Journal d’une Pandémie : Seuls sans Scènes-1

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À l’invitation de Paris Bazaar, des artistes racontent ici leurs vies sans vous et disent comment la pandémie a durablement affecté leur quotidien. Entre frustration, colère, angoisse et incompréhension, se dresse l’état des lieux d’un monde qui s’accroche pour ne pas sombrer.

« Comment ne pas éprouver un sentiment de grande injustice ? »

Journal d'une Pandémie-Seuls Sans Scènes-1-Johanna Boyé-ParisBazaar

Je suis Johanna Boyé, metteuse en scène de 37 ans. Depuis quelques années, j’enchaîne des projets de commandes et des projets que je porte moi-même. Je travaille avec plusieurs productions et théâtres.

Quand Le Covid a frappé, j’étais en pleine réalisation de plusieurs projets. C’était une période d’aboutissement de plusieurs pièces pour lesquelles j’avais beaucoup travaillé en amont. Tout s’est arrêté net et l’avenir est devenu incertain et mouvant. À la sortie du premier confinement, j’ai eu l’extraordinaire chance de pouvoir tout de même créer le Visiteur d’Éric-Emmanuel Schmitt et de décrocher avec mon équipe le Molière du Meilleur Spectacle Musical pour Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?.

Cette saison 2020-2021 devait être un moment de belle exposition parisienne pour mon travail. Le début de saison devait être faste en reprises parisiennes, que j’attendais depuis longtemps. Je devais, en cette rentrée 2020, reprendre quatre spectacles dont j’avais assuré la mise en scène dans plusieurs théâtres parisiens : le Visiteur, les Filles aux Mains Jaunes, Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty, Virginie Hocq ou presque.

Ce début d’année 2021 devait sonner le départ de deux de ces productions en tournée. Je devais également  créer deux spectacles pour Avignon 2021 : l’Invention de nos Vies et Je ne cours pas je Vole . Ce dernier avait d’ailleurs été déjà reporté d’une saison.

Bref, une année bien remplie et un moment fort pour mon travail entrepris depuis de nombreuses années. Malheureusement, tous ces projets sont en suspens pour le moment.

Après un début de saison chaotique et très incertain où certains spectacles ont pu démarrer un peu, le couvre-feu et le reconfinement nous ont encore une fois arrêtés net, sans plus aucune visibilité sur notre future réouverture.

Tout ce qui avait été réorganisé a une nouvelle fois volé en éclat pour nous laisser dans un brouillard d’incertitudes et de décalages sans fin de nos projets. L’annulation toute simple plane même pour certains d’entre eux.

Pour ma part, tout est reporté d’un an. Et je dois continuer de travailler pour tenter de faire exister les prochaines créations en réorganisant et remobilisant les troupes.

C’est usant, chronophage, anxiogène.

Aujourd’hui, j’attends impatiemment que les théâtres rouvrent. Et au plus vite.

Ma colère est immense quand on nous a étiquetés « non-essentiels ».

Ma colère est colossale quand j’emprunte des métros qui débordent de monde. Quand je vois les magasins, les trains, les avions bondés et sans aucun respect des mesures barrières.

Malgré tout ça, nos équipements culturels (theatres, musee, salles de concert, cinéma) continuent d’être  fermés alors qu’ils a été démontré qu’ils sont des lieux plus sûrs et alors que les directeurs et producteurs ont tant œuvré pour mettre en place des protocoles sanitaires respectueux et sûrs. Comment ne pas se sentir inconsidérés ? Comment ne pas éprouver une grande injustice ?

J’attends aussi plus de cohérence et d’équité dans les mesures gouvernementales, de vraies compensations financières pour les pertes subies par les auteurs et metteurs en scène. J’attends un gouvernement qui fasse passer au premier plan l’accès équitable à la culture, qui est un droit constitutionnel trop bafoué ces derniers temps.

J’attends qu’il fasse de la sauvegarde de notre secteur une de ses priorités, tout comme ceux de l’éducation et de la santé, pour que nos concitoyens puissent continuer d’avoir des espaces de réflexion, de divertissement, de nourriture sociale et culturelle. Pour que nous puissions tous continuer de faire société ensemble.

Tant d’un point de vue symbolique que d’un point de vue économique, au regard de tous les emplois qu’il génère et de sa grande importance économique pour nos territoires, la culture n’est pas un sous-secteur mais un secteur essentiel !

Johanna Boyé

 

« Les spectateurs plus dangereux que les consommateurs ? »

Journal d'une Pandémie-Seuls sans Scènes-1-Pierre Hélie-2-ParisBazaar-Cédric Vannier©Cédric Vannier

Comme pour tous les artistes et artisans du spectacle vivant, depuis le 17 mars 2020 ma vie professionnelle est suspendue au fil des annonces gouvernementales.

Malgré nous, nous sommes tous à l’autre extrémité de ce fil tendu comme si nous étions au bout d’une laisse. Nous marchons au pas, dociles, nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter la situation.

Les offenses sont pourtant nombreuses.

L’insulte suprême ? Ce concept nouveau et totalitaire -oui- de désigner la culture comme « non-essentielle ».

Préférer ouvrir les commerces plutôt que les salles de théâtres, de concerts ou de cinémas au prétexte que la circulation des populations affluant vers ces lieux serait trop dangereuse. Par cette décision, le gouvernement a réussi l’exploit de délivrer un message à la fois incohérent et terriblement limpide : les spectateurs sont plus dangereux que les consommateurs.

La culture serait-elle donc devenue une menace ?

Je vous jure qu’au bout de cette laisse, nous rageons. Et parfois, il nous arrive même de vouloir mordre.

Pour ma part, avant que la pandémie ne nous frappe de plein fouet, hormis quelques dates de tournée et une mise en scène programmée au Festival Off d’Avignon, j’allais passer 2020 à attendre 2021 pour jouer dans la très belle pièce de Stéphane Guérin, La Grande Musique. Une sorte d’année d’entre-deux, comme nous en connaissons parfois.

Évidemment, rien de tout ce programme n’a pu avoir lieu et je ne sais pas quand ni comment cela aura lieu. Car si nous nous préparons depuis des mois à cette rentrée culturelle qui ne cesse d’être repoussée, avec elle les projets de chacun le sont aussi.

Nous redoutons un embouteillage qui rendra plus difficile encore l’accession aux programmations pour des jeunes compagnies ou des projets à l’équilibre parfois fragile. Je crains que nous ne passions 2021 à attendre 2022.

Bientôt cette « année blanche » – heureusement reconnue par l’Etat- se transformera en ces « années blanches » pour beaucoup d’entre nous.

Et puisque nous sommes contraints de ne pas travailler, j’espère que nous serons aidés financièrement bien au-delà du fameux 31 août 2021, car nous en aurons tous besoin.

Malgré les embûches et les désillusions, je reste persuadé que nous jouons un rôle vital pour la société. À mon sens, il n’y a rien de plus important, ni de plus précieux que de se rassembler dans une même pièce pour écouter, regarder ensemble une histoire. S’émouvoir, réfléchir, ressentir, ensemble, dans un même temps, dans un même souffle -pourquoi pas masqué- ce que c’est que d’être humains.

Je fais confiance à la puissance, à la profondeur de cette expérience collective. Nous sommes plus forts que Netflix. Les spectateurs seront là, j’en suis certain.

Transcender ensemble nos épreuves par l’Art, cela s’appelle la catharsis. Et si elle n’est pas essentielle aujourd’hui, alors vraiment je ne sais plus ce qui l’est.

Mais nous verrons bien.

Suspendus à ce fil, nous le sommes toujours.

Pierre Hélie

 

2 thoughts on “Journal d’une Pandémie : Seuls sans Scènes-1

  1. Nous sommes des centaines dans la crainte du lendemain. Mais le plus dur dans cette histoire, c’est le manque de considération. Je ne parle pas de reconnaissance. J’ai vraiment l’impression d’être passé au stade de « quantité négligeable » .
    J’ai un peu de mal tout de même…

  2. Comme vous, je trouve tout cela lamentable. Je suis écœurée par ce gouvernement qui tergiverse sans arrêt.
    Vous êtes essentiels et vous nous manquez !
    Là où vous avez raison, c’est quand vous parlez des avions bondés sans distanciation, des métros surchargés… On n’y comprend plus rien !
    Il va falloir que tout revienne comme avant. On n’en peut plus ! Les commerces, les étudiants, les dépôts de bilan… Mais où va-t-on ???
    Je vous souhaite beaucoup de courage. On vous attend avec impatience !!

    💛🌟💖💛🌟💖💛🌟💖💛🌟💖

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