Avec Boris Bergman suivez les folles aventures d’Alex Korn, songwriter passé de vie à trépas. Vous découvrirez que l’Enfer n’est pas ce qu’on croit, qu’il est même très bien fréquenté et que l’ange Gabriel porte le Perfecto. Un feuilleton totalement barré. Un bonheur pur Bazaar !
Chapitre XIV : Un Ange nommé Goufalopoulos…
« Monsieur s’appelle Vladek
Et moi c’est Korn Alex,
Marilyn est Norma,
Mais qui est Sinatra ?
Ava n’est pas Ava
Y en a qu’une c’est comme ça.
Bob ressemble à Mitchum
Comme l’Ange au bitume
Regardez, goudronnez
Règlement d’comptes à la hausse
Des larmes sur le goudron
De Mister Goufalopoulos »
– On se dépêche… Le show va commencer où plutôt se terminer.
– Le chocolat, on le trouve où, Sergio ?
– Comment tu sais ça, Alex ?
– Tu en as plein la barbe.
– Tu ouvres les armoires et derrière les fouets et les slips à clous, on trouve « una pyramida di chocoletti deliciosi ».
Léonide et Alex synchros :
– On peut en avoir un ou deux carrés ?
– Bon, j’y retourne.
-Una donna di nome Maria e arrivata sta notte dalsud.
– Il est de bonne humeur.
– Pour lui, c’est une levée d’écrou et puis il a des projets : refaire un « Stalingrad » à son idée, aller manger des linguini à la truffe chez son pote à Vegas… Un ancien directeur de la photo qui a quitté le métier.
– Pourquoi ?
– Ceux qui ont tourné avec Gina Lolobridgida n’en sont jamais sortis indemnes.
Léonide se lèche les babines.
– C’est du noir cent pour cent Pérou ?
– Tu viens, Tonton ?
– Non.
– ??
– Les confessions, c’est toujours interminable.
– Il ne confesse pas, il insulte.
– La force des faibles, Alex…
– Les larmes, ça fait fondre le goudron. Ça irrite… Voir ci-dessous.
– Fils de pute… Colobarass… Traître… Ade gamissou. Je t’ai sorti du caniveau. Tu faisais sortir des lapins faméliques de ton haut de forme d’occasion quand j’ai croisé ta route à Vegas… Monsieur Monsieur de mes deux…
Alex colle ses lèvres à l’oreille de Léonide.
– Il est dur avec Vladek
– Quand je t’aurai lu une partie de son journal, tu comprendras.
– Et pourquoi il ne t’agresse pas ?
– Tant fait pas, ça va venir mon neveu.
– Tu restes pas pour Marlène ?
– Je sais tout de lui. Viens, je vais tout te dire…
– C’est pas trop tôt. Merci Tonton.
Alex et Léonide retrouvent la salle de billard. Ils ont tort. La suite n’est pas inintéressante. Goufalopoulos a baissé les yeux.
– Guten tag, mein schatz.
– Guten tag à toi aussi, ma Marlène.
– Je ne suis plus ta Marlène…
Il installe sa perruque sur le crâne de Goufalopoulos pour la plus grande joie de tous en général et celle de Léone en particulier.
– Mama mia, quel plan magnifique ! Traveling sur les yeux du Grec. Marlène est hors champ.
– Je ne suis pas ta Marlène, Gabriel. Je m’appelais Karl Heinz von Friedrischenstadt quand tu m’as trouvé dans cette boite que tu fréquentais à Vegas…
Jim M. se racle la gorge. Il avale son dernier bout de buvard. Présente son majeur et son auriculaire à Goufalopoulos.
– Mon Ange, ton heure est bien venue. Fait minuit à l’horloge. C’est la fin, on t’déloge. Magnifique imposteur, Aigriculteur sans coeur…
Les choeurs :
– Oh yeah oh yeah !
Marilyne badigeonne les lèvres de Gabriel de son bâton de rouge préféré.
– Nous sommes ce que nous fumes. On assume. Comme des fous. Du goudron pour tes plumes…
Marilyne lève la main. Tous à l’unisson bis :
– Poo-poo-pee-doo !
Alex et Léonide se sont assis en tailleur sur ce qui fut la table de billard de l’Ange. Léonide lit le dos des photos l’une après l’autre.
Première photo : Journal de Vladek, dit Monsieur Monsieur.
« … Si vous me lisez aujourd’hui, c’est que celui qui se fait appeler l’Ange Gabriel m’aura fait pendre par les coucougnettes ou bien qu’il sera suspendu au portique de la salle des sports, goudronné et emplumé.
Cher Léonide Yakovovitch, j’ai tout écrit au dos des photos, car je pense que c’est le seul endroit où Gabriel n’aura pas la curiosité de me lire. J’espère que tu seras mon premier lecteur. Comme tu t’en doutes depuis longtemps, je suis fatigué de lui lécher les babouches. Je sais qu’il se doute de ma trahison. Je suis sûr qu’il m’a surpris plus d’une fois à chuchoter derrière ses plumes. Il se méfie de moi comme de toi, et tout le monde.
Je l’ai rencontré il y a dix ans dans la salle de projection du MGM Hotel. Je faisais une petite pause entre deux shows. On y donnait le magicien d’Oz, c’était son film préféré. On était que deux dans la salle. On s’est parlé juste après le mot fin. Lui le séducteur et moi l’hypnotiseur.
Au premier regard, il a compris qui j’étais. La force de Goufalopoulos tient à son intuition de devin grec. Il te regarde, il sourit. En dix secondes avec toi, il a vécu trente ans de vie commune. Il a vu que je n’étais pas bien dans ma peau de magicien et que toute alléchante proposition serait la bienvenue. Après sa troisième assiette d’oignons frits et de féta crétoise, il s’est approché de moi.
– « Écoute, Vladek. Je me suis mis en cheville avec un croupier à l’honnêteté discutable. Moyennant un pourcentage conséquent, ce dernier va me permettre d’accéder aux mormons qui, comme on le sait , louent leurs terres aux proprios des casinos de Las Vegas. Cela depuis sa création.
Les mormons possèdent un endroit isolé de tout où je vais organiser le plus grand spectacle du monde : les sous-sols du désert du Nevada… Vladek, j’ai besoin de toi pour parcourir les U.S. de long en large. Trouve-moi des faibles qui ont du talent. Regarde-les dans les yeux…
– Très drôle.
– Et ramène-les-moi dans ce qui sera notre royaume Vladek. Il ne faudra bien sûr ne pas leur dire qu’une fois entrés, ils ne pourront jamais sortir. Ils seront nourris, hypnotisés, drogués.
– Pourquoi « drogués », Vanghelis ?
– J’ai un chimiste qui va être le parfait complément à tes séances d’hypnoses… De fait ne m’appelle plus Evanghelis ou Vangelis… À partir d’aujourd’hui, je suis pour toi et pour les autres : l’Ange Gabriel. »
Sauf qu’avec l’âge, Gabriel a accumulé les lames de rasoir dans ses poches à plumes. L’idée de payer son loyer aux mormons via le croupier lui est devenue insupportable. Le croupier est d’abord venu seul, et plus tard « parrainé » par le comptable en chef de la communauté. »
Léonide intervient
– Un soir où j’avais envie de faire quelques pompes, j’ai vu Goufalopoulos dans la salle de sport. Il avait attaché Monsieur à une roue tournante. Il lui balançait ses poignards au hasard de l’inspiration…
– « Ça va faire mal, j’ai perdu trois dixièmes à l’oeil gauche et le deuxième est amblioptique.
– Ce qui veut dire ?
– … Qu’il ne voit rien.
– J’ai la tête qui tourne, je m’demande bien pourquoi…
– Monsieur Monsieur fait de l’esprit ?
– Vu les circonstances, je n’ai pas le choix
– Fallait pas m’trahir, Vladek. »
Alex s’étire.
– J’en peux plus dyadya.
– J’aime bien quand tu m’appelles « oncle » en russe, Alex.
– Dis-moi cher oncle, comment as-tu fait pour aussi bien réussir ta mort ?
Léonide se pince la bedaine.
– Je vous rappelle, jeune insolent, que bien avant Vladek j’ai débuté sur les planches en piquant à Houdini un de ses tours majeurs. Il était le roi de l’évasion, je suis devenu le mini prince de la disparition provisoire.
– Ça ne me dit pas ce qu’est devenu Pavel Papitok…
– J ‘y arrive…
– C’est pas trop tôt.
-Il ne faut pas aller plus vite que les aiguilles d’une montre, Aliocha
– La Fontaine ?
– Eugène Sue.
… Les séances de Pavel Papitok ne duraient jamais plus d’une heure. Vladek, alias monsieur Monsieur, prolongeait les effets de l’élixir du cosaque par une belle séance d’hypnose. L’Ange et son âme damnée vérifiaient ensuite que les préposées Ava, Marilyn avaient bien appris leur rôle.
Il n’était pas question de décevoir l’Ange… La veille d’un grand bal. Gabriel s’introduisait à l’improviste dans la chambre de Sinatra en criant : qui es-tu ?! Le préposé au rôle du crooner devait réciter par coeur les dates et événements importants de la vie du chanteur…
– Tu veux pas qu’on aille voir où ils en sont ?
– Je reviendrai dans la salle de sport pour Ava. Viens, mon Alex. On va aller dans la salle de breakfast de Gabriel, j’ai le code.
– Ça fait du bien de savoir qu’on est vivant. Comment vous avez fait pour…
– J’avais tes clés, j’ai ouvert ta porte… Papitok a versé quelques goutes de sa potion magique dans ton bocal de cornichons. Je t’ai assené un coup sur la tête de la main gauche. La droite attrapait ta note de suicide au vol. je t’ai porté jusqu’en bas. Papitok et monsieur Monsieur m’ont aidé à te porter dans la Cadillac rose. Tu étais suffisamment dans les vapes pour croire à la réussite de ton suicide jusqu’à ton arrivée ici.
– Ici c’est où ?
– T’as pas encore deviné ? Surprise.
– Léonide Yakovovitch, vous êtes un schmock.
– Goufalopoulos est un authentique mégalomane. Il s’ennuie. Il est riche et il aime le cinéma par-dessus tout. Le jour où il m’a proposé de faire les castings d’acteurs, qui voudraient rejoindre le grand cirque dont ils ne pourraient jamais sortir, j’ai refusé. La tâche me semblait impossible. Le petit fils du berger grec ne m’a pas lâché… J’étais fauché, traqué par les chasseurs de dettes de toutes les salles de jeu de Las Vegas…
– Alors tu as vendu ton âme…
– Pas que la mienne, Alex… Allez on y va, le feu d’artifice va commencer.
– Attends, Tonton bien aimé… Je suis vivant, c’est sûr ? Pourquoi ce coup de doc dans mes noisettes ? Qu’est-ce que tu veux prouver ? Tu m’as fait mal.
– Les morts ne crient pas quand on leur écrase les coucougnettes.
– Arrête, je t’crois. Et comment j’suis arrivé là, pardon, ici ?
– Papitok et Monsieur Monsieur te suivaient depuis plusieurs jours. Ils ont d’abord shooté ta compagne du jour qui ronflait
la bouche pleine de cheesecake et les fesses à l’air. Quelques gouttes d’un Pentothal amélioré dans l’eau du samovar. Le
tour était joué. Tu n’es pas tombé du 27e étage. Tu as cru que tu étais tombé du 27e étage. Remercions le joli travail de suggestion hypnotique de feu Papitok, ce grand spécialiste.
– Feu ?
– Plus il buvait, plus il parlait. Il devenait dangereux pour Gabriel.
– Qui l’a buté ?
– John Fink. C’était son examen de passage pour montrer à Gabriel qu’il méritait de devenir le kapo des pantins.
– Les pantins ?
– Les crétins sélectionnés scrupuleusement pour leur absence de cerveau et obéissant à n’importe quoi.
– Un peu comme chez moi ?
– C’est ça… On t’a mis dans le coffre de la Bentley que le porte-parole de la Queen avait perdu au jeu. Direction le désert du
Nevada. Une trappe sous le sable, un long couloir qui mène au sous-sol du MGM Hotel adjacent à la salle des machines…
– Que feu Morrison et le non moins vrai Léone ont…
– … T’as pas bien écouté. En ce qui concerne Léone et Morrison, ce sont vraiment les vrais. Lorsqu’il a failli crever d’overdose, on a remplacé le vrai Morrison par un presque sosie dans les chiottes du Bus Palladium. Jim était dans un sale état. Il ne voulait voir que son sorcier hopi. Il a eu raison. Le sorcier l’a guéri. Quant à Léone, Gabriel avait soudoyé l’ambulancier qui conduisait le metteur à l’hôpital pour indigestion de linguini. Là encore, c’est un autre qu’on a enterré.
– D’accord. Merci Léonide d’avoir éclairé ce qui me reste de lanterne… Pourquoi moi ?
– Il avait déjà son Ava, son Sinatra, sa Marilyn, son Mitchum…
– Pourquoi moi Alex Korn?
– Parce que tu es tout ce qu’il a voulu être Alex. Un songwriter, un type auquel les groupies et les autres arrachent le Perfecto et balancent leurs panties.
– Tout ça pour ça ?
– Ça faisait un moment que Goufalopoulos t’avait dans le collimateur. Il ne manquait que toi pour compléter sa collection. Il savait qu’il ne serait jamais aimé pour lui-même, ni pour ce talent qu’il n’avait pas et qu’il n’aurait jamais. T’avoir à ses côtés lui faisait oublier ce détail. Il savait, et sait encore, qu’une des seules façons d’oublier le temps qui passe est de créer. Tous ces acteurs, transformers, sosies au chômage ont répondu à l’appel de notre Grec mégalomane. Vous n’étiez pas beaucoup à pouvoir le mettre en valeur.
– Comment est-il tombé sur moi ?
– Un jour, en sortant d’un de ses casinos, j’ai sifflé une de tes chansons. J’ai vu son regard dans le rétro et j’ai compris
que tu n’allais pas tarder à faire partie du Goufalopoulos Show.
– Pourquoi l’as-tu laissé faire, Léonide Yakovovitch ?
– Pour te protéger. En cas de refus de ma part, il nous aurait fait disparaître tous les deux… Qui aurait trouvé nos squelettes dans ce coin de désert oublié du monde des hommes ?
– C’est beau. On dirait du Chateaubriand.
– Va falloir y aller, Alex.
– Après les monologues d’Ava et de Frankie, il faudra faire vite. Soulever la trappe magique et dire adieu au royaume de l’Ange.
– Et pourquoi tant de hâte, Tonton ?
– Parce que je sais de source sûre que quelques irréductibles et pantins de l’Ange nous attendent au bout de la zone A, à l’intérieur de la zone C, peut-être même derrière cette porte…
– J’ai l’temps d’écrire un truc ?
– Oui, mais dépêche-toi.
À suivre…
Boris Bergman