Émouvant et troublant, un soir chez Françoise Sagan

Avec Françoise par Sagan, Caroline Loeb nous offre ce dont nous rêvions. Un instant volé au temps qui fuit, dans l’intimité de la fantasque romancière. Bonjour Bonheur !

 

Un soir. Le comptoir d’un bar. À coté, un fauteuil. Posé au sol, un cendrier plein. Dans le clair obscur, la lueur incandescente d’une cigarette qui se consume et une ombre blonde dont les contours doucement se précisent. Surgie de la nuit, Françoise vient de nous rejoindre. Sagan retrouve les vivants. Et c’est déjà fascinant.

S’ouvre alors un incroyable monologue, riche, ardent, drôle, qui émeut et surprend. Qui nous parle de l’enfance, de l’amour, de la vie, de la mort. Qui nous dit ce que c’est qu’écrire, devenir célèbre, jouer, flamber et rouler vite. La femme nous prend à témoin et nous raconte qui fut la romancière, à moins que ce ne soit le contraire, laissant le souffle qui porta sa vie inspirer et emporter les nôtres. Caroline Loeb, en état de grâce, s’efface pour que Sagan s’invite. Ce qu’elle fait, comme si en prenant tout l’espace elle avait aussi pris possession de la comédienne. Magique.

©Jean-Marie Marion

« C’est une rencontre très forte entre elle et moi ! Elle m’intéressait évidemment, parce que j’aime bien les personnages atypiques, qui ne ressemblent à personne d’autre, mais je n’avais jamais lu sa prose avant de tomber sur ses interviews (Je ne renie rien, entretiens 1954-1992, paru notamment au Livre de Poche dans la collection Biblio-ndlr). On m’a offert ce livre et j’ai eu un coup de foudre incroyable ! J’ai reconnu beaucoup de choses qui me bouleversaient profondément, qui me touchaient beaucoup, qui me faisaient rire. Ce qu’elle dit sur le temps, sur la mort, sur l’écriture. Il m’a semblé évident qu’il fallait en faire un monologue de théâtre. 

Elle parle de choses qui sont pour moi très importantes. D’abord l’amour de la littérature, qui est le départ de tout. L’enfance très solitaire où elle est tout le temps dans ses bouquins. Je ne peux pas dire que j’étais particulièrement solitaire mais je lisais énormément. L’Art m’a un peu sauvé la vie quand-même, et la littérature, j’y reviens, ça a été fondamental. 

Elle a un rapport à la mort aussi qui est très fort. Moi j’y pense tout le temps. Je pense, comme elle, que c’est stimulant, ça fait avancer. Et qu’il faut y aller ! Parce qu’on n’a pas beaucoup de temps. Là, on arrive à quelque chose d’essentiel chez nous tous. Ce qui est très beau, c’est qu’elle en parle avec gravité mais aussi avec humour, avec légèreté… Et puis, il y a évidemment plein d’autre sujets, sur le temps, sur l’amour, la paresse… il y a mille choses dans ce qu’elle dit qui me touchent profondément. »

©Jean-Marie Marion

Au fil des confidences, au rythme des apartés, Sagan se dévoile, se révèle. Ses pleins qui sont aussi ses déliés nous la montrent joyeuse et moqueuse, ironique et tendre, curieuse des autres et souvent surprise par la marche du monde. Comme si elle s’étonnait elle-même d’en faire partie. Et c’est avec une profonde légèreté de l’être qu’elle semble traverser sa propre vie, n’accordant que peu d’importance à ses excès. Ils disaient sans doute ses failles, elle avait décidé qu’ils feraient sa force d’être libre.

« Oui, c’est l’enfant gâtée, la petite dernière. C’est la petite poupée avec tous ces adultes, absolument. Mais je pense que ça a été le piège en même temps. Sagan le dit : « Quand la vie aura moins de charme immédiat, j’écrirai alors un bon livre. » Ce qui est une façon très élégante de dire qu’elle préfère ne rien faire ou sortir ou faire l’amour, voir ses amis, plutôt que de se mettre à bosser.

Elle bosse parce qu’elle a des dettes et que tout d’un coup, elle est obligée.  Ça a été son élégance suprême mais en même temps c’est un peu ce qui l’a perdue. Parce qu’elle aurait adoré être Marcel Proust. Mais bon, pour être Proust, il faut s’enfermer pendant des années dans une chambre en liège et ne plus voir personne. Il faut le vouloir !

Moi, j’ai un rapport très très différent au travail. J’ai passé beaucoup d’années à sortir, j’ai dix ans de boîte de nuit, bon, j’ai survécu (sourire) mais aujourd’hui, le travail c’est le coeur de ma vie. C’est là que je m’amuse, que je retrouve les gens. C’est là que je trouve ma raison de vivre. Même le mot travail ne va pas, c’est une vie ! Ce que je ressens sur scène, pendant une heure dix tous les soirs au théâtre, ça n’a pas de prix. C’est hyper fort !

C’est un moment qui justifie toute la dureté de ce métier, tous les moments compliqués avec l’argent, les médias, le reste de la profession. Quand on a cette heure dix tellement pure avec ce texte tellement subtil et intelligent, c’est un luxe fou ! Donc pour moi, le travail est beaucoup plus important qu’il ne l’était pour elle. J’éprouve peut-être plus le besoin de créer. »

©Jean-Marie Marion

Si Caroline reste Loeb, elle sait remarquablement soir après soir devenir Sagan. Avec intelligence et l’élégance que ça peut lui conférer, elle n’imite pas. Elle ne parodie pas davantage, elle compose. Sans jamais venir s’échouer sur l’écueil de l’outrance.

« Je dois dire que quand on a commencé à travailler, on a d’abord fait la photo de l’affiche avec Richard Schroeder et quand je l’ai vue, je me suis dit « merde, il va falloir que je sois à la hauteur » (sourire), parce que je n’avais pas commencé à répéter, j’avais juste acheté la perruque. En plus, j’avais adoré Sylvie Testud dans le film de Diane Kurys, il fallait que je sois au niveau. Et en même temps, c’est du théâtre !

Et au théâtre, on peut créer une magie très différente du cinéma. Parce qu’il y a les clairs-obscurs, ici on a les très belles lumières d’Anne Coudret, et c’est de l’évocation. Moi ce que j’aime, ce n’est pas montrer, c’est évoquer. Là, ce n’est ni moi, ni elle, c’est un personnage. Comme une apparition. C’est assez extraordinaire à jouer.

Mais  réellement, ce qui s’est passé, c’est qu’elle est arrivée. Sans que je tape à sa porte particulièrement, sans que j’aille la chercher. Quand j’ai appris le texte, le gros du travail que j’ai fait toute seule, ça a été de raccrocher chaque phrase à quelque chose d’intime. Et elle arrivée comme ça, par l’intime. Par la profondeur du lien que j’ai avec elle, qui fait que ce qu’elle dit résonne en moi. Alex (Alex Lutz, son metteur en scène-ndlr) m’a d’ailleurs beaucoup accompagnée sur ce chemin. Son intelligence et sa vivacité d’esprit m’ont infiniment aidée à trouver le ton, la gestuelle. Il a une sensibilité qui m’a fait voir ce que, parfois, j’avais du mal à bien discerner… On n’arrive jamais tout à fait seule, vous savez.

Et c’est finalement quand je suis restée au plus proche de moi-même, que Sagan s’est glissée de manière très naturelle. Effectivement, pas dans l’imitation mais dans les raisons profondes pour lesquelles on dit les choses qu’on dit. Quand je dis « la société vole le temps des gens », tous les soirs je sais pourquoi je le dis ! Parce qu’on est complètement bouffés par nos smartphones, nos réseaux sociaux, les chaines d’info en continu… je n’arrive presque plus à lire, c’est terrifiant ! Enfin, je lis quand même. J’ai même trouvé le temps de dévorer Playboy de Constance Debré.

Bon, Sagan dit aussi « j’aime bien les gens », ça me fait beaucoup rire de dire ça. Là, je me dis que je suis vraiment une actrice de composition (rires), parce que je suis quand même assez misanthrope (rires). Mais c’est tellement touchant de dire ça, tellement enfantin. »

Françoise par Sagan est une rencontre rare. Un émouvant pas de deux. Et à l’écouter, une aventure miraculeuse pour Caroline Loeb. Nommé aux derniers Molières, le spectacle s’est vu prolongé. Un album doit même paraître bientôt dans lequel Caroline évoquera Françoise, sur des paroles entre autres de Pierre Grillet, fameux complice des années ouatées.

Il ne vous reste plus qu’à prendre place dans la si bien nommée petite salle Paradis du Lucernaire et vous laisser cueillir à votre tour par les mots de l’ange blond. « On ne sait jamais ce que le passé nous réserve« , disait-elle. Mais il n’est jamais trop tard pour se faire du bien.

O.D

Françoise par Sagan, d’après Je ne renie rien, adapté et interprété par Caroline Loeb

Mise en scène d’Alex Lutz

Jusqu’au 12 janvier, au Lucernaire

(Et nos remerciements chaleureux à la Brasserie Lipp pour la patience et la bienveillance avec lesquelles ses équipes nous ont accueillis durant l’interview et la séance photo de Caroline Loeb. Sagan y avait ses habitudes, Caroline y a les siennes. À croire qu’elles étaient vraiment faites pour se rencontrer !)

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