La Bande Originale d’un Rock’ n’ Râleur : Deschamps, Blek le Roc et Amour Charnel

Christophe-Deschamps-Rock'n'Râleur-ParisBazaar-Basset

Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !

Christophe Deschamps

Ah Dechman, mon vieux copain, batteur de légende et gueule d’amour. C’était mal barré pourtant nous deux au début, y’a bien 45 ans de ça. 

Je faisais les baloches avec mon groupe de l’époque, je ne sais plus lequel, j’ai tellement fait de baloches et tellement fait de groupes ! On cherchait un batteur. On été allés « t’auditionner » dans ton fief à Dieppe, ou aux alentours. T’étais là avec ta batterie toute neuve, toute rouge rutilante (Ludwig ?), tout beau tout blondinet derrière tes toms et tes cymbales.

Deschamps-Jeune-Rock'n'Râleur-Basset

Je me disais que ce tableau était trop propre des pieds pour être honnête. Ça ne sentait pas le vécu, la galère. J’aurais voulu que ça transpire un peu le John Bonham, l’alcool et le suicide. Mais tu jouais bien déjà, mon salaud ! Tu étais un peu impressionné parce qu’on s’était faits un nom avec notre groupe dans la région rouennaise. Et puis, on avait bien un septennat de plus que toi. Mais le danger quant à ton recrutement, c’était moi. Parce que j’étais décisionnaire principal. Et moi je m’en foutais que tu joues bien. 

Bien plus que ton look sorti du cocon, c’est ta gueule d’amour qui me chagrinait. Je me disais : « Oh lui, il va me piquer des nanas ». Parce que c’était quand même ça le but dans les baloches pour un musico : emballer des gonzesses. Pas la musique. Les reprises de Paranoïd, Smoke on the Water, Et mourir de plaisir, on s’en foutait. C’était pour griffer les trente sacs à la fin ET baiser. Je sais, je vais encore choquer.

Donc quand tu nous as fait ta démonstration, je faisais la moue et je me grattais le menton. Et mon verdict est tombé : « Non ! » Trop vert. Pas assez d’expérience. Faut dire aussi que j’avais un pote sous le coude comme batteur. Un peu Jeannot lapin à la batterie mais il rabattait bien la gueuse de campagne.

Voilà le con que j’étais. Aucun recul sur l’avenir si j’ose dire. Et toi, pendant qu’on faisait nos baloches avec bagarres générales et merguez frites, tu es parti faire une école de batterie à  Los Angeles, celle des frères Porcaro. Dis-moi si je me trompe. Et rentré en France, tu étais derrière tes fûts pour les plus prestigieux : Eddy Mitchell, Véronique Sanson, Souchon, Voulzy, Goldman et j’en passe. Anecdote, dans les années 60 avait pris comme pseudo Jean Passe. Comme ça dans les remerciements il était toujours cité : « Nous tenons à remercier truc et Machin et Jean Passe ! »

Voilà Dechman. Quel parcours! Et quel musico hors-pair tu fais ! Et hors paires ! Nous, comme des cons, c’est ce qu’on regardait chez les nanas. Toi aussi mais dans le bon ordre : les drums d’abord, le dream after.

Blek le Roc-Rock'n'Râleur-ParisBazaar-Basset

Je m’voyais déjà…

Petit, je voulais être le Kit Carson ou Blek le Roc de mes BD. Plus tard, je voulais jouer comme Hendrix ou Alvin Lee, être la star de Woodstock ou de tournées mondiales. Je les mimais dans les baloches et les podiums rock n’roll des plages à mimiles.

Et puis, j’ai voulu chanter comme Michael McDonald, le chanteur des Doobie Brothers. Cette voix-là ou rien. J’étais fasciné. 

L’imitation « le faisait » comme disent les jeunes, mais qu’est ce qu’on aurait à cirer d’un Michael McDonald français ? Un McDo encore…

Et j’ai écrit des chansons pour des artistes de la francophonie. Des noms connus. Dans ma culture. Mais j’aurais voulu être dans la dimension d’un Dylan ou d’un Bernie Taupin, le parolier d’Elton John. Alors j’ai voulu écrire pour écrire, arrêter la chanson. Être publié et connaître le succès déjanté d’un Bukowski ou mythique d’un John Fante.

Puis, j’ai tâté du one man show où je racontais ma vie jalonnée de toute cette musique « qui m’a fait paraître la route moins longue », comme disait Audiard. Mais je n’ai fait que macérer dans mes frustrations de gloire. Je n’étais qu’une vache qui regardait passer l’Orient-Express.

Il me fallait me rendre à l’évidence, je n’étais que Francis Basset.

Mais je suis heureux de ça, au bout du compte. Heureux comme celui qui s’est ébloui de tours du monde, qui pousse enfin la barrière de son jardin, qui caresse la tête de son chien venu le fêter et qui lui dit à l’oreille : « Va me chercher ta maîtresse que je l’embrasse et que je lui dise que je l’aime et qu’elle m’a réussi ma vie. »

Brassens-Rock'n'Râleur-ParisBazaar-Basset

« Il n’y a pas d’amour heureux ». Brassens

En clin d’oeil à la chanson de Bassens « Il n’y a pas d’amour heureux« , je dirais : il n’y a pas d’amour sans chair.

Je pense même que c’est tricher que de dire : « Oh lui-elle, je l’aime tellement que je n’ai pas besoin de le-la toucher. » Ou alors ce n’est pas un amour passion. « Juste » une amitié amoureuse ou un transport romantique. Le charnel est un support à l’amour comme le CD à la musique. A moins qu’elle soit céleste ou intérieure. Il est le palpable nécessaire qui raccorde, qui installe, qui met en présence. 

Pour l’amour réalisé, il faut, comme dit Brel, que le corps exulte. La possession du corps de l’autre exalte, exhauste, transporte. Et prouve. Quand on a envie de littéralement « manger » l’aimé(e) au plus fort de l’attirance et que l’âme est débordée, c’est bien le charnel qui est réquisitionné.

Sur terre, quand on est vivants et en prise avec les éléments, l’eau, le feu, le vent… 

Au ciel, dans l’éternité, il sera toujours temps de se passer du corps. Ou de s’arranger avec l’ éthéré.

Francis Basset

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