Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Polanski, ce champion cycliste méconnu
Après Gazon Maudit, Ticky Holgado a reçu une proposition de film de la part de la Gaumont. Une comédie où il était tête d’affiche avec Emmanuelle Seigner et Gérard Darmon. Langolff et moi on bossait avec lui sur un album déconnard à l’époque. Alors Ticky nous a branchés, imposés même, sur le film. Franck pour la musique et moi pour les dialogues.
J’étais descendu à Nîmes sur le tournage. Je voyais Roman Polanski y traîner souvent, accompagnant sa femme Emmanuelle Seigner. Langolff ayant cartonné avec Vanessa Paradis et Joe le Taxi, elle s’était un peu mis dans la tête de chanter et nous serrait de près Franck et moi. De très près en ce qui me concerne parce que, modestie mise à part, modestie en quarantaine même, je ne la laissais pas indifférente. Bref.
Un soir où j’avais dîné avec le producteur délégué de la Gaumont dans la vieille ville, Polanski et sa femme étaient à une table voisine et le mec de la Gaumont leur a proposé qu’on aille prendre un verre après l’orgie tous les quatre. Ils ont accepté sans pour autant faire des bonds de léopard sous l’enthousiasme. Polanski n’était pas du genre à s’emmerder avec les convenances et n’avait pas de pudeurs de petit rat de l’opéra qui en voit un gros pour parler pognon.
Ainsi, en plein tournage quelques jours avant, il avait apostrophé le producteur en question : « Hé Fleury, quand tu veux tu me paies la location de ma baraque ! » Il possédait une propriété dans le coin qu’il louait à la Gaumont le temps du tournage. Ce jour-là, je me suis dis : « Merde, tout Polanski qu’il est, pas du tout Polanski -pôle emploi, il ne prend pas de gants pour récupérer sa thune. Et moi pour récupèrer 30 euros à un pote quand c’est vital, je fais des contorsions de fakir. Et en plus je me fais traiter de mesquin ou de radin ! »
Et donc ce soir-là, on se retrouve au bar d’un grand hôtel, fauteuils profonds et lumière orangée. C’était l’été, il faisait chaud et j’ai tombé la chemise pour rester en tee-shirt. Détail important. Emmanuelle m’entreprend pour qu’on lui écrive des chansons Frank et moi, alors que Fleury, le prod délégué de la Gaumont, parle à Polanski face à lui, dans un fauteuil par-delà la table basse où le garçon a déposé les consommations. Fleury, lui, est assis sur un canapé. Détail important aussi.
Et il déroule son discours de décisionnaire à Polanski : « La problématique conjoncturelle du cinéma mondial et la sponsorisation sauvage dont les grands groupes cinématographiques sont obligés de tenir compte darladilada… » Polanski, en face, se fait chier. Jusqu’à ce qu’il chope une conversation entre sa femme et moi.
Elle me dit : « Dis donc, tu es costaud ! Quels bras ! » Incorrigible, je voulais sortir une blague du genre : « Mes bras n’en ont pas que marre, bras que marre » , inspiré par la belle, mais j’ai fait l’impasse. À la place, j’ai dit : « Oui, mais les bras c’est rien. C’est les cuisses le cardiovasculaire, les révélateurs de l’endurance. C’est pas par hasard qu’on nous fait pédaler pour les épreuves d’effort. »
Et là, le visage de Polanski s’illumine: « Oui, c’est vrai ! C’est les cuisses, la vérité ! En Pologne, je gagnais tous les championnats cyclistes de ma région quand j’étais jeune ! Mais cette force dans les jambes m’est restée ! » Fleury me jette un regard oblique, furieux que je lui pique l’attention du cinéaste mythique. Lequel pousse alors les fauteuils, s’accroupit près de la table basse et se met à faire une série de pompes sur une seule jambe. Impressionnant !
Voyant ça, Fleury pour récupérer l’intérêt de Polanski, qu’il n’avait d’ailleurs jamais suscité, veut faire pareil. Il s’accroupit le long du canapé sur lequel il était assis dans la position du danseur russe sur Kalinka, essaie de se relever sur une jambe et… se pète un ménisque. Il s’accroche au canapé sur lequel il était assis et parvient à s’y hisser avec l’énergie du désespoir, le visage déformé par la douleur.
Polanski lui jette un oeil torve comme à un cachalot qui se serait échoué sur la plage de Trebeurden, regarde sa femme qui se lève en lui disant :
– « Allons-y Roman… »
La sirène est une morue qui se laisse saler
Outre l’image de la femme à queue de poisson qui attire les marins dans des pièges par son chant mélodieux, la sirène symbolise le charme irrésistible, la fascination que l’on ne s’explique pas. Sorte de mélange de douce vierge innocente et de femme fatale, attirante et libre, elle est une métaphore au désir charnel et à la luxure.
Comme d’habitude, depuis les légendes et la mythologie, c’est la femme qui « prend » et l’homme qui s’en tire toujours à bon compte dans la Morale. Par exemple Priape, dieu de la fertilité, des jardins et des troupeaux et Dionysos, dieu du vin et de ses excès, de la folie et de la démesure.
Pour le premier, le braquemard démesuré de fornicateur est gentiment enrobé de bienséance. Et pour le second, on passe à la trappe le délirium pour garder la belle image de la vigne. La femme, non. Y’a toujours quelque chose de tortueux, d’intrigant, de sous-jacent, de pervers. Pas étonnant que les barbus, les machos et les beaufs fassent encore leur beurre là-dessus. Rien n’a vraiment changé quant à l »image de la femme depuis des siècles et des siècles. Amen.
En fait, tout ça préfigurait tous les euphémismes actuels de notre novlangue qui aurait appelé Jack l’Éventreur un étudiant en entrailles du beau sexe et Landru le prince noir du fourneau. Tout va bien. Cache-toi Ô Sale Vérité ! Tu n’es pas belle, tu mets mal à l’aise ! Tu empêches les gens de voter utile et les cocus de ne plus l’être. Et c’est très chiant. Un monde sans bernés, sans bêlants qui vont à l’abattoir bon pied bon oeil, n’est plus une démocratie. Allons !
Laissez-nous twister, merde !
Les politiques nous volent nos vies et ils tentent des trucs. Comme un chirurgien tenterait des interventions à haut risque sur le coeur ou le cerveau. Sauf que dans ce cas, c’est pour sauver des vies. En général. Les politiques, non.
Ils se gavent pendant leurs mandats, balancent deux ou trois mesures démagogiques ou deux ou trois grands travaux culturels, histoire de laisser une trace ailleurs que dans le fond de leur calbard, et ils se recyclent vers plus lucratif ou attendent la retraite en or massif après avoir culpabilisé le pauvre con, tancé celui qui n’est pas d’accord avec son dogme, et méprisé ceux qui regimbent quant à ses décisions en dépit du bon sens. Le dépit du bon sens est le nerf de la guerre « en haut lieu » .
Entre deux possibilités, choisir toujours la pire. Les gens meurent de soif dans leur quartier ? On installe une fontaine ? Non non. On va plutôt mettre une stèle de Karl Marx. Façon Manneken Pis, alors ? Comme ça, on allie le culturel figuratif à l’étanchement de la soif ?! Surtout pas, malheureux ! C’est justement ce à quoi ils s’attendent, ces cons ! Ces cons qui vaquent au lieu de regimber.
Ça me rappelle cette chanson tube des années soixante, Laissez-Nous Twister ! Les guerres, la misère, le monde qui part en couille avec toujours les mêmes qui foutent la planète à feu et à sang ? OK, mais laissez nous twister, merde ! Vous voyez bien que c’est important… et en plus, c’est pas ridicule du tout, non non. Bon après y’a eu laissez-nous faire la Danse des Canards et laissez nous faire la Chenille qui Redémarre, et bien après, laissez-nous chanter le Petit Bonhomme en Mousse.
Bon, tout ça ne suit pas le progrès technologique mais ça a le mérite d’exister, comme dirait l’autre con. Chacun met le sien. C’est ça aussi le Progrès.
Francis Basset