Dans les Yeux de Totto Chan : Sweetie

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Psychologue, psychanalyste, Totto Chan propose son regard de femme sur le cinéma, sur l’amour et le désir qui animent le cœur des plus grands réalisateurs. Aujourd’hui, Sweetie de Jane Campion.

 

Kay vit à Willoughby, un faubourg au nord de Sidney. Magiquement interprétée par Karen Colston, Kay est une jeune femme esseulée et mutique, moquée par ses collègues de travail pour son célibat prolongé et son inaptitude à être reliée au monde.

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La consultation d’une voyante l’encourage à se jeter dans les bras d’un collègue de travail, Louis, joué par Tom Lycos. Il comblera ses angoisses pour un temps. Mais alors que Louis souhaite planter un arbrisseau dans la courette de leur maison, symbole de son désir de longévité de leur vie de couple, Kay y voit, par superstition, un funeste présage. Elle se hâte de le déterrer et le cache sous le lit de la chambre d’amis, où elle dort désormais.

Sa sœur Dawn, surnommée « Sweetie » est incarnée par la fabuleuse Geneviève Lemon. Sweetie s’impose à l’improviste dans la vie de Kay. Exubérante, obèse, pleine de vie et de fureur, elle capte toute l’attention sur elle. 

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La relation entre les sœurs est tendue, et se dégrade avec l’arrivée de Gordon, leur père, qui s’installe chez Kay. Cette dernière éprouve du ressentiment à l’égard de cette sœur particulière, sans limites ni pudeur, mais qui attire les faveurs spéciales de son père. 

En effet, Sweetie est pleine de talents, danseuse, chanteuse et croit en sa prochaine réussite, aidée par son amant impresario. Sweetie est aussi aveuglée par ses illusions. Ses facilités admirées par son père ne sont que faux-semblants qui cèdent peu à peu, dans le quatuor familial qui se referme avec l’arrivée de la mère. 

Le trop-plein d’amour dont elle est l’objet de la part de ses parents cache mal son potentiel sous-exploité, ses fragilités et son rapport ténu à la vie. Dans ce huit-clos familial, Sweetie perd pied et trouve refuge dans la cabane de son enfance, juchée en haut de son arbre fétiche et protecteur. Celui-ci deviendra sa tombe.

Sweetie est un des films les plus personnels et les plus touchants de Jane Campion. Il est constitué d’éléments personnels de sa vie intime, déplacés et transposés dans cette histoire écrite en collaboration avec son co-scénariste Gérard Lee. 

Dédié à sa sœur, c’est son premier long-métrage pour le cinéma, qui l’impose comme une réalisatrice brillante par son style de narration, ses cadrages hors norme portés par une caméra subjective, ses éclairages aux lumières froides et inquiétantes. 

Elle démontre déjà tout son talent pour scruter au scalpel mais aussi avec poésie, les sombres méandres de l’âme. Les dysfonctionnements familiaux sont analysés sans concession ni misérabilisme. 

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Les décors de la maison, les objets personnels, sont filmés dans une lumière bleutée dans la première partie du film, comme dans un rêve dont Kay serait à la fois la protagoniste et la narratrice. Jane Campion offre à Kay la possibilité de parler au début du film en voix off, parce que Jane est intéressée par les pensées de ses personnages, pas seulement par leurs actes.

En effet, c’est la nature de la relation entre les deux sœurs qui est privilégiée dans cette histoire, comme souvent dans le cinéma de la réalisatrice, à savoir comment une enfant solaire, éclipse et renvoie dans l’ombre l’autre petite fille, plus introvertie, lunaire et pudique, presque transparente aux yeux de ses parents. 

Comme une mise en abyme, la relation mère-fille est abordée elle aussi, dans un lien de distance affective et de désarroi pour la mère qui ne sait comment s’y prendre avec Sweetie, l’enfant chérie hors norme.

La question de la folie est approchée sans fard, dans un contexte psychologique de plus en plus menaçant. Entrent en résonance les traumas familiaux qui nous sont dévoilés peu à peu, au fil de l’eau. Ainsi la nature de la relation de Sweetie avec son père, filmée dans une scène unique du bain, est évocatrice d’un lien incestueux, révélant du même coup la jalousie de Kay, qui se sent exclue des faveurs charnelles du père. 

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L’arbrisseau que Kay déterre est l’arbre de vie, mais aussi l’arbre généalogique, celui qui représente la lignée des ancêtres. L’arbre meurt sous le lit de Kay, lit de jeune fille alors qu’elle se refuse à Louis.

La cabane de protection, bâtie tout en haut de l’arbre de la maison familiale, sera le linceul de Sweetie. L’arbre de vie et de mort ne symbolise-t-il pas seulement, comme Sweetie et Kay, les deux facettes opposées d’une fratrie, mais aussi celles de l’âme humaine, faces de lumière et d’ombre décrites par Jung, et auteur psychanalyste prisé par Jane Campion ? 

Les questions de la vie, de la sexualité et de la mort, nouées sous le même prisme de la folie, peuvent trouver dans le cinéma de Jane une expression cathartique de ses propres peurs, une thérapie pour comprendre ses démons intérieurs. Et les nôtres aussi.

Totto Chan

Sweetie est un film australien dramatique de Jane Campion, sorti en 1989. Il est son premier long métrage, après une série de court-métrages déjà remarqués pour leur mise en scène époustouflante.

Lire Totto Chan est un bonheur. L’écouter est une joie !

 

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