Elle aime, Hélène. Elle aime aimer et prendre le temps de l’écrire. À l’encre de ses émotions, au fil de ses rencontres, ses lettres s’affranchissent de toutes les barrières. Comme seuls les mots savent le faire quand ils viennent du coeur.
« Permettez que je vous écrive, Madame Gisèle Halimi.
Permettez que je vous écrive comme on lance une bouteille à la mer, persuadée que les flots l’emmèneront jusqu’à sa destinataire.
Permettez que je vous écrive, Madame Halimi, dans l’espoir désespéré et désespérant que ces mots ne seront pas vains. Et qu’ailleurs, là où vous vous trouvez, il y ait un lien avec notre monde.
Ces quelques lignes que je vous adresse, Madame, sont empreintes d’une profonde tristesse.
Serions-nous, ici-bas, à ce point indignes de votre chemin, indignes des combats que vous avez menés, comme d’autres à vos cotés et dans vos pas, pour notre liberté d’être femmes et notre droit d’être libres ?
Ces derniers temps, une de vos phrases me revient sans cesse en tête… “ Ne baissez pas la garde, rien n’est acquis ” …
Nous venions d’échanger lors d’un entretien radiophonique sur les batailles gagnées des droits des femmes et celles qu’il nous restait encore à mener.
Le constat durant cette rencontre n’était, certes, pas très enjoué mais nous avait laissées conscientes que même si le chemin serait long, il demeurait réalisable.
Est-ce notre société aujourd’hui qui, en banalisant toute forme de violence, en se perdant chaque jour dans les flots boueux de mots et d’images de haine, donne à notre monde cette couleur de sang ? Ou est-ce ainsi depuis toujours ?
À chaque jour, son lot d’outrances, de féminicides, d’omissions des droits des femmes les plus élémentaires sans que cela ne fasse véritablement la une des journaux, juste quelques secondes… une « brève » , comme on dit dans le métier.
L’acte répréhensible entre peu à peu dans une banalisation qui me glace.
Ce que nous pensions si fort être acquis, tant le combat avait déjà été long, est balayé chaque jour d’un revers de manche qui me donne la nausée.
Comment peut-on aujourd’hui encore, dans ce monde qui se prétend savant et lettré faire fi de tant de vies malmenées, de tant de vie volées et violées ?
Comment peut-on dire et écrire qu’une gifle n’est qu’un « simple et malheureux accident sans grande conséquence » ?
Comment un homme digne de ce nom peut-il se prétendre supérieur à une femme ? Comment un homme peut-il croire encore qu’il possède un droit quelconque sur cette dernière, même la sienne ? Car le mariage, faut il le rappeler, n’est pas une servitude.
Combien de temps encore faudra t-il répéter, jusqu’à en perdre haleine, que les coups portés sont un crime qui ne peut rester impuni ?
Que le rapport sexuel non consenti est un viol et que cet acte relève du pénal ?
Combien de temps encore pour que la loi s’applique à tous sans distinction, et que plus jamais une victime ne soit considérée comme complice ou pire comme coupable de son malheur ?
Permettez que je vous écrive, Madame Gisèle Halimi, pour que les mémoires amnésiques comprennent que votre chemin, vos combats, vos batailles et vos victoires n’ont rien perdu de leur absolue nécessité. Et que nous devons chaque jour nous en faire l’écho.
Permettez, Madame, que je m’adresse à vous aujourd’hui, vous qui avez sans relâche combattu pour que notre liberté d’être et de vivre libres soit une évidence.
J’aimerais si fort que, demain, la simple mention de votre nom sonne la fin de nos souffrances de femmes.
Pardonnez-moi, Madame, si j’ai dérangé votre repos éternel mais le notre de repos est tellement loin d’être pour demain.
Je veux simplement croire que nous serons dignes de vous.
Et à cet instant, même si j’ai pu vous le dire mes yeux dans les vôtres il y a bien des années, je vous réitère mes remerciements les plus sincères, vous renouvelle mon admiration et vous assure à jamais de mon respect pour votre audace salutaire et votre courage sans égal.
Veuillez, Madame, accepter ma reconnaissance indéfectible. »
Hélène Lacore-Kamm
(Hlk Prod)