« Nous Sommes ce que nous Fumes » XIII : le Feuilleton de Paris Bazaar

Nous Sommes ce que nous Fumes-Gloria Grahame-ParisBazaar-Bergman

Avec Boris Bergman suivez les folles aventures d’Alex Korn, songwriter passé de vie à trépas. Vous découvrirez que l’Enfer n’est pas ce qu’on croit, qu’il est même très bien fréquenté et que l’ange Gabriel porte le Perfecto. Un feuilleton totalement barré. Un bonheur pur Bazaar !

Chapitre XIII : « Gabriel, tu sens l’asphalte… »

« Cett’ fois c’est la fin

Pour l’Ang’ qui n’en est pas un

C’est aussi la sortie

Pour ceux qui sont en vie

Ava, Sinatra, Morrison

Te chantent la fin à l’unisson’

Nous sommes ce que nous fumes

Sans nos plumes

On s’barre au Quai des Brunes. »

Le Croupier aspire le sifflet.

À vos marques… Prêt ! Battez.

Battes de baseball et parfois de cricket s’abattent sur Gabriel et Fink. Volent les plumes et coulent les larmes.

Ça fait mal, Evanghelis ?

– À ton avis, croupier de mes deux… C’est comme ça que tu me remercies ?

– Et mes dividendes ? Mes dividendes. On a fait un marché. Tu payes ton loyer avec la beuh et la revente de la beuh… Tu n’penses tout de même pas que la communauté mormone que je représente t’a cédé 20 000 mètres carrés de terrain gratos ?

Le Croupier se tourne vers les autres.

Si j’avais de l’humour, Gabriel Goufalopoulos, je serai comme toi plié en deux. De préférence sans goudron.

Le Croupier fixe Léonide.

C’est pas compliqué… Je me prête à la petite comédie de ce Grec orthodoxe afin que mes visites foutent la trouille à ses locataires. L’important étant, bien sûr, qu’ils ne sachent pas que je viens relever les compteurs : les mormons ont des frais messieurs-dames. Ils mangent, ils boivent, ils jouent parfois dans les casinos construits sur leurs terres. J’ai bien dit « leurs terres ». Tu es chez eux, Gabylopoulos. Enfin, tu étais.

Le Croupier se relève.

Qu’est-ce que vous allez en faire, Léonide ?

Ava s’approche du Croupier. Elle visse une Craven au fume cigarette. Un cadeau de Frankie sans doute.

Le laisser ici avec ses rêves de grandeur. Il pourra toujours balancer quelques chansons grecques à Fink.

Fink qui a du goudron partout et très peu dans les oreilles a bien entendu.

Vous allez pas m’laisser ici tout seul avec lui ?

L’ex-Marilyn s’approche de lui.

I don’t want to be love by you, by you Get lost. Poo-poo-pee-doo.

Nous Sommes ce que nous Fumes-Marylin-Kiss-ParisBazaar-Bergman

Le Croupier se fait prendre le pouls par Frère Jacob.

Écoute, Ange de mes deux, tes pantins ont bien travaillé. Ils ont élevé la meilleure Sinsemilla du Nevada. N’est-ce pas Frère Jacob ?

Jacob secoue la tête.

Ne vous inquiétez pas. Ses supérieurs m’ont imposé ce mormon muet pour me surveiller, mais je digresse, je digresse… Alors le Grec, il est où mon pognon ?

Gabriel attaché au portique tend son index goudronné et plumé vers le cheval d’arceau.

Mais encore ? Salive le Croupier.

L’Ange aux dents de Geisha murmure.

La Fermeture éclair est en dessous du cheval.

Parle plus fort, Evanghelis. J’ai un appareil auditif.

– La fermeture est en dessous.

Frère Jacob…

Frère Jacob se met à genoux. Il a l’habitude. Le Niagara de ballots de beuh tombe sur le chêne premier choix de la salle où jadis Gabriel faisait ses pompes, et plus quand affinités.

Le Croupier de la Nuit, alias l’homme au sourire qui fout les chocottes. Celui qui a fait dire au patriarche de la communauté : «Quand il fait la gueule, c’est presque rassurant.» Le croupier salue les tortionnaires de l’Ange.

Pardonnez mon intrusion. Je ne suis qu’un pauvre comptable. Je fais les comptes et les rends à mes amis mormons. Sur ce,
je vous quitte…

Un peu de sable vient d’atterrir sur la visière du Croupier.

Va falloir me réparer tout ça. Cet endroit tombe en ruines. Notez, Frère Jacob.

– C’est normal Frère Croupier. Ne sommes-nous pas en dessous d’un désert.

– Tais-toi. Tu es muet. Ils s’en apercevront assez vite.

– Bon, on y va ?

– On y va, Frère Jacob. Bonne fin de soirée les Kids… Et mauvaise fin tout court à toi, Gabriel. On prend quelle sortie, Frère Croupier ?

– Nous avons le choix, Frère Jacob. La trappe sous la table de billard du Grec… Le toboggan sous la septième lampe dans la salle des machines…

– … Et si on passait par la chambre d’Alex ?

Alex se redresse.

Ah, parce que l’on peut sortir par ma chambre ?

– Hé oui. Il suffit de décoller le poster de Gloria Graham, d’appuyer sur un verre des lunettes de Buddy Holly, verre gauche ou verre droit, ça n’a pas d’importance… Le poster de Gloria monte automatiquement vers le haut. Un couloir, un très long couloir. Mais au bout, la vie, les chansons, le sexe, la zique, Eddy Cochran, Gene Vincent, Sondheim et Métal Hurlant.

– C’est l’heure, Frère Croupier.

– Adieu à tous et rappelez-vous, vous êtes vivants… Sauf toi, saleté.

– Je l’ai toujours su… soupire Gabriel.

Gloria Graham salue les deux compères.

C’est gentil d’avoir accroché mon poster…

Elle se tourne vers les goudronnés.

Merci quand même de m’avoir donné un si beau rôle.

Elle salue.

Nous Sommes ce que nous Fumes-Gloria Graham-2-ParisBazaar-Bergman

On m’a toujours prise pour Gloria Graham. Même plusieurs années après sa mort, il suffisait qu’un cinéma de minuit repasse « The Big Heat » pour que le jour suivant, l’attroupement soit inévitable.

J’ai essayé de devenir actrice, ouvreuse à l’opéra de Santa Fé dont je suis originaire. Puis, assistante lumière du même opéra.
Théâtre de rue à El Paso où j’ai repris le rôle de Stella dans «Un Tramway nommé Désir ». L’actrice qui tenait le rôle s’était fait la malle avec l’ingénieur son. Je suis partie en tournée avec la petite troupe. J’ai eu quelques succès et puis plus rien. Je n’allais pas, comme les copines, écrire des contes pour enfants.

 Je me suis installée à Taos, le propriétaire du ranch ressemblait à Lee Marvin. Je me disais que celui-là ne me défigurerait pas à l’acide. Que je ne mourrai pas dans les bras de Glenn Ford comme dans le film de Fritz Lang.

Lors de son infernal casting, celui que l’on appelait encore Monsieur m’a repérée. Je n’étais qu’un sosie. L’idée de devenir l’originale m’a plu. Et puis, Marvin bis me trompait de plus en plus. Je n’avais plus grand-chose à perdre. Je suis venue les yeux bandés dans ce souterrain rebaptisé l’Enfer pour ce mégalo de Gabriel… Je l’appelle encore comme ça ?

Jim M. fait signe à Alex de s’installer derrière la console. Alex balance le playback. Jim Morrison invite Gloria à lui passer le micro. Jim se passe la main dans les cheveux. C’est bon signe.

– Lors de mon séjour à Paris et juste avant de mourir, j’ai composé cette chanson et je suis mort… Enfin, c’est ce qu’on
a voulu vous faire croire, car comme vous pouvez le constater je suis bien vivant. Les filles vous êtes prêtes ? Je compte sur vous. On a assez répété… Ava ?

Présente.

– Gloria ?

– Présente.

– Norma ?

– Présente.

– Et Marlène ?

– Présent.

– Pour la première fois de nouveau réunie, Les Supremes de l’enfer et moi-même vont vous interpréter « On ne vit qu’une fois » :

« J’ n’aurai vécu qu’une fois

l’Ange c’est c’que tu dis

L’Enfer pas fait pour moi

Pas plus que l’ Paradis.

J’allume mon feu sans toi

Sans toi l’Ange des Maudits

Mes jeans seront jamais dans l’pli

Je fais semblant de marcher droit

Et je boite de nuit. »

Les choristes :

– Poo-poo-pee-doo Poo-poo-pee-doo.

Sergio a retrouvé l’appétit :

Mi- la- mi- la- mi.

Tous ensemble :

Do- ré- la.

Nous Sommes ce que nous Fumes-Elvis-ParisBazaar-Bergman

Jim salue. Les Supremes envoient des baisers aux quatre murs de la salle de sport. Léone serre Marlène dans ses bras.
Léonide s’approche du goudronné dont on ne distingue que les yeux.

Evanghelis. Je peux encore t’appeler Gabriel si ça te rassure.

– Comme il te plaira, Léonide. Ça ne te dérangerait pas de me dégager les narines ? J’ai du mal à respirer.

Léonide se tourne vers les juges et les jurés.

Je peux ?

– Bien sûr, Léonide. Quelqu’un a du feu pour ma cigarette ?

Des briquets bien allumés se tendent vers Ava. Léonide colle la Craven sur les lèvres anthracite de l’Ange.

Tu vois Vanghelis, avec ce qu’ils t’ont mis sur la bouche, elle ne risque pas de tomber.

Léonide s’assoit près du supplicié.

Tu t’ souviens de la première fois ? Quand tu m’as relevé et adossé à la colonne de béton du parking. Tu te souviens ?
Tu as chuchoté : Ça t’plairait d’être le directeur artistique du plus grand cabaret du monde ?

Comment vous appelez-vous ?

– Evanghelis Goufalopoulos. Mais à partir de maintenant je suis l’Ange Gabriel. Devant les autres, tu m’appelleras Votre Angerie. Et en privé, Gabriel ou Gaby lorsque les circonstances le permettent…

Nous avons parcouru l’Amérique coast to coast à la recherche de sosies, d’acteurs en quête de petits et grands boulots en un mot : des âmes semblables à celles de Gabriel qui rêvent d’être et ne sont pas. «Monsieur», je veux dire Vladek, illusionniste cinéphile les a coachés jusqu’à ce jour… Vladek l’ hypnotiseur n’aurait rien accompli sans sa collaboration avec Papitok le chimiste aux mille potions hallucinogènes. Gabriel pouvait compter sur ce dernier pour trouver la formule qui ferait qu’un Sinatra stagiaire devienne le vrai. C’est cette nouvelle potion qu’il a essayée sur toi, Alex.

– Ça veut dire que je suis vivant ?

– Aussi vivant que Jim M., Sergio L. et moi, mon neveu.

– Tu m’expliqueras comment tu as procédé avec moi, Léonide… Oui je sais… Plus tard… Une chose, un détail…

– ?

– Tout ça ne me dit pas ce qu’est devenu Pavel Papitok…

– Papitok était fatigué. Le vieux Cosaque culpabilisait. La petite Monroe ne supportait plus les injections. Pavel a demandé à Gabriel de la laisser partir. Gabriel a bien sûr refusé et a chargé le nouvel arrivant…

– Fink ?

– … De s’en débarrasser. Vladek, dégoûté, a décidé de changer de camp. Dans mon cas, ça faisait un moment que je voulais plaquer l’Ange et son royaume souterrain. Mais voilà… l’Emplumé a des antennes. «Monsieur Monsieur» et moi-même étions les prochains sur la liste. Il n’a rien dit pour mieux nous surveiller. Il savait qu’il faut garder ses ennemis tout près de soi.

Nous Sommes ce que nous Fumes-Houdini-ParisBazaar-Bergman

Sergio la bouche pleine, interrompt nos deux amis.

– Léonide, Il Greco te fait des signes. Il veut peut-être se confesser ?

Je m’en occupe Sergio.

– Dis-moi Léonide, pourquoi moi ? Une fausse Gardner, un faux Sinatra, je peux comprendre, mais pourquoi moi Alex Korn ?

– Parce que tu as quelque chose qu’il n’a pas.

-Bon, c’est un début. Qu’est-ce qui t’as décidé à m’aider, Tonton ?

– Avant même qu’il fasse exécuter Papitok, j’ai eu une conférence secrète avec Vladek dans les toilettes de l’Ange.
On actionnait la chasse à tour de rôle pour couvrir le son de nos voix. Nous ne nous faisions aucune illusion, quelque part, sous la lunette, dans le rouleau de papier Q, Evanghelis Goufalopoulos avait sans doute planqué un micro. Vladek m’a fait un clin d’œil.

– Ce sont mes photos. Ça, c’est moi au John Houseman Theater de New-York, lors d’une soirée caritative.

– Tu y faisais quoi ?

– Je sortais des lapins du chapeau claque et des colombes de ma redingote… et j’hypnotisais la comparse du deuxième rang.

– C’était bidon ?

Pas tout à fait. J’hypnotisais aussi le producteur du spectacle et j’obtenais toujours plus que prévu. Cela me permettait de payer l’assistante et de me faire un bon bortsch au Carnegie Déli. Regarde au dos la date. Il n’y a pas de date au dos de la photo. Un texte en écriture minuscule où l’on peut lire : « Journal de Vladek K. dit Monsieur Monsieur » Lis ça dans ta chambre, Léonide.

Vladek tire une dernière fois la chasse. Sourire et clin d’oeil de l’ex-âme damnée de l’ange déchu. Il sait que le micro sous la cuvette des gogues ne se laissera pas prendre par ce dialogue-écran.

– Je te lirai ce soir, Vladek. Désormais, j’ai quartier libre. Mais avant, écoutons ce que l’Ange Gabriel a encore à nous dire…

À suivre …

Boris Bergman

 

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