Avec Speakeasy, la jeune Rat Pack Company fait briller l’été à Paris. Spectaculaire, burlesque, virtuose et jubilatoire, un show absolument irrésitible.
C’était l’autre soir. Une fin de journée à peine respirable. Un mercure de canicule, des terrasses bondées comme un jour de soldes et des supporters à l’heure de la double pression ou peut-être de la triple. L’été et le Mondial semblaient s’être donnés le mot pour vider les théâtres.
On se demandait en chemin si on n’allait pas se retrouver un peu seul dans la grande salle du beau Palais des Glaces. Tu parles… on se serait cru sur la ligne 13 à l’heure de pointe. Preuve que le public parisien a du goût mais oui. Il aime se faire surprendre. Il a été servi. Royalement.
Magie de l’histoire et de la mise en scène, il s’est d’abord retrouvé dans le New-York des années trente, de l’alcool prohibé, et des mafieux certifiés canaille. À la table d’un bar clandestin. Whisky, cigares et petites pépées. Un speakeasy, un vrai, un tatoué.
Ensuite, très vite, parce que c’est allé très vite, il s’est fait cueillir. Il faut dire que ces six-là ne sont pas comme nous. Deux filles, quatre garçons qui savent tout faire. Jouer la comédie, chanter, jongler, bondir, se suspendre, rebondir, jaillir encore et tenir des équilibres à faire mentir la gravité. En plus, ils sont beaux et drôles. Très drôles.
Speakeasy, et vous le dire n’est rien vous montrer, c’est du cirque, de la danse, des gags, des cascades, du cinéma mais en mieux. C’est le théâtre sans paroles des corps en mouvement. Une chorégraphie dingo et pourtant réglée au millimètre.
Ça fait bim, bam, boum !! On reste sans voix, avec juste un sourire en forme de banane. Speakeasy, c’est la somme de tous leurs talents.
« C’est vrai, explique Guillaume Juncar (l’impressionnant porte- flingue du parrain), et c’est la force de ce spectacle, on l’a écrit à six ! Du coup, chacun a vraiment pu y mettre ce qu’il est. En fait, ce qui a nourri chacun d’entre nous tout au long de son propre parcours. Il y a eu forcément des concessions de la part de tout le monde mais aussi beaucoup de rebondissements, de propositions. Et c’est ce qui finalement donne toute sa richesse à Speakeasy…
Oui, et il n’y a eu aucune frustration pendant la création, complète Ann-Katrin Jornot ( la femme du parrain, sorte de Betty Boop mais en mode autoritaire pour ne pas dire franchement vénére), parce que chacun a travaillé sa partition et que chaque partition est venue nourrir celles des autres. On ne s’est jamais sentis empêchés ou gênés par les propositions des uns et des autres… C’était jouissif !! Et puis, il y avait du répondant en face ! (sourires) Mon personnage, par exemple, s’est complètement construit par opposition à l’autre caractère féminin sur scène (celui de la femme sublime, blonde, élancée donc fatale qu’interprète Clara Huet).
Quand on a écrit le projet, résume Xavier Ortega-Lavabre (le boss ténébreux, le parrain volage et ombrageux), le thème de départ, c’était le film noir, les années trente. Et l’idée, c’était en tant qu’artiste d’accepter que notre technique de cirque et tout ce qu’on allait proposer serait au service du scénario.
On s’est dit, ok, on va envoyer des triple saltos dans tous les sens mais attention, il se peut que ce ne soit pas justifié par l’histoire donc peut-être qu’il n’y en aura pas. Et comme on allait tous dans le même sens, on a tous été d’accord très vite. »
À les regarder jouer et nous offrir l’un des shows les plus jubilatoires qu’on ait vus depuis longtemps, on se dit qu’ils ont dû voir et revoir les grands classiques. Coppola, Scorsese mais aussi Chaplin et Buster Keaton, et peut-être bien les quatre en même temps. On se demande aussi de quelle planète ils nous arrivent.
« On a tous des parcours un peu différents, raconte Xavier, c’est ça qui est chouette et c’est ce qui a beaucoup nourri le projet. Par exemple, le barman (Andréa Catozzi) est complètement autodidacte, il vient de la capoeira.
Avec Ann-Katrin, on avait déjà travaillé ensemble au sein de la compagnie XY. Guillaume, j’avais eu la chance de le croiser quand il était encore à l’école, à l’Académie Fratellini à Saint-Denis. Vincent (Vincent Maggioni, un client peut-être aussi un bootlegger), avec qui j’ai au départ porté le projet, c’est mon voisin d’enfance depuis tout petit. Clara, on l’a castée.
Et dès la première rencontre tous ensemble, ça a matché tout de suite ! »
S’est ensuite joint au talentueux collectif un fameux metteur en piste, Régis Truchy. Passé par la danse classique, le patinage artistique et le Hip Hop dont il est considéré comme l’un des pionniers en France, l’artiste s’est aussi illustré au sein du prestigieux Cirque du Soleil, où il a notamment créé le clownesque personnage du « Waver ». Un pedigree enviable qu’il a su mettre lui aussi au service du spectacle, en aidant la Rat Pack Company à régler son jeu et sa mise en scène. L’effet est bluffant de fluidité et de rythme.
À ce propos, la bande-son est signée Chinese Man et à l’évidence, le collectif hip-hop-électro d’Aix-en-Provence s’est ici autant lâché que régalé, en signant une partition tout simplement irrésistible qui vous fait remuer sur votre fauteuil. Truffée de répliques de cinéma et enrichie aux extraits naturels de jazz, de soul, de funk… on repartirait bien volontiers avec le disque, histoire d’enjailler l’un de nos prochains soirs.
L’histoire, le jeu, les mouvements, la musique, la lumière, les costumes, tout a donc été pensé, écrit et travaillé. Du sur-mesure. De la haute-couture. Le public, l’autre soir, ne s’y est pas trompé qui a applaudi debout et longtemps. Comme on aime.
Avec Speakeasy, l’été à Paris sera show. Très show. Ne passez-pas à côté du bonheur !
O.D
Speakeasy, un spectacle de la Rat Pack Company,
mis en scène par Régis Truchy,
produit par Ki M’Aime Me Suive
Jusqu’au 5 janvier 2019 au Palais des Glaces