Saïd Taghmaoui : les Combats d’un Guerrier

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Révélé avec la Haine de Mathieu Kassovitz en 1995, Saïd Taghmaoui mène depuis une carrière internationale riche de plusieurs dizaines de films dont quelques fameux blockbusters. Rencontre avec un artiste qui s’est hissé à la hauteur de son rêve.

Ce jour-là, il était de retour chez lui. À Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Le temps d’organiser un déménagement pour sa famille dont il n’aurait laissé pour rien au monde le soin à d’autres que lui. On venait de le découvrir dans le rôle du Grand Maître de la Grande Table, la redoutable confrérie d’assassins à l’oeuvre dans la saga John Wick avec Keanu Reeves dans le rôle titre, on le rencontrait en simple tenue de déménageur, tout sourire, accompagné d’un pote. Contraste.

C’est quand il a commencé à parler que tout est revenu. Le même débit dans les paroles, la même intensité dans le regard. C’était il y aura bientôt vingt-cinq ans. Un film en noir et blanc tourné à Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines. Au lendemain d’une nuit d’émeutes dans cette cité de la région parisienne, 24 heures dans la vie de trois potes… « Jusqu’ici, tout va bien… » Il y avait Vinz-Vincent Cassel, Hubert-Hubert Koundé et Saïd-Saïd Taghmaoui. Derrière la caméra, Mathieu Kassovitz. Et au bout de l’aventure, un immense succès critique et public pour la Haine, avec le Prix de la Mise en Scène à Cannes, trois Césars dont celui du Meilleur Film et deux millions d’entrées. Le film d’une génération.

Ce qu’en revanche on n’avait pas saisi tout de suite, c’est que si le film allait propulser Kassovitz et Cassel, Koundé et Taghmaoui  en comparaison resteraient un peu sur le quai. Un noir, un rebeu que le cinéma français s’est longtemps borné à enfermer dans des rôles de noirs et de rebeus. Le constat n’est pas nouveau, il explique simplement qu’un jour Saïd soit parti en Amérique s’ouvrir des horizons plus vastes.

Saïd Taghmaoui-1-les Combats d'un Guerrier-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

« Pourquoi je suis parti ?… C’est une grande question… je suis parti parce que j’ai compris. Pour te donner une métaphore, moi qui adore la boxe, tu penses que tu es un challenger officiel mais on t’utilise uniquement en sparring-partner… tu te dis que tu as des capacités pour être autre chose qu’un punching-ball mais on veut pas te donner la chance de les montrer…

C’est comme en amour, il faut être deux. Pour danser, il faut être deux. Pour faire du cinéma, il faut être plein. Et j’ai compris que ça allait être très difficile et qu’il n’y avait pas égalité des chances, que les dés étaient un peu pipés. On était un peu en avance sur notre temps aussi. De toute façon, dans l’histoire, il n’y avait pas beaucoup de gens qui nous ressemblaient qui avaient été des vraies  grandes vedettes…

Et j’étais là avec d’autres pour changer un peu la donne mais avec honnêteté, avec sincérité, sans me rabaisser. Sans commencer à mettre tellement d’eau dans mon vin qu’à la fin, il n’aurait plus eu le goût de quoi que ce soit.

Le cinéma français sait tout apporter, en fait ! Mais c’est une histoire de familles, de petits clans, de copinages. Ce n’est pas une industrie ! Elle est là la grande différence avec les États-Unis. La seule famille à laquelle tu appartiens là-bas, c’est celle de ta dimension professionnelle et de ton dernier succès. C’était donc plus intéressant pour moi, plus ouvert. 

Combien d’acteurs rebeus travaillent au cinéma en France ? Combien d’acteurs blacks ? Pour combien de millions de blacks et de rebeus qui y vivent et combien qui attendent ? Deux ? Trois ? Et encore, tu les vois pour des raisons de quotas alors que l’idée c’est que le talent est universel et qu’on est tous Français !! C’est l’humanité qui est en toi, c’est l’âme qui est en toi qui comptent ! Mais non, on est encore dans des rapports de machin et pire qu’avant… C’est ça qui était pénible.

Et c’est ça qui m’a fait comprendre que je n’avais rien à perdre ici et beaucoup à gagner ailleurs. Et que, quoi qu’il arrive, ce serait une expérience humaine extraordinaire, que je revienne victorieux ou pas. 

Au début quand j’arrive ? Non, je n’ai aucun contact. J’y vais comme un valeureux combattant (sourire)… et très inconscient ! Parce que si j’avais été conscient, j’y serais jamais allé. Il y avait un peu de folie, je ne parlais pas la langue, je ne connaissais personne… quand je prends un peu de recul, je me dis : « Mais comment j’ai pu croire que j’allais pouvoir attraper une liane, et puis une autre et pouvoir avancer dans cette jungle folle qu’est Hollywood !? » Où les trois-quarts de la planète se retrouvent pour réussir, que ce soit dans la mode, la musique, le cinéma !

Et tu te retrouves là-bas, tu es petit, tu as un accent, tu es rebeu, tu connais personne ! Sur le papier  tu as perdu d’avance. Mais la passion, la  chance, le travail, le timing, le travail encore le travail, l’acharnement, la foi… et l’accident magique. Et quand il t’arrive, tu prends, tu savoures et tu travailles, tu travailles…

Parce que le plus important pour moi, c’était de faire mon métier. C’était pas d’être le plus célèbre ou le plus riche, c’était de pouvoir exister. Peu importe la taille du rôle, la taille du film, c’était de pouvoir jouer ! »

Saïd Taghmaoui-2-les Combats d'un Guerrier-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

En s’expatriant, Saïd Taghmaoui s’est sorti de la cage à peine dorée de son hexagone natal et pris le risque d’aller vers sa chance. Elle sourit dit-on aux audacieux, elle ne lui a pas tourné le dos. En 1999, Les Rois du Désert, de David O. Russel avec George Clooney, Ice Cube et Mark Wahlberg, devenu son ami depuis, ont fait de lui l’une des belles gueules incontournables du cinéma américain. Et il a enchaîné les films, aux États-Unis, en France, en Allemagne.

Ce n’est évidemment pas exhaustif mais on se souvient de lui dans Entre chiens et loups d’Alexandre Arcady, aux côtés de Richard Berry en 2002, comme dans Hidalgo de Joe Johnston avec Viggo Mortensen et Omar Sharif en 2004. On n’oublie pas non plus Ô Jérusalem d’Élie Chouraqui en 2006, ni Angles d’attaque de Pete Travis en 2008. On l’a encore croisé un an plus tard dans G.I Joe, le Réveil du Cobra de Stephen Sommers. Et il épaulait la légendaire amazone Wonder Woman en 2017. Avec plus de 200 millions de dollars de recettes lors de son premier week-end d’exploitation, le film de Patty Jenkins demeure d’ailleurs à ce jour l’un les plus gros succès de l’univers cinématographique de D.C Comics. Saïd était de la belle aventure.

La télévision a su elle aussi s’offrir ses bons services. Il s’est ainsi invité À la Maison Blanche, dans Strike Back, dans Lost et plus récemment dans Ballers avec Dwayne « The Rock » Johnson que ce dernier co-produit avec Mark Wahlberg. Au fil des années, Saïd Taghmaoui a rempli son carnet de bal et joliment musclé son C.V. Mieux encore, il n’a perdu ni son nord, ni son sud. Dans un métier qui prête à tellement de faux-semblants, la mémoire de ses racines fait sa boussole.

« Quand je suis arrivé aux États-Unis, l’argent ça file très vite, c’était ma crainte : comment j’allais survivre ?? J’avais pourtant déjà fait des films mais j’ai fait preuve d’humilité et j’ai bossé dans des restaurants pour gagner mon pognon et payer mon loyer… c’est ce parcours-là qui te ramène sur terre. Tu dois te rappeler d’où tu viens et qui tu es vraiment. Garder ta famille, tes valeurs, ta religion, tout ce qui t’a constitué pour de vrai.

Qui je suis moi, vraiment ? Si tu oublies deux secondes ce que j’ai fait, je suis un petit-fils d’immigrés marocains, illettrés, paysans qui ont débarqué en France, qui ont habité dans un quartier populaire prolétaire… je suis l’enfant de cette histoire. J’aurais dû travailler à Citroën ou à l’aéroport, dans la continuité des choses. C’est ça mon ADN, et après, tout le reste, c’est du bonus. Quand tu es capable de revenir à ça, alors tu peux voyager en avion privé comme dans la soute à bagages, parce que tu sais qui tu es. Et tant que tu gardes ça, tu gardes ton phare. 

Tout ce métier est fait pour te déséquilibrer, pour que tu pètes un câble. Tu te rends compte très vite que la notoriété, la célébrité sont des dangers mortels. Quand tu commences à y croire, sans que tu t’en aperçoives, un jour tu deviens un gros con. Et tu le sais même pas, personne ne te l’a dit ! Et c’est ton éducation qui va faire la différence.

Comment dealer avec ça ?… J’ai rencontré des superstars comme Dustin Hoffman, par exemple, qui deale très bien avec la notoriété. Il arrive avec sa femme, ses enfants et il t’offre un livre sur l’acting. Et d’autres comme Gérard Depardieu, qui  sont boulimiques, on sent que c’est la folie (sourire) !

Ce que j’ai compris c’est que ce qui te sauve, c’est d’aller voir tes parents par exemple, de continuer à faire ces choses de tous les jours qu’on ne fait plus parce qu’on pense que c’est acquis mais qui te donnent ou te redonnent une respiration… Être en haut et rester normal, c’est ce qui fait qu’on est un grand et qu’on le reste. Si tu deviens très très riche, très très célèbre, et que tes enfants sont devenus toxicos, il n’y a pas d’intérêt. La première réussite, c’est ta vie, en vérité.

Et c’est qui les héros du quotidien ? C’est ton père que personne ne connaît et qui a nourri toute ta famille… C’est être là au quotidien le vrai combat. »

Saïd Taghmaoui-3-les Combats d'un Guerrier-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Écouter parler Saïd Taghmaoui, c’est comme regarder le feu danser. Ses mots sont réfléchis mais jaillissent, crépitent. Ils disent toute la passion qui le porte, la fièvre d’être et d’agir qui l’animent. Il se souvient en souriant que, petit, sa mère le croyait tellement différent qu’elle l’envoyait chez le psychologue. La boxe d’abord, le graff’ et la musique ensuite et puis le jeu d’acteur lui ont offert de trouver sa place et de respirer l’air dont il avait besoin.

En mettant les pieds la première fois sur un plateau, il a compris ce jour-là où était sa voie. Il a juste fallu qu’il se batte pour que le cinéma pense à l’aimer enfin autant que lui l’aimait déjà. Comme une fille dont on tombe éperdument amoureux mais qui comme celle d’Ipanema trace sa route sans jamais un regard. Il dit entretenir aujourd’hui un rapport singulier, alchimique, quasi-mystique avec la caméra qu’il confie prendre le temps de saluer à chaque fois. Et elle le lui rend bien. Saïd, même trois minutes à l’écran, capte la lumière et prend tout l’espace. Sans forcer, sans effraction. Un magnétisme comme une évidence.

Il n’est que trop conscient de l’escalier qu’il a dû grimper, marche après marche et sans aucun doute plus lesté que d’autres, avant de pouvoir s’écrire un avenir. Il se sait aujourd’hui « bankable » et aimerait l’être encore plus pour offrir à ses choix davantage de liberté, le seul vrai luxe à ses yeux. Surtout, il aimerait trouver la femme qui lui donnera des enfants.

Il se rappelle être tombé, s’être relevé et avoir continué à avancer. C’est ce qui rend d’autant plus beau le chemin de cet homme debout, qui s’est finalement hissé à la hauteur de son rêve.

O.D

 

One thought on “Saïd Taghmaoui : les Combats d’un Guerrier

  1. Top Saïd ! Tu fais rêver, je sens que tu nous réserves du lourd. J’aimerais faire partie de l’aventure, inch allah. Je suis apprenti comédien et j’aimerais entrer en contact avec toi.
    mon insta : whoarehabib

    merci

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