Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Le glorieux Tonton de Vanessa
Langolff et moi étions très potes avec Didier Pain, récemment disparu, comédien et oncle de Vanessa Paradis. Didier avait joué dans des films cultes comme la Gloire de mon Père, Jean de Florette, le Château de ma Mère ou des comédies comme les Visiteurs.
Durant l’album de Franck, Normal, on était tout le temps fourrés ensemble à boire des coups et déconner. Tout le temps l’un sur l’autre au point qu’on s’est retrouvés, un soir de n’importe quoi, tous les trois serrés dans un peep-show à nous déclarer graveleusement à l’actrice qui ne nous voyait ni ne nous entendait. Et on faisait tous les trois plus de 1.85 et plus de 90 kg. Surtout Didier.
Pour la fin de son album, Franck avait décidé d’offrir une F.D.J, Fille De Joie- ou Française Des Jeux- aux musiciens. Je sais, ça va choquer les frileux et les féministes mais je m’en branle. Didier et moi sommes allés en chercher une sur les Champs-Élysées.
On lui a expliqué l’esprit, pas qu’elle prenne peur de se voir embarquer par deux gaillards aux mines plutôt décalées. Arrivés au studio à Boulogne, elle s’est assise avec nous dans la cabine derrière la console et elle a regardé les musiciens jouer. Elle était fascinée. À en oublier ce pour quoi on l’avait engagée.
Au bout d’une heure, Didier m’a fait un mouvement de menton dans sa direction du style « faudrait peut être passer aux choses sérieuses, au Cadeau. » Mais Franck était absorbé par le morceau en cours et les musicos étaient concentrés sur leur partie et n’avaient pas idée que leur cadeau était arrivé. La fille, quant à elle, devait se dire qu’elle s’en tirait bien. Alors, j’ai déclenché le plan hors sec.
Je me suis approché d’elle. « C’est quoi ton nom ? » « Monia. » « Alors Monia, tenue de combat ! » Elle s’est retrouvée en nuisette et porte-jarretelles et a commencé à distraire les musiciens. Pas hyper à l’aise, les mecs. Le sexe, comme l’argent, est très révélateur de l’humain. Tel qui fait le malin dans le civil se retrouve fort dépourvu quand la belle fut velue. Ou glabre.
Finalement, un seul a amorti Monia et ce n’était pas moi. Disons qu’il se trouvait parmi les glorieux disparus, au nombre de trois à ce jour : Franck, Didier et Patrice (Tison), guitariste de haut vol à qui j’avais dédié un post ici-même.
Mais surtout, Didier nous parlait abondamment de sa nièce Vanessa pour qui il avait une admiration-forfait illimité. Il voulait qu’on lui écrive des chansons. J’entends encore Langolff lui dire « Lâche -nous avec la gamine on est dans le couillu ! » Effectivement, l’album Normal était plutôt une boisson d’hommes, comme dit Ventura dans les Tontons Flingueurs. Dessus figurait d’ailleurs Tue Moi que Pagny a reprise pour notre plus grande sécurité financière. Et il l’a reprise parce que Vanessa avait fait des choeurs sur l’album et que, comme elle était avec lui à l’époque, elle écoutait Normal non-stop. Et le Patagonien a repéré Tue Moi.
En fait, Didier amenait régulièrement sa nièce au studio quand on travaillait. Elle restait à tout observer sans mot dire. Pourtant, l’atmosphère était lourde pour une toute jeune fille. Avec la fumée et les vapeurs d’alcool qui régnaient dans le studio, on aurait pu faire des bouillons cube. Et un beau jour, une belle nuit plutôt, Didier a réussi à extorquer une chanson à Langolff. C’était dans un studio d’enregisrrement à Rueil Malmaison lors d’une espèce de nuit de la brocante. Vers deux heures du matin, Franck a commencé à gratouiller et nasiller un truc improbable. « Qu’est-ce qu’il branle ? Je me suis dit. On est partis pour la nuit, il dévie de ce qu’on fait. »
Je suis allé faire un tour sur le marché nocturne et j’en suis revenu avec un horoscope chinois. Cette nuit-là, j’ai appris que j’étais boeuf. Quand je suis revenu au studio Franck était toujours sur le même morceau. C’était le futur Joe le Taxi. Dont j’ai refusé de faire les paroles. Bizarrement, je n’ai jamais regretté cet énorme tube qui m’était passé sous le nez. D’abord parce que j’aurais peut-être appelé ça T’en Vas pas si tu Pars ou J’aime le Frisbee et ça n’aurait pas marché du tout. Ensuite parce que j’ai vu dans quel état financier et moral ce carton avait mis mon pote.
Quoi qu’il en soit, Didier, ça c’est du tonton ! Hein, Vanessa ?
Le Poète au Thermomètre
Le mec écrivait des poèmes, rêvait qu’ils trouvent un éditeur et d’être connu et reconnu pour sa poésie. Il collait bien à ses poèmes. Il était un peu décalé, curieux de tout, facilement émerveillé, avec une pointe de mister Bean dans l’illumination.
Un jour qu’il regardait la vitrine d’un libraire, il s’est retrouvé par inadvertance dans le magasin d’à côté après avoir passé un rideau qui l’intriguait. C’était un sex shop. Les revues pornos s’étalaient aux murs avec force cuirs, latex et objets contondants introduits. « Ces objets oblongs que l’on met aux brunes » pensa t-il poétiquement.
Le poète s’attarda surtout sur une diversité de sex toys de différentes tailles et de différentes couleurs, de la méduse translucide au noir ébène en passant par des flashy orange et bleu électrique. On le sentait plus perplexe que salace.
Le vendeur, qui venait de renseigner un client, s’est approché de lui.
– « Vous désirez un renseignement ?
– Non…euh oui. Vous en vendez beaucoup de ceux là ? »
Il désigna un membre de belle taille en latex gélatineux.
-« Pas mal. Mais ça ne part quand même pas comme des petits pains.
-Je crois savoir pourquoi » dit le poète.
– « Ah !? Et pourquoi ?
-Parce que son utilisation première est trop évidente, trop affichée…Il faudrait un deuxième degré. »
Le vendeur, un métis entre deux âges, se gratta le menton.
– « C’est à dire ?
– Il faudrait qu’on puisse l’offrir à son ou sa partenaire avec quelque chose d’humoristique pour se dédouaner. Par exemple, dans ce modèle ( il désigna une verge en latex transparent), on pourrait glisser un thermomètre par le méat. .. comme ça, l’objet se retrouverait avec une fonction détournée très clin d’oeil : tiens, chéri(e), je t’ai acheté un truc pour surveiller ton état grippal… »
À ce moment-là, un type en costard à côté qui n’avait pas perdu une miette de la conversation s’exclame : « Génial ! »
Et il se présente comme le boss de tous les supermarchés du sexe en Belgique et aux Pays-Bas.
– « Je vous achète votre idée et je vais la faire commercialiser. Fantastique ! »
Une chanteuse à la mode, sorte de Madonna un peu trash en fit la pub dans un clip déjanté, en citant le nom du poète inventeur.
Et le poète se retrouva célèbre dans un domaine qu’il n’attendait pas du tout.
« Hé, super votre gode thermomètre ! lui lançait-t-on ça et là. J’en ai offert un à ma femme !! » « Oui, mais j’ai écrit aussi la Pointe de ton coeur est une Épine dans mon Âme. » « Ah !? Connais pas ! »
Magie des destins contrariés !
Y’a rien ce soir à la Télé !
Je me souviens quand j’étais ado, mes vieux avaient deux gimmicks : « Qu’est-ce qu’on mange ? » et « Y’a rien ce soir à la télé ! » Évidemment, quand on pense à un visage de fille entrevue dans le car scolaire ou qu’on se dit qu’on va bientôt pouvoir s’acheter le dernier Led Zeppelin avec son argent de poche, ça dégoûte.
Je revois mon père le midi, faisant corps avec la table autour d’une tête de veau sauce gribiche, dire à la mère : « Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? » Ça m’écoeurait qu’il se projette déjà dans la bouffe du soir alors que j ‘aurais pu jeûner pendant trois jours, du moment que j’avais mes disques et les photos de guitares Fender et Gibson pour rêver dessus.
Et y’avait le « Ce soir, on se couche de bonne heure, y’a rien à la télé !« . Ce qu’ils appelaient « rien » Mimile et Marianne, c’était une émission sur le commandant Cousteau, Lecture pour Tous ou pas de Piste aux Étoiles ou de énieme rediff du Corniaud ou du Jour le plus Long. Et mou je m’en branlais comme de ma première branlette de la télé. À part Au Nom de la Loi Josh Randall- Steve McQueen ou les émissions musicales avec des groupes anglais. Conflit de générations. Qui finit par faire un conflit de générations pour les derniers arrivés. C’est de bonne guerre.
N’empêche qu’ils me manquent encore Emile et Mina, comme l’appelait mon père. Pour la bouffe, j’aurais dû comprendre. C’était la peur de manquer pour cette génération de la guerre et des privations. Pour la téloche aussi. Quand tu bosses à l’usine toute la journée dans les odeurs de soufre et d’oeuf pourri de Port Jérôme, le soir t’as pas envie de te demander pourquoi Sartre a dit que l’existence précédait l’essence et pourquoi le Marlin Bleu n’était pas allergique aux méduses. Voire même, il les enculait.
Voilà, voilà. J’arrive à cet âge où la marée de l’insouciance passée vient échouer les réminiscences sur la plage où j’avais dessiné Aline.
Francis Basset