Il est l’un des Douze Hommes en Colère à Hébertot. Il s’affiche aussi à la Scène Parisienne avec les Ritals. Bruno Putzulu prend ici le temps de son récit. Celui d’un homme entre deux rives.
« Oh, il y a très peu de choses sur scène. Une table, trois chaises. Je reviens chez moi. Dans la cuisine où j’ai été élevé, où tout se passait, où mon père me racontait des histoires. Et puis je vois la table, la nappe avec les grosses fleurs usées. Je m’assois. Dans le noir, il y a une veste qui s’éclaire, une veste de bleu de travail suspendue dans le vide, la veste de papa. Et là, l’histoire commence… »
Il raconte ça comme d’autres vous prennent par l’épaule et on a juste envie de découvrir la suite. L’histoire est tirée d’un livre qu’on a lu et relu. Les Ritals du très regretté François Cavanna, dans lequel l’auteur raconte son enfance, rue Sainte-Anne à Nogent-sur-Marne, à l’époque peuplée d’immigrés italiens comme l’était son père, Luigi, maçon illettré. Ce grand roman, Bruno Putzulu a eu la belle idée de l’adapter et de le jouer sur scène.
« On a déjà joué cette pièce plusieurs fois, la première a eu lieu à la Scène Nationale d’Albi, et à chaque fois, les gens s’y retrouvent. Parce qu’ils sont pères, mères, fils ou filles et puis aussi parce que cette oeuvre a des résonances aujourd’hui encore. Les Italiens sont acceptés maintenant mais il y en a d’autres. À qui on refuse d’accoster par exemple…
C’est une histoire de France, oui. Mais de ce point de vue, c’est aussi une histoire qui malheureusement n’enseigne rien. Parce que rien n’a changé. Il faut toujours se trouver un métèque qu’on montre du doigt, dont c’est forcément la faute.
Et ce texte, je l’aime. Il n’y a pas de pathos mais il est très émouvant et drôle. On se marre ! Il dit des choses, Cavanna, avec sa langue que les cons n’aimaient pas (rires). Il écrit en plus à la première personne, c’était facile de passer du roman à la scène. Des amis à lui sont venus voir la pièce, comme Virginie Vernay (qui fut l’assistante fidèle et complice de Cavanna pendant de longues années-ndlr), et ils m’ont dit avoir retrouvé Cavanna. Ça m’a beaucoup touché.
Et puis, comme Cavanna, ma mère est française, mon père italien. Papa n’est plus là malheureusement aujourd’hui, depuis trois ans, et pour moi c’est aussi un rendez-vous avec lui. Sur les planches. C’est important pour moi… j’espère continuer longtemps avec cette pièce. »
Il y a les Ritals, il y a aussi Douze Hommes en Colère, le grand classique de Reginald Rose que Charles Tordjman met en scène au théâtre Hébertot et dont Bruno Putzulu a rejoint la distribution il y a quelques semaines seulement, succédant à Bruno Wolkowitch.
« Ça m’arrive d’être en colère (sourire) mais dans la pièce, je suis surtout celui qui pose des questions. Je doute de la culpabilité et en même temps je suis contre la peine de mort. Donc, je procède par des questions.
Dans le jury, l’un veut finir tôt parce qu’il a un match à voir, un autre est sûr que le prévenu est coupable… moi je déboule là-dedans et je dis : « Attendez, attendez… on a la vie d’un homme entre les mains, on peut peut-être se poser deux secondes pour en parler ! » Et ça commence. Parce qu’il ne faut pas seulement une majorité mais l’unanimité. Alors, je vais essayer de les retourner un par un. Ça va être rude ! (rire)
Douze sur scène, c’est quelque chose. Ça bataille dur ! (sourire) Pas en coulisses, ce sont des vraies crèmes, mais sur scène ! Et ils ont été super ! Je crains toujours de rejoindre des équipes qui ont déjà leurs habitudes, leurs réflexes. Eux m’ont beaucoup aidé et soutenu. En scène et hors scène…
… quant à la pièce, qui est le fruit de la propre expérience de juré de Reginald Rose, elle m’a conforté dans mes choix. Tant qu’il y a un doute, je pense qu’il vaut mieux se tromper en laissant vivre, que faire une erreur et tuer. »
Les phrases de Bruno Putzulu lui ressemblent. Chaque mot semble pesé et mûri. Un silence les ponctue parfois, le temps de la réflexion. Celle qui préside aussi aux choix qui ont façonné son beau parcours. Depuis ses premiers temps en Normandie chez Bob Villette, fameux homme de théâtre et grand meneur de troupe, jusqu’à la Comédie Française dont il fut pensionnaire pendant douze ans. À ce sujet, il n’épilogue pas plus qu’il n’élude. Si la page était belle, elle est surtout bel et bien tournée.
Le théâtre et ses grand auteurs. Molière, Beaumarchais, Goldoni, Marivaux et Feydeau, Beckett, Camus et Grumberg. Le cinéma et ses grands réalisateurs. Bertrand Tavernier, James Ivory, Jean-Charles Tachella, Jean-Pierre Mocky et Jean-Luc Godard. Sans que ce ne soit exhaustif, encore moins définitif, voilà qui résume joliment son éclectisme et qui en dit assez aussi sur sa façon à lui d’avancer. Pas de clan, pas de famille attitrée. Mais des amitiés singulières et magnifiques.
Comme celle qu’avec Philippe Noiret, rencontré sur le tournage de Père et Fils de Michel Boujenah, ils ont ensemble su nouer. L’enregistrement de leurs échanges passionnants sur le métier en particulier et la vie en général, témoignent de la tendresse et de l’estime qu’ils se portaient l’un à l’autre. Philippe Noiret est parti il y a quelques années, son propre père aussi, et Bruno a alors appris la saveur douce amère du temps qui file.
« Plus on vieillit, plus on perd les gens qu’on aime, et ça je trouve que c’est insupportable. Plus on va au sport, moins on récupère vite. Plus, plus, plus pour moi ça fait surtout moins, moins, moins (sourire) et j’ai du mal à supporter le temps qui passe. J’ai du mal à constater un autre regard sur moi, j’ai du mal à ce qu’on m’appelle monsieur… ouais, j’ai du mal (rire). J’ai l’impression d’être entre deux mondes. Un monde nouveau et un monde finissant.
J’ai travaillé avec des gens d’une époque. Cette époque s’achève. Et je ne connais pas bien encore ceux de l’époque qui arrive. Eux non plus ne me connaissent pas. Je me souviens, Philippe Noiret à la fin de sa vie me disait ça : « Pour la première fois, à soixante-dix balais, il n’y a plus rien qui arrivait et j’ai pris la décision d’aller frapper à la porte d’un théâtre de proposer un seul en scène avec les Contemplations de Victor Hugo… j’avais plus de boulot ! Il n’y avait plus de coup de téléphone ! »… Philippe Noiret !
Arrive un moment, les gens ne l’imaginent pas, où il n’y a plus rien. Moi, je n’ai pas encore connu ça, mais… mais. Je dînais avec un comédien il n’y a pas longtemps qui me disait : « Bruno, je suis prêt ! Il n’y a personne qui m’appelle !! » J’ai tourné l’un de mes plus beaux films avec cet acteur… ça fait de la peine.
Alors oui, il y a une tristesse qui s’installe chez l’homme tandis que, paradoxalement, le comédien n’a jamais eu autant de matière à sa disposition et se sent au mieux de sa forme. »
Sans découvrir les risques de son métier, sans avoir jamais ignoré qu’il n’est pas de lumière sans part d’ombre, l’artiste qu’il est devenu reconnaît aujourd’hui sans doute plus qu’hier sa propre fragilité. Un comédien n’existe que parce qu’il joue et ne joue que parce qu’il est désiré. Ce qui explique la boulimie de certains, l’absence jusqu’à l’évaporation de certains autres.
Bruno Putzulu, lui, n’organise pas de dîner où s’attableraient des professionnels de la profession. Il n’écrit pas non plus aux metteurs en scène. Et pire, il n’est pas physionomiste du tout. Ce qui lui a valu des bouderies et de passer pour ce qu’il n’est pas. Il y a trop de textes, de mots, d’auteurs dans sa tête pour que tous les visages qu’ils croisent puissent s’y fixer durablement.
Sa discrétion et sa pudeur sont sa signature, elles font aussi son élégance. Et puis et surtout, il rêve. C’est comme ça, en rêvant, qu’il se souvient avoir d’abord appris à faire du vélo. C’est en rêvant qu’il affirme avoir su plus tard jouer chez Godard et si magistralement interpréter Caligula chez Camus, convaincu que vivre ne fait pas tout à fait le comédien mais que rêver l’étoffe. Et même si, à l’entre-deux rives de sa trajectoire, la mélancolie gagne parfois du terrain, c’est encore le rêve qui reste maître du jeu. Son sourire l’éclaire. Les deux lui vont si bien.
O.D
Les Ritals, d’après le roman de François Cavanna, mise en scène de Mario Putzulu, avec Bruno Putzulu et Grégory Daltin. Jusqu’au 26 avril au théâtre la Scène Parisienne.
Douze Hommes en Colère, de Reginald Rose, adaptation de Charles Tordjman, mise en scène de Francis Lombrail, jusqu’au 31 mai au théâtre Hébertot.
Je me suis régalé, Philippe Noiret avec Bruno Putzulu, paru chez Flammarion.
Philippe Noiret, une vie de comédien, entretiens avec Bruno Putzulu, coffret de 3 CD, édité chez Frémeaux et associés.
Et puis, pour prolonger le plaisir de la rencontre, filmée par Laurent Caron, la Séquence de Bruno Putzulu :