Géraldine Danon : Rock’ n’ Roll Latitude

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Actrice, écrivain et réalisatrice, Géraldine Danon est surtout l’auteure d’un récit unique et formidable qu’elle a écrit en sillonnant mers et océans. Celui d’une femme éprise d’ailleurs, d’absolu et de poésie. Le sien.

Ce matin-là, les toits de Montorgeuil avaient la couleur d’un bord de mer battu par les vents d’automne. Comme si le ciel de Paris était passé sous pavillon breton. Dans cet appartement niché au dernier étage, des valises dans le couloir et dans le vestibule annonçaient l’imminence du départ. D’ici quelques jours, la petite famille prendrait le large et ferait cap sur l’Alaska. Géraldine Danon souriait comme un soleil du sud.

« Pourquoi on repart ? Parce que trois petits tours et puis s’en vont (sourire). Parce que ça nous manque. Ça fait onze ans qu’on est en mer avec les enfants. C’est notre maison. Ici, tu vois, c’est un appartement de passage, il y a des cartons partout, des valises…. on est toujours un peu en partance. Quand on reste longtemps à terre, on a vraiment envie de repartir. On est là depuis fin mai… ça fait un bout de temps (sourire).

J’en ai marre ? Non. Parce que quand je suis quelque part, j’essaye toujours d’en profiter de la façon la plus intense possible et de faire des choses que je ne fais pas en mer, en l’occurence des choses liées à la création, à ce que j’aime faire comme jouer la comédie, retrouver les planches. Mais je suis contente que ça se termine… (rires).

Trop de cons ? Oui, c’est pas faux (rires) ! Non, plutôt trop de faux-semblants. Trop de choses qui à un moment me pèsent. Quand on a déjà passé onze ans en huis-clos, confrontés aux éléments et à ce qu’il y a de plus beau et de plus vrai, après six mois passés à terre, où on est sur-informés, où on a tous ces réseaux sociaux qui pourrissent la vie, où il y a tous ces gens qui prennent la parole pour dire tout et n’importe quoi, qui ont des idées sur tout et qui s’enflamment pour des faux combats… comment dire ?… (sourire) 

Et encore, moi c’est différent parce que j’ai passé dans ma vie plus de temps à terre qu’en mer mais les vrais marins, ceux qui comme Philippe (Philippe Poupon, son compagnon et le père de ses deux petites filles-ndlr) ne font que ça depuis qu’ils ont l’âge de treize ans, à terre y’ a pas pire pour eux. Moi j’arrive à profiter des périodes à terre, lui… moins (rires)… le ras-le-bol arrive plus rapidement (sourire) ! » 

Géraldine Danon-1-Rock'n'Roll Lattitudes-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Ces onze dernières années, Géraldine Danon avec son compagnon, le légendaire Philippe Poupon, et leurs enfants ont navigué sur toutes les mers, arpenté tous les océans, souvent dans les régions les plus extrêmes du globe, par tous les temps, sous tous les vents, même contraires. Des livres et des reportages passionnants en témoignent encore.

Mais bien avant, c’est son grand-père qui l’initia d’abord à la mer. Il s’appelait Maurice Jacquin. Un visage d’aventurier comme on n’en voit qu’au cinéma. Il est d’ailleurs au nombre de ces figures héroïques qui ont écrit les premières et parmi les plus belles pages de son histoire.

« Il est parti au Sénégal avec une caméra et un camion et il est devenu le plus grand distributeur de films à Dakar jusqu’à posséder plus tard les studios de Boulogne. C’est lui qui a d’ailleurs mis mon père dans le cinéma (le grand producteur Raymond Danon-ndlr). Il a donc fait fortune avec des salles de cinéma et dès qu’il a commencé à avoir de l’argent, il s’est acheté un très beau yacht de 40 mètres, sur lequel j’ai passé une grande partie de mon enfance, en tout cas toutes les vacances, et je crois que c’est là que j’ai pris le virus de la mer… Et après, j’en ai toujours eu besoin.

Mon premier fiancé, Jacques Penot avant d’être acteur était photographe à « Voiles et Voiliers », la mer le passionnait. Avec lui, je suis entrée dans le monde des marins. J’ai rencontré Dany et Yvon Fauconnier, qui avaient une péniche à Bagatelle. Sur cette péniche, j’ai fait la connaissance de Florence Arthaud, qui est la marraine de mon fils et ma meilleure amie… (silence)… je dis toujours « qui est » des gens qui sont partis parce qu’ils sont autant là pour moi que s’ils étaient encore là, ils le sont même parfois plus…

Et puis j’ai rencontré Titouan (Titouan Lamazaou, le père de son grand garçon-ndlr)… Et aujourd’hui, je vis avec Poupon… Les gens de mer m’ont toujours beaucoup attirée. Parce qu’ils sont vrais. Parce qu’ils sont débarrassés du superflu. Ils voient très loin. On voit à leurs regards qu’ils ont l’habitude de scruter, d’observer, d’écouter et de lire les signes… Un remous sur la mer, ça peut être une baleine ou un changement de temps, idem avec le ciel… Ce sont des poètes et des gens extrêmes aussi (rires) !… Ils sont rudes et doux à la fois (sourire). »

Géraldine Danon-2-Rock'n'Roll Latitude-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Le Cap Horn, Géraldine Danon connaît. Elle y a débarqué à son deuxième passage. Le gardien du phare les avaient même invités, elle et sa petite famille, à partager son thé. Plus au sud encore, l’île Pierre-1er dont on dit qu’il y a plus d’hommes pour avoir foulé le sol de la lune que le sien, elle connaît aussi.

Comme elle sait la toute-puissance des quarantièmes rugissants, des cinquantièmes hurlants et des soixantièmes aphones. Ces vents d’apocalypse l’ont accompagnée des semaines durant, et résonne encore dans ses oreilles leur terrible et effrayante bande-son. Preuve si besoin était que ses expéditions tiennent plus de l’aventure la vraie que de la promenade aimable par temps calme sur mer d’huile. Elle ne serait sans doute pas mécontente d’y retourner. Sans opposer les mondes qui forment le sien, elle y a trouvé une vérité que les planches du théâtre et les plateaux de cinéma n’ont jamais su lui apporter.

« J’aime bien revenir de temps en temps dans la comédie humaine. Encore qu’il m’a fallu une grande période d’abstinence pour y retrouver du plaisir. Mais pour autant, c’est vrai que les gens de cette comédie, du métier d’acteur, de réalisateur  peuvent facilement me gonfler (rires). C’est vrai qu’il y a une forme de misanthropie chez le marin, j’adore le personnage d’Alceste chez Molière (sourire)…

Et puis, j’aime bien être en mouvement. Ma pensée est beaucoup plus fluide. Je ne suis jamais aussi bien que lorsque quelque chose se déplace, l’avion, la voiture et le bateau évidemment. Quand j’arrive, c’est un peu différent (rires)… je ne pense qu’à repartir (rires) ! »

Ces derniers mois, elle les a vécus sur la terre ferme et quand elle dit profiter à fond de ces escales, elle dit vrai. Elle a ainsi joué Groënland de Pauline Sales dans une mise en scène de Pierre Pradinas au théâtre la Scala à Paris. Un seul en scène de plus d’une heure, le voyage au bout de la nuit d’une femme tourmentée qu’elle a admirablement servi et porté. Elle a également publié, au Cherche-Midi, Fille à Papa. Livre dans lequel elle a pris le temps de se souvenir de son père, de sa mère et de son parrain magique et magnifique, Alain Delon. Dans cet ouvrage biographique, elle n’a pas non plus éludé les années noires de sa prime enfance.

« Je me considère plutôt comme une artiste. Je pense qu’à la base de chaque art, il y a un traumatisme. Le mien, je l’ai livré dans cet ouvrage, c’est le viol que j’ai pu subir de sept à onze ans de façon régulière. Je pense que quels que soient les livres que je publierai, ce sera toujours là. Idem sur scène. J’aime parler des choses à travers l’art. 

Après, la façon dont on parle de tout ça aujourd’hui, je sais que ce que je dis peut choquer certains mais je trouve ça gonflant. Clairement. On donne trop la parole à n’importe qui. On découvre que dans le milieu du cinéma, il y a des gens qui se servent de leur pouvoir pour abuser les jeunes actrices mais ça fait très longtemps que c’est comme ça dans le métier !!

Moi, j’ai croisé un réalisateur très connu avec lequel je rêvais de tourner et dont je tairai le nom mais qui se reconnaîtra, qui m’a amenée dans un club échangiste, alors que c’est vraiment pas mon truc, en prétendant me donner le rôle de tenancière d’un club dans le même genre… En sortant, je me suis sentie salie… C’est un film qui devait se faire sur trois volets, il m’avait promis un rôle principal. J’ai eu un tout petit rôle dans le premier, et on n’a jamais fait les autres…

Les abus de pouvoir, et dans tous les domaines, ça a toujours existé et ça existe toujours ! On découvre ça aujourd’hui ?! Ok. Qu’on en parle, c’est très bien. Qu’on libère la parole, c’est une bonne chose mais bon… quand j’en parle, j’en ai les mains qui tremblent…

Il ne faut pas que ça devienne tout et n’importe quoi, voilà ! Qu’on dise les choses, oui ! Le rapport à l’art, c’est encore autre chose. C’est compliqué…

Je pense à Polanski… Pour moi, ce qui est grave c’est qu’il a besoin d’être soigné ce monsieur, c’est un récidiviste, point barre ! Après, aller interdire son film, franchement non… J’imagine que ce qu’il a vécu dans sa vie a dû le perturber suffisamment pour qu’il ait un problème…

Mais ce qui est très important, c’est le pouvoir. Encore une fois, dans tous les domaines. Les gens qui ont du pouvoir et qui en abusent auprès de ceux qui n’en ont pas, c’est malheureux. Il faudrait que la parole se libère partout et qu’on arrête les mensonges, les faux-semblants et qu’on arrête de porter aux nues tout d’un coup quelqu’un qui prend la parole ! Parce que ça devient n’importe quoi, c’est le buzz, les réseaux sociaux, le cirque médiatique !… C’est tout ce qui fait qu’aujourd’hui, j’ai envie de partir en mer (rires) ! »

Géraldine Danon-3-Rock'n'Roll Latitude-ParisBazaar-Marion©Jean-Marie Marion

Au début du mois, Géraldine Danon a donc retrouvé en Alaska son cher Fleur Australe, ce beau ketch de vingt mètres conçu par Poupon pour aller tutoyer la banquise de près, et dont elle dit qu’il est « bien né parce qu’il nous porte depuis onze ans. » Cette immersion hivernale dans l’Arctique est une première. Elle prévoit de revenir au printemps avant de repartir à nouveau, toujours en mouvement et fidèle au cap qu’elle a su trouver en larguant un jour ses amarres.

À la question de savoir si elle aime la femme qu’elle est aujourd’hui, elle répond qu’elle est devenue celle qu’elle rêvait et qu’elle continue de rêver. Une femme qui ne se laisse enfermer dans aucun système, qui sait rester curieuse. Qui agit, qui fait, qui avance. Et qui aime, aussi.

O.D

Pour prolonger la rencontre et le voyage, prenez le temps d’embarquer à votre tour à bord de « Fleur Australe » !

One thought on “Géraldine Danon : Rock’ n’ Roll Latitude

  1. Des discours que j’apprécie beaucoup et que je cautionne… Votre vie et celle de votre famille n’est pas du tout conventionnelle. J’admire votre force et votre courage.
    J’oserai juste citer Epictète : « Ose devenir ce que tu es, même si ce n’est pas conforme à ce qui est habituellement demandé. »
    Avec mon amitié,
    Marie.

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