux où, le coquart ?
– Il est dans mon chapeau.
– Tu vois quand tu veux, frère Heinrich.
Ava s’est assise près de celui qui n’est plus l’Ange. Elle allume une cigarette qu’elle lui plante dans la bouche.
– T’avais pas besoin de faire buter Papitok, Gabriel. Au fait c’est toi ou lui ?
Fink et Gabriel synchro :
– C’était nous.
– Il était gentil, Papitok. Il n’a fait que t’obéir. Il était tombé amoureux de sa potion hallucinogène et, avec l’aide de l’autre repenti de Monsieur Monsieur, vous l’avez encouragé à détruire les cerveaux de ceux qui ne rêvaient que d’une chose : jouer, être aimé, jouer. Nous avons cru être devenus ce que tu voulais que l’on devienne. Sauf moi. Je crois que j’étais sauvée par mon caractère de cochon.
Tous applaudissent, même Fink qui n’a jamais reculé devant rien. Ava se tourne vers Vladek, alias Monsieur Monsieur.
– Tu m’as proposé d’être la réplique de ma Comtesse aux Pieds Nus préférée. Comment résister ? Je n’avais joué que dans des séries B crapuleuses , agitant mes fesses mouillées devant deux palmiers en plastique.
Jim en pousse une dernière.
– « C’est vrai : nous sommes ce que nous fumes
Sans les plumes
Éparpillées au hasard d’un’ nuit blanche mal poudrée
qui fait mal à l’aurore. »
Ava s’assoit en tailleur. Alex la relève.
– Vous venez avec nous ?
– Pour aller où, Alex ? Je vais peut-être rester ici quelque temps.
Ava caresse la joue d’Alex.
– Nous avons de quoi manger, de quoi faire de la musique. Norma, Gloria et moi allons éliminer un à un les pantins de Mr Goufalopoulos. Et quand ce sera fait, je m’occuperai personnellement de ces deux-là…
Fink se force à sourire. Il fait ça très bien.
– Qu’allez-vous faire de nous ?
– Vous faire souffrir, soupire l’ex-Marilyn
– Comment ? Voilà la question, ma chère Norma ? Nous allons bien trouver. Nous sommes trois et pas des moindres.
Jim range sa guitare dans Miss Flightcase. Sergio Leone l’aide à la fermer. Léonide n’arrive pas à remonter la fermeture éclair de son 505. Alex renoue son bandana. Ils sont prêts. Le chapeau Pork pie de Sinatra vole. Il atterrit sur un coin du trapèze.
– J’ai vu Frankie faire ça dans « la Blonde ou la Rousse ».
Frankie se tourne vers ses compagnons de misère.
– Vous avez un moment, je s’rai court.
Tous approuvent.
– Je gagnais ma vie en singeant vocalement et physiquement Frank Sinatra. Le jour où le responsable du Caesar’s Palace a trouvé un Sinatra meilleur que moi, il m’a viré sans préavis. Les gorilles m’ont empilé les trois chapeauxsur la tête. Mis mes fringues dans une valise. J’ai ensuite pris les escaliers de l’hôtel pour un toboggan.
Les Docs de chez Bluntstone font moins de bruit que les docs chez Martens, mais collées à un parquet en chêne véritable, elles crissent… Et en ce moment chers lecteurs, elles crissent. Ce qui signifie que les pantins de Gabriel ne sont pas loin et que l ‘heure est venue de presser le pas.
Alex et Jim soutiennent un Leone essouflé.
– Tu manges trop, Sergio.
– Est-ce que je m’occupe de tes problèmes d’addictions, Jim ?
– Non.
– Alors, occupe-toi de tes fesses et aide-moi.
Alex ricane.
– On y est presque. Le code ? A y est… Tous à quatre pattes… On soulève cette putain d’trappe. Jim, tu descends le premier et tu tends l’échelle de corde.
– J’hésite entre : ouvrir une trattoria dans le quartier rital de New-York oufilmer la suite de « Il était Une Fois en Amérique »…
Alex descend suivi de Sergio. Un pied de Leone dans la main d’Alex. Les deux mains de Sergio dans celles de Jim Morrison. Tous ont bien atterri. L’échelle de soie ne se remettra vraisemblablement pas du passage du metteur en scène italien. Les regards de nos camarades se portent sur les photos de Kim Novak.
– Dio mio, cet ange avait bon goût. Que des photos du studio Harcourt.
– Pas mal pour un tyran grec démissionné.
– C’est vrai Alex. Tu entends ? Cela fait du bruit là-haut.
– Normal, Fratello. Ils sont libres. Ils s’amusent.
La tête du Frankie apparaît en haut de l’échelle.
– Je peux venir aussi ? Je n’ai jamais aimé cet endroit.
– Arrive…
– Ça n’vous gêne pas de continuer à m’appeler Frankie ?
– Pourquoi, tu n’t’appelles pas Frankie ?
La galerie des Harcourt mène à un rond-point.
– C’est par là, dit la voix enfumée d’Ava.
– Qu’est-ce que tu fais là ?
– J’ai changé d’avis. Je suis en veine : à moi la table de baccara.
– Pour toi Sergio et pour toi Jim, c’est le couloir à gauche. Pour nous, c’est à quelques mètres.
Le son des ventilos se mélange à celui des machines à sous. Le bandit à un bras fait ses vocalises.
– Qu’est-ce que c’est, Léonide ? C’est quoi ce bruit ?
– Quelqu’un qui a fait le jackpot, je suppose.
– Tu savais ?
– Oui, Alex…
– Et on fait comment pour entrer ?
– Vous êtes prêts ?
– Siamo pronti, Dottore croupier. Uno due tre.
Tous ensemble :
– Mi la mi la mi
De l’autre côté du mur, une voix répond :
– Do ré la.
L’homme à la visière ouvre la porte. Léonide lui pince la joue.
– Je vous croyais déjà loin, frère croupier.
Alex fronce les sourcils.
– Vousêtes ?
– Je suis le jumeau de celui auquel vous pensez. Donnez-vous la peine d’entrer. Bienvenue au MGM Hotel. Je vous recommande le bandit à un bras qui est au fond près des toilettes. Personne n’y touche et personne à tort, c’est la machine qui paye le plus.Quand vous en aurez assez de perdre ou de gagner, vous pourrez aller vous reposer. Votre suite vous attend au troisième étage. J’ai demandé à mes deux sœurs de vous tenir compagnie.
Alex et Léonide synchros :
– Jumelles ?
– Oui, et en plus elles adorent les parties de cash-cash. Vous ne savez jamais celle que vous allez retrouver. Bon je vous laisse, j’ai un problème à la table de poker.
Dans la salle de jeux du MGM Hotel, les têtes se dévissent. Le milliardaire ruiné espère une ultime partie de poker. Il n’entend même plus le Niagara des pièces qui lui tombe sur sa veste de la machine à sous. Tous applaudissent. Ava et Frankie sont revenus. Alex et Léonide se sont assis face au bandit à un bras recommandé par le jumeau.
– À toi l’honneur, Alex.
Alex introduit les trois jetons.
– Quand je pense que pendant tout ce temps nous étions quasiment sous l’hôtel MGM, à Vegas…
Alex lève la tête il fixe Léonide.
– Tu m’la donnes ?
– L’explication ?
– La lettre.
– Quelle lettre ?
– Celle que tu as ramassée au pied de l’échelle en soie. Elle est toute bleue et elle dépasse de la vilaine veste en tweed que tu viens d’enlever à cause de la chaleur.
Léonide tend la lettre à son neveu. Alex ouvre et lit.
« Chers amis, chers traitres.
Si vous lisez cette lettre, c’est que je suis pendu au lustre de ma salle de billard ou pire je suis goudronné et vêtu de mes propres plumes dans la salle de sport. J’ai vu trop grand.
J’ai voulu revoir les beaux témoins de mon enfance, et de ce fait exploiter les faiblesses des uns pour satisfaire les miennes.
Je n’ai aucune excuse, cher Alex. J’ai quand même attendu le moment ou tu étais dans le trou pour te faire venir à Gabrielville.
Bon, je vous souhaite à tous toutes les merdes du monde, bande de Colobaras (pour avoir la traduction, achetez-vous un dictionnaire)
À jamais.
Evanghelis Goufalopoulos dit l’Ange Gabriel.
P.S. Avant de retrouver ce monde de cons sans imagination, faites au moins un jackpot. »
Alex froisse la lettre. Il la défroisse.
– Les Mormons sont les vieux maîtres de ces lieux. Quand Bugsy Siegel a créé Vegas, il n’a pu le faire qu’avec l’accord des Mormons. Accord financier bien sûr. Pourquoi tu fronces les sourcils Alex ?
– As-tu lu ma note de suicide, Léonide ?
– Non, mais je l’ai gardée. Je suppose que ça disait pourquoi tu voulais en finir.
Léonide le magicien fait glisser de sa manche la note d’Alex Korn. Léonide lit et Alex se souvient.
À l’unisson :
– « J’ai commencé à croire en moi au moment où les autres n’y croyaient plus. Il valait mieux fuir leur réalité. »
– Nous allons tous devoir changer Alex. Tu fronces encore les sourcils… Elle t’attend demain au Sidewalk café à 16 heures
– ??
– Sue, qui d’autre ? J’ai encore perdu. Regarde Frankie, il en est à son centième autographe. C’est fini, on rentre à la maison.
– Et si on chantait ? Comme disait Resnais.
« Nico tombe du vélo sans cœur
L‘salaud meurt d’un mauvais rhume
Tarzan s’accroche au déambulateur
Nous sommes ce que nous fumes »
Alex et Léonide s’éloignent. Le soleil s’essouffle. La nuit sera américaine. Le lapin à l’abondante poitrine met un micro dans la main gauche de Frankie S. et un shot de bourbon dans l’autre. Le pianiste du casino lui fait un signe qu’il est prêt. Notre Sinatra exfiltré desserre son nœud pap.
« À quoi me sert de faire le pitre
D’faire Sinatra sous ton balcon…
D’avoir la voix, d’avoir le son
Tu n’aimes qu’au-dessus du titre »
Chute de corps. Joueurs et joueuses de tous horizons échangent larmes et kleenex.
ÉPILOGUE
– C’est encore loin Jim ?
– … Voyons voir, arrivé à l’affiche de « Seuls sont les Indomptés » , tourner à gauche… On y est. J’ai du mal à me relire… c’est ça, on est arrivés. Regarde l’escalier en colimaçon en tek véritable.
– Tu y vas en premier, fratello ?
Jim grimpe. Leone attend. La tête de Morrison apparaît au milieu d’une mer de sable.
– On y est, Sergio. On peut pas dire qu’il y ait foule.
Les nuages griffent le ciel. Sergio Leone s’assoit.
– Regarde ce cactus. Il me montre le chemin de Cinecitta… Mais ça, c’est pour demain. Ce soir, on va s’taper une gigantesque portion de tagliatelle chez Luigi. Qu’est-ce que t’as ?
– J’espère qu’ils ne m’ont pas oublié.
– Des personnalités comme la tienne, Jim, on les boude ou on les fait chier, mais on ne les oublie pas… Jim, je peux te demander une chose ? Merci. Tu vas t’avancer dans ce magnifique désert doucement, très doucement, et moi je vais te filmer de dos. Tu es prêt ?
– Oui, Sergio
– Silence sur le plateau. En Italie on double tout, mais ce n’est pas une raison. Silencio… Moteur…
– Attends une seconde, Sergio. Tu n’entends rien ?
– Non, mais je vois… Guarda la Norma…
Sous un cactus solitaire, l’ex-Marilyn a installé son béret rouge. Elle attend les pièces du promeneur providentiel : elle fredonne…
– Che bella donna, che bella ? Jim, reprends ta place. Tu t’assois à côté d’elle… Toi Norma, tu le regardes amoureusement et tu chantes… Silencio… Motore… Action…
FIN
Boris Bergman