Mademoiselle Else : du Bonheur en Poche

Mademoiselle Else-du Bonheur en Poche-Ouv-ParisBazaar

Avec Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler, le Poche Montparnasse rompt le silence pandémique, Alice Dufour donne une autre mesure de son talent et Nicolas Briançon nous régale une fois encore. Quand le malheur de l’une fait le bonheur de tous.

C’est long sept mois sans théâtre. Comme la traversée sans joie d’un océan solitaire. C’est peu dire qu’il nous avait manqué le bien-aimé. Où mieux qu’ici, chez lui, avec lui, envisager le monde ? Où trouver ailleurs à nous confronter, nous interroger, nous oublier et nous retrouver autant et aussi fort ?

Après sept mois d’une vie au ralenti, de silence anxieux et d’ennui contemplatif, il était temps que sonne la fin du long sommeil. Il y avait même urgence. Pour eux comme pour nous. Il a donc suffi d’un soir chez Philippe, avec Alice, Arthur et Nicolas pour qu’à nouveau pulse le chouette vibrato. Que la jolie mademoiselle nous pardonne mais ses tourments, ce soir-là, ont fait notre joie.

Et elle souffre la jeune Else, que l’inconséquence de son flambeur de père va contraindre à s’avilir. L’avocat a tapé dans une caisse qui n’était pas la sienne. La somme est conséquente. Seul un marchand d’art, en villégiature dans le même grand hôtel où elle achève ses vacances d’été, est en mesure d’avancer l’argent et d’éviter à l’inconscient la prison ainsi que le scandale qui ne manquerait pas d’éclater au sein de la bonne société viennoise, et ruinerait la bonne réputation de la famille.

Le marchand d’art n’est pas du dernier printemps, Else n’en a pas vingt, et il aime ce qui est beau. Il consent mais à la condition de pouvoir la contempler nue. Un quart d’heure. Une éternité. Le dilemme est cruel, elle n’en a que trop bien saisi les enjeux terribles. Faire le choix de sa dignité condamnera son père mais est-ce que le sauver ne reviendra pas à se prostituer ? Est-ce que ce n’est d’ailleurs pas ce à quoi l’encourage sa propre mère, dont les lettres se font de plus en plus pressantes ?

Else qui, ce midi encore, était dans la solaire et délicieuse légèreté de son jeune âge va goûter à l’amertume du renoncement de soi et entrer dans sa nuit. Puisque le rêve est mort et les illusions enfuies, pourquoi vivre ?

Mademoiselle Else-du Bonheur en Poche-Ombre-ParisBazaar-Gely©Pascal Gely

Pour Alice Dufour, dont ce n’est que la quatrième pièce, ce rôle est comme un cap qu’elle franchit sans fléchir, et où, seule en scène, elle montre davantage encore la richesse des couleurs qu’elle sait apporter à ses compositions, donnant ainsi raison à Nicolas Briançon de lui avoir offert d’incarner la jeune femme.

« Else passe par tellement d’états et d’émotions… Elle croque la vie, elle est légère et elle descend au dixième sous-sol, dans les bas-fonds… Et sa solitude, elle est terrible sa solitude ! Je me suis beaucoup appuyée sur ça. Au début, c’est sa force, elle la maîtrise. Et puis, ça la mange… Elle le dit : « Seule, j’ai si peur »… C’est bouleversant.

Je suis tellement heureuse que Nicolas m’ait proposé ce rôle… C’est un cadeau pour une danseuse comme moi ! Et je me suis donnée totalement, j’ai travaillé dur, un travail de dentelle, une direction de chaque instant…

J’avais fait un peu de télé, un peu de cinéma mais j’avais très envie de théâtre… François (François Vincentelli, son compagnon-ndlr) m’avait dit que c’était compliqué… Effectivement… Je me souviens, après avoir vu « Croque Monsieur » à la Michodière, j’avais demandé au metteur en scène à passer une audition… On ne m’a tout simplement jamais répondu (sourire).

J’ai suivi des stages avec Nicolas… Autour de Shakespeare, Feydeau et Guitry… Ça m’a confortée dans mon désir d’être chaque soir sur scène… Quand vous tournez un film ou un téléfilm, ça vous échappe. Mais quand vous jouez au théâtre, vous gardez un peu plus le contrôle et vous pouvez soir après soir apporter autre chose, d’autres nuances, plus fines… Et puis, j’aime la troupe et l’état d’esprit que ça implique…

Au Poche, c’est génial ! La proximité avec le public est incroyable ! Je me sens à la fois tenue par la main et poussée toujours plus haut par les spectateurs… On est si proche d’eux que croiser un regard peut même déstabiliser, il faut faire attention (sourire)… Il y a une émotion folle… (silence)… Ça m’a percutée. »

Mademoiselle Else-du Bonheur-en Poche-Bandeau-ParisBazaar-Gely©Pascal Gely

Cette relecture de la nouvelle d’Arthur Schnitzler ne nous a pas moins remués. À l’invitation de Philippe Tesson, Nicolas Briançon a eu la brillante idée du monologue. Les autres personnages ne sont que des voix qui viennent ponctuer le récit de la jeune femme autour de laquelle se resserre le drame. Sa solitude y trouve une intensité renouvelée et une émotion inédite.

Briançon a su faire aussi de la délicieuse exiguïté du Poche un atout majeur. En faisant le choix d’abolir la distance habituelle entre le jeu et la salle, il nous offre d’être au plus près d’Else, jusqu’à partager son souffle. En faisant celui des très belles images d’Olivier Simola, il insuffle l’onirisme et la sensualité qui donnent une autre portée encore à la tragédie qui se joue.

Après ces longs mois sans lui, cette Mademoiselle Else nous a donc fait revenir au théâtre. Si on en avait douté, on a su ce soir-là pourquoi il nous avait tant manqué. Le poète avait raison qui écrivait qu’on reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va. On le reconnaît aussi à la joie qu’il nous offre quand il revient.

O.D

Mademoiselle Else, d’Arthur Schnitzler avec Alice Dufour, mise en scène de Nicolas Briançon.

Jusqu’au 1er janvier au théâtre de Poche Montparnasse.

 

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