Le précurseur du Punk revient sur le devant de la scène. Avec Free, un album original, absolument surprenant et… calme. So cool !
Iggy Pop est de retour. Trois ans après Post Pop Depression, l’Iguane revient avec un album déroutant. Free, titre de ce disque, est une sorte d’introspection et de démarcation. Un avertissement tout d’abord. Pour ceux qui aiment «le» Iggy barré de The Idiot, Raw Power, ou Fun House, la déception risque d’être grande.
Faut dire aussi qu’Iggy Pop apparaît toujours là où on ne l’attend pas. Pour preuve, le très controversé Après, album de reprises sorti en 2012, sur lequel il reprenait Michelle, des Beatles, mais aussi La Vie En Rose, La Javanaise et même Et Si Tu N’Existais Pas, de Joe Dassin. Surprenant aussi lorsqu’on le retrouve avec Michel Houellbecq dans le documentaire Rester Vivant-Méthode, tiré d’un essai de l’écrivain. Avec Iggy, c’est comme chez Ikea, tout est possible!
Ce qui marque, à l’écoute de ce nouvel album, c’est d’abord son côté sombre. Le morceau qui ouvre l’album, lui aussi intitulé Free, et qui n’a heureusement rien à voir avec le titre de Stevie Wonder utilisé pour la pub d’une banque, donne le ton. Ambiance dépouillée cuivres- synthé, et la grosse voix grave d’Iggy qui répète Free, I wanna be Free comme pour bien se le mettre dans le crâne. On a bien compris. Iggy Pop fait ce qu’il veut. Une sorte de rappel pour une évidence qui dure depuis la fin des années 60. À moins que ce ne soit une façon de prévenir l’auditeur de ce qu’il l’attend.
Ce dix-huitième album studio, et solo, a été essentiellement travaillé avec deux personnes. Le trompettiste Leron Thomas, qui a officié avec Erika Badu, Lauryn Hill ou Meshell Ndegeocello, et Sarah Lipstate, multi-instrumentiste touche à tout géniale, plus connue sous le pseudo de Noveller. Les deux artistes, qui pourraient être ses enfants, ont donné à cet opus une couleur à la fois sombre et jazzy. Des titres comme James Bond, oscillant quasiment entre surf music et jazz rock, ou Loves Missing, assez lourd malgré une trompette légère et aérienne qui sonne comme une alerte, se démarquent face à des morceaux beaucoup plus sombres comme Glow In The Dark, qui pourrait être un morceau signé Type O Negative, tant la voix d’Iggy est grave et le tempo lourd, mené par la basse et quelques nappes de synthé. Presqu’une sorte d’hommage.
Des hommages justement, Iggy Pop en rend sur cet album. Volontairement ou involontairement ? Seul lui pourrait le dire. L’écoute de Sonali rend dingue. Le tempo, la voix… on se dit que, merde, Bowie n’est pas mort ! C’était une grosse connerie. Puis non, on reconnaît certaines intonations du New-Yorkais. Mais tout de même, ce titre aurait pu dignement figurer sur Blackstar, dernier album de Bowie sorti deux jours avant sa mort. Faut dire aussi que les deux hommes étaient plus que proches puisque Bowie, accompagné de Lou Reed, avait sorti Iggy de l’hopital psychiatrique au milieu des années 70. Ils étaient déjà potes. Ils deviennent inséparables.
C’est aussi sans doute la raison pour laquelle le chanteur récite We Are The People. Ce texte, écrit par Lou Reed en 70, est d’une noirceur terrible. Un constat sur une société en plein échec. l’Humain est foutu. Un texte qui aurait été une évidence pour Pop lorsqu’il l’a lu. L’ambiance piano-trompette renforce cette sorte de détresse, de mal être. Il est enchaîné avec un autre poème, Do Not Gentle Into That Good Night, du poète gallois Dylan Thomas. Là encore, on n’est pas dans le «youp la boum!». À des années lumières même. La voix du chanteur semble s’échapper, s’évaporer vers un autre univers…Tout cela est aussi enchaîné avec The Dawn, signé Iggy. Le poème qui clôt l’album parle de la mort qui s’approche et se rapproche, inéluctablement. En l’écoutant, on a froid. Les synthés sont glaçants. La voix glisse. On tremble, on a presque peur. On ne veut pas y aller. L’inconnu nous attend…
Cet album semble composé de deux parties. Une première avec des morceaux jazz rock, voire rock tout court, et une seconde remplie d’extrême noirceur. Pour séparer tout ça, il y a un ovni. Dirty Sanchez, dont l’intro à la trompette sonne comme un morceau de Dvorak, est LE morceau décalé de l’album. Iggy se lâche. Il crie, délire, emploie une voix suraigüe sur un rythme quasiment martial, comme pour dire, «voilà, c’est bon les gars, fin de la récré !»
Au bout des 33 minutes d’écoute (c’est un peu court jeune homme), on se dit qu’Iggy Pop est transformé. Une sorte de mutation vers le désespoir et la noirceur. Le désespoir, le «Godfather Of Punk» a toujours vécu avec. Il a été le précurseur du «No Future», popularisé par les Sex Pistols, et en a été aussi le survivant. À 72 ans, Iggy Pop semble apaisé. Loin de l’image que tout le monde a de lui, le grand malade qui se scarifie sur scène, torse poil, avec parfois le cul à l’air, en train de se rouler par terre. C’est l’image qu’il donne à chacune de ses apparitions scéniques. Sauf que là, on a presqu’affaire à un crooner en smoking. À moins que ce ne soit qu’un leurre.
Free est un album pour le moins intéressant. Oscillant entre jazz rock, goth, et acoustique, il permet de découvrir Iggy Pop sous un nouveau jour. James Osterberg, l’Iguane, Iggy, peu importe comment on l’appelle, a marqué l’histoire de la musique. Iggy Pop est une légende vivante. Il est le survivant élégant d’une époque révolue. Cet album est un témoignage. Incroyable, fou, et original. Comme lui.
Laurent Borde
Iggy Pop / Free / Caroline International – Universal