« Nous Sommes ce que nous Fumes » X : le Feuilleton de Paris Bazaar

Avec Boris Bergman suivez les folles aventures d’Alex Korn, songwriter passé de vie à trépas. Vous découvrirez que l’Enfer n’est pas ce qu’on croit, qu’il est même très bien fréquenté et que l’ange Gabriel porte le Perfecto. Un feuilleton totalement barré. Un bonheur pur Bazaar !

Chapitre X : le Manège de Léonard

Où les rollers de Sue s’éloignent d’Alex Korn et du Sidewalk Café… Où Alex retrouve Léonard et son manège à Santa Monica… Où Alex et Léonard rencontrent Robert Mitchum sans savoir qu’ils se reverront… Où Léonide nous donne des indices sur l’ identité de l’Ange Gabriel.

« Tu t’habill’ comm’ tu veux,

Pas d’smoking, pas d’repère,

L’enfer est fait pour ceux

Qui s’habillent de travers

La belle Sue n’ viendra pas.

Elle a changé d’trottoir.

Cher Alex, rassure toi

Ici l’port de l’angoisse

n’est plus obligatoire.

On dort, on prend du poids

On flatte les miroirs

Suis-je encor’ beau à voir ?

L’encre sèche sur la plume

Nous sommes ce que nous fumes. »

Sue fait grincer ses rollers sur les planches de la promenade. Dans quelques secondes, le Sidewalk Café ne sera plus qu’une maison de poupée et Alex Korn un point de suspension solitaire. Cette fois c’est fait. Elle lui a avoué sa liaison avec Bo Craddock.

Léonide leur a organisé un South American Tour. Elle fera la première partie du concert de Bo et sera la choriste de ce dernier pour la deuxième partie. Korn s’est levé, il n’a même pas fini son pastrami.

Le cornichon au sol le fixe : « Tu n’aimes plus les Malosols, Alex ?… Non non, j’comprends… Va faire un tour de manège à Santa Monica.. C’est là que tout a commencé. C’est peut-être là que tout doit finir. »

Alex dit merci au cornichon.

Nous Sommes ce que nous Fumes-RollerBabe-ParisBazaar-Bergman

Les quelques kilomètres qui le séparent de la plage de Santa Monica lui feront du bien. Il cherche dans sa poche à tiroir un roach inachevé. Il a de nouveau la banane.

Il n’a pu s’empêcher de mater le joli petit cul de Sue, lorsqu’elle s’est penchée pour chausser ses rollers. Sue s’est retourné en éclatant de rire : « Tu n’changeras jamais, Alex… »

Le responsable du manège ne pleure pas. S’il a la tête sur les genoux, c’est qu’il s’est endormi.

How do you do, Mister Korn ?

– Tout va bien, Léonard.

C’est aussi entre manège et océan que Craddock et Alex Korn ont écrit leur deuxième succès. Korn a improvisé un texte. Craddock une musique. Alex fredonne Scoop’m Up’ et Léonard qui a relevé la tête fait la tierce.

Comment va mademoiselle Sue ?

– Très bien, Léonard

– Et Mister Bo ?

– Bien aussi, je suppose…

– Bon, y a de l’eau dans le jazz. Raconte… Tu m’racontais autre fois. T’es trop triste, c’est ça ? C’est pas une raison pour te jeter du 27 ème étage de ton condo, Alex… Tu vas pas faire ça, petit. Je t’aime moi… Ça m’va faire bizarre de ne plus vous voir enlacés face à la mer. Tu vas peut-être t’enlacer à quelqu’un d’autre… Parle-moi Alex.. Ou bien chante…

– Qu’est-ce que tu veux ?

– «River» de Joni Mitchell… Ou alors la chanson de Rio Bravo «Pony Riffle and Me» ? Celle que tu chantais avec Bo quand vous vous arrêtiez ici avant d’aller vous faire une mousse et un club sandwich au… ah, j’ai oublié… tu sais, le restau sur pilotis devant la plage. Ma mémoire part en brioche. C’était heu..

– Le «Malibu Grill» , Léonard. Tu veux qu’on y aille ensemble ? Mon rendez-vous s’est écourté, j’ai tout le temps de mon monde.

– Je ne sais pas si je dois Alex. J’ai pas eu beaucoup d’clients cette semaine. Y a un gosse qui est tombé de la licorne. Les parents des autres gosses se méfient. Ils disent que mon manège n’est pas safe.

– Viens, on va s’faire une belle salade tout en couleurs…

Ok, mais promets-moi de n’pas penser à tout ça la bouche pleine.

– Tu m’fais penser à Walter Brennan dans « Rio Bravo ». Tu veux que j’ te l’imite ?

– Plus tard, Léonard

– Bon, je ferme le manège. Tu m’aides ?

Nous Sommes ce que nous Fumes-Santa Monica-ParisBazaar-Bergman

Léonard lèche son assiette. Alex massacre la tranche de citron récalcitrante. Elle ne veut pas toucher le fond du verre.

– Tu sais que c’est meilleur sans, Alex.

– Ça dépend d’où tu viens, Léonard.

– Tourne-toi doucement. T’as vu qui y avait derrière toi ?

Les deux se retournent. Robert Mitchum les salue militairement.

Quelle belle journée. Vous allez bien, Alex ? J’ai tous les enregistrements de votre groupe.

– Vous connaissez les Hound Dogs ?

– Je connais également vos chansons avec Bo Craddock… Que devient-il ?

– Il est en Amérique du Sud avec son nouveau groupe.

– Vous écrivez encore ?

– Ça m’arrive encore.

– Vous n’auriez pas quelque chose à fumer. Les flics m’ont tout saisi la semaine dernière. Ça m’apprendra à rouler trop vite, vitres fermées.

– Ça devait sentir bon.

– Pas pour tout le monde, Léonard.

– Quand revenez-vous faire un tour de manège, monsieur Robert ? Les enfants vous réclament. Vous êtes si gentil avec eux.

– Bientôt, Léonard. Je viens de mettre mon poing dans la gueule de Preminger. On m’a viré. Je suis au chômage. J’ai le temps de faire un tour de manège.

– Le premier tour sera gratuit, Robert… Oh, je vous ai appelé Robert.

Et vous avez eu raison.

– Je viendrai demain. Je dois passer chez mon avocat. Preminger a porté plainte. Tout ça pour une molaire et deux yeux au beurre noir.

– Grand metteur en scène quand même… «Laura»

– Grand metteur en scène et sale type, Alex.

– C’est quelques fois le cas.

– Garçon ! Vous mettrez les notes de mes deux amis sur mon ardoise. Je passerai payer dès que mes autres amis du fisc auront débloqué mes comptes. Ciao les kids…

Nous Sommes ce que nous Fumes-Robert Mitchum-ParisBazaar-Bergman

« Bel après-midi d’en bas. Je ne savais pas que je reverrais Bob Mitchum en haut. En haut de quoi, qu’importe. Je me suis souvenu. Mon deuxième cerveau a refilé les infos au premier, qui fatigue un maximum depuis que je suis passé du 27ème étage aux portes de l’Enfer.»

Grand film nippon, Alex.

– Tu lis encore par-dessus mon épaule, Léonide. Ça devient une sale habitude.

– Tiens. Quand tu trouveras le temps et trouve-le vite. Tu pourras lire le mien, enfin la dernière partie.

– Tu as bien dit « trouve-le vite »,  ça veut dire qu’on s’en va ?

– Ça y ressemble. Il faut d’abord bloquer Gabriel avant qu’il ne s’organise. Je sais par Monsieur Monsieur qu’il a fait venir de je ne sais où de nouveaux vigiles.

– De « je-n’sais-où » ?

– Tu fais chier, Alex… « Curiosity killed the Cat », tu t’souviens ?

– Je ne suis pas un chat. Je ne suis pas curieux. J’anticipe, c’est tout.

Tu as raison, mon neveu.

– Je déteste quand tu m’appelles «neveu». Ça veut toujours dire que je dois m’attendre au pire.

– Essaye de dormir, demain décoiffe. Avant, essaye de jeter un œil à cette partie de mon journal, ça t’mettra sur la voie.

Léonide sort de la chambre d’Alex. Alex a entrevu la batte de cricket qui faisait une bosse dans le Macintosh de Léonide. Alex ouvre le classeur. Belle écriture. Un cri du couloir.

Alex ouvre la porte. Fink essaye de se tenir droit, ce qui pour lui est une tâche impossible.

Bonjour, Alex.

– Bonjour, John.

– Les consignes pour ce soir : Personne ne sort de sa chambre.

– C’est gentil de t’être dérangé personnellement pour me le dire.

– Je te devais bien ça, Alex. Après ta mort, je suis venu chez toi. Je t’ai piqué la totalité de tes vinyles… Et aussi quelques départs de texte.

– Ce n’était pas la première fois.

– Rentre dans ta chambre, Alex. Ce qui se passe derrière ta porte ne te regarde pas. Ça m’embêterait d’avoir à te tuer une deuxième fois.

– Pourquoi ? La première fois, c’était toi ?

– Non, mais ça a bien arrangé mes affaires.

Le chef des pantins de l’Ange a refermé la porte. Deux tours de clé et puis s’en va.

«Tout ce qui est en haut est pareil à ce qui est en bas disait mon grand-père Wolfgang, Willy pour les intimes. Un vieux kabbaliste ascendant vodka faite maison… Revoir John Fink m’a rajeuni. Le même regard qu’il posait sur moi et mes brouillons il y a de ça… Bon, à moi les pensées de l’oncle Léonide. »

« Cher Neveu,
l’heure est venue de te mettre au parfum. Je sais que tu t’es posé un certain nombre de questions depuis ton arrivée ici. Je sais que tu as une caméra à la place des pupilles et que rien ne t’échappe. Tes interrogations vont peut-être trouver réponse. L’Enfer n’existe pas, pas plus que le Paradis selon l’Ange Gabriel, dont le nom était Evanghelis Goufalopoulos avant de s’installer dans cette partie du ciel. Voici donc, cher Alex, les dernières pages de mon journal à ce jour. Tu as eu le droit de le lire avant Gabriel. »

Journal de Léonide Yakovovitch

Bonjour, l’Ange.
Tu vas bien finir par trouver mon journal. Alors, je te dois un semblant d’explication. Où je planque ce dernier ne m’a pas demandé beaucoup d’imagination. Un simple coup de chapeau à l’évidence. Je ne peux résister à la tentation de te l’avouer. Il est sur ton bureau où je le pose à chacune de mes visites. J’ai spéculé sur le fait que tu ne lis pas. Tu demandes à Monsieur de te lire les extraits qui te concernent. Que ce soit dans le journal de Sinatra ou de Marlène.

Tu te fous du reste comme du reste.

Tu ne sais pas non plus que tes jours en tant qu’Ange sont comptés. Trop de mort Evanghelis… Oh pardon, je t’ai appelé par ton prénom d’origine. Je n’oublie pas ce que tu as fait pour moi.

Nous Sommes ce que nous Fumes-Sands-Vegas-ParisBazaar-Bergman

Parking du Sands Hotel, à Las Vegas

J’ai connu Evanghelis Goufalopoulos quand il assurait la sécurité des tables de jeu au MGM Hotel. Il faisait gagner ou perdre: C’était selon le pourcentage proposé par le joueur heureux ou malheureux. Il se faisait toujours payer d’une manière ou d’une autre. Gare au joueur chanceux ou malchanceux qui n’avait pas honoré sa dette.

Qui était Evanghelis G. ? Un comédien grec né à Alexandrie.

Il a joué dans quelques comédies musicales égyptiennes. Son arabe est parfait. Son anglais et son russe aussi.

Evanghelis m’aimait bien. Je perdais ma chemise à la table de poker sans lever un cil et je le traitais avec respect.
En vérité, je ne me suis pas fait « buter » dans un parking, j’ai « failli me faire buter » dans un parking.
J‘avais emprunté une grosse somme au « Rouquin »,  le prêteur sur gage de Vegas.

Ses gorilles m’attendaient dans le parking. J’ai aperçu une barre de fer briller à ce premier soleil du matin. J’ai pris un coup sur la tête, peut-être deux. Avant de me plier sur le bitume, j’ai aperçu les potes de Goufalopoulos écrasant déjà les cacahuètes des hommes de main du grand rouquin. Goufalopoulos m’a relevé. Il m’a glissé les mille dollars que j’avais perdus dans la poche de mon imper. Il s’est approché de mon oreille.

 Si tu n’as pas de projet immédiat, j’ai quelque chose à te proposer. Viens me voir dans deux jours à Los Angeles. J’ai mes bureaux dans le même condo que ton neveu. Voici ton billet d’avion, Léonide Yakovovitch. Et ma carte de crédit.

– T’as un kleenex ? Merci. Dis-moi Evanghelis, si tu as un bureau sur Melrose, pourquoi tu fais l’croupier ?

– Une salle de jeux est le meilleur moyen de connaître ses semblables, bien que je pense ne leur ressembler en rien.

– Merci pour la proposition. Efkaristo.

– Ton grec est excellent. Tu peux déjà m’appeler Gabriel, je t’expliquerai. Yassas.

« J’allais comprendre plus tard pourquoi celui qui allait devenir l’Ange voulait à ce point connaître ses semblables… Je baille… Le marchand de sable m’a donné son premier coup de pelle sur la crâne… J’arrête la lecture. »

À suivre…

Boris Bergman

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