La Bande Originale d’un Rock’ n’ Râleur : Voyager avec Rivat

Desireless-Rock'n'Râleur-Voyager avec Rivat-ParisBazaar-Basset

Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !

Jean-Michel Rivat c’est le parolier de la plupart des tubes des seventies. En gros, tous les tubes de Delpech, les Divorcés, le Chasseur, le Loir et Cher, Quand j’étais Chanteur, ce Lundi-Là… entre autres, tous ceux de Stone et Charden, et certains de Joe Dassin, Siffler sur la Colline, les Dalton, et de Cloclo, le Lundi au Soleil.

C’est d’ailleurs en prenant le contre-pied du titre de cette chanson qu’il avait baptisé notre groupe, produit par lui dans les années 70, Mardi sous la Pluie. Allusion à notre Normandie pluvieuse, à Langolff et à moi. Groupe qui n’a pas fait d’étincelles, normal sous la pluie, mais qui nous a mis en selle pour notre carrière d’auteur et compositeur Franck et moi. 

Mais Rivat c’est aussi et surtout Voyage voyage dont il est l’auteur, le co-compositeur avec Dominique Dubois, et le producteur. Tube mondial. Numéro 1 dans pratiquement tous les pays d’Amérique du Sud, en Orient et en Chine. Numéro 1 aussi en Allemagne, Angleterre et en Espagne où ça s’appelle Vuela vuela. Qui doit vouloir dire Vole vole. Mais je n’ai pas de bons souvenirs scolaires d’espagnol. J’avais par exemple traduit « apero » par « apéro » alors que ça veut dire « outil ». En plus, ironie du sort, je ne picolais que dans les boums à l’époque. Pas avec les « vieux » à l’apéro.

Voyage voyage voyage bien, carton plein en Europe du Nord aussi. Ça a cartonné et ça continue.

Étant très proche de Rivat depuis toujours, je peux dire qu’il m’a appris le métier, j’ai côtoyé ce tube à ses débuts et j’ai été le témoin privilégié de son envol. 

Rivat propose d’abord la chanson à Delpech qui en fait une maquette avant de partir en Italie. Il vient alors de rencontrer sa future femme Geneviève. Et en revenant d’Italie, il dit que finalement il ne veut pas faire la chanson. Mais Rivat a repéré Claudie-Desireless qui chante dans un groupe dont les membres ne sont jamais là quand elle veut répéter avec eux. Elle quitte le groupe et Rivat la signe.

À l’époque, elle sort avec un copain à lui. « Il faudrait trouver un look à Claudie« , il lui dit sur le ton de « il faut sauver le soldat Ryan » et sans vouloir blesser personne. Et un jour, elle adopte sa fameuse coiffure. Sauvés ! Il était temps, petit navire ! Ça se remarque. Et dans ce milieu des années 80, ça pouvait encore interloquer. Desirelesse enregistre chez Sony la chanson que Delpech avait snobée. 

En radio, ils font la fine bouche pour passer le disque mais la chanson fait un tabac dans un club nantais. Ça part de là et ça se propage très vite. Et les radios sont obligées de suivre. Comme quoi, il faut et il suffit toujours d’un foyer d’infection pour contaminer tout l’organisme. Belle infection vue l’ampleur du succès. Geneviève s’entend dire de sa coiffeuse : « Elle est formidable cette chanson. Votre mari devrait la chanter c’est tout à fait pour lui ! »

Je sais d’expérience que Delpech a pratiquement toujours fait les mauvais choix. Sans Rivat qui le drivait, il n’aurait jamais fait le Loir et Cher et le Chasseur, par exemple. Toujours est-il qu’il a raté Voyage voyage et qu’il ne quittait plus Rivat d’une semelle après. Il le suivait jusque dans les chiottes, comme disait Poutine mais pour des raisons moins « entertainement. »

C’est vrai que ça fout une sacrée aura un tube pareil. Quand une telle conjonction de magies se met sur orbite, on se fait succès.

Antoine-Rock'n'Râleur-Voyager avec Rivat-ParisBazaar-Basset

Le juge a dit à Jules : « Vous aurez 20 ans ! » Jules a dit : « Quand on aime, on a toujours 20 ans. » Antoine. Élucubrations.

20 ans… Je suis de la génération où 20 ans représentaient un âge mythique. Et toutes les chansons de l’époque l’affirmaient. Avec la mélancolie des eldorados fugitifs, que ce soit le 20 ans de Léo Ferré, le traditionnel On n’a pas tous les jours 20 ans, ou le Hier encore, j’avais 20 ans d’Aznavour.

20 ans pour moi, ça représentait l’âge charnière de l’absolu de la vie terrestre, de tous les dangers, de tous les éblouissements du romantisme. J’étais persuadé que le jour de mes 20 ans, il allait se passer quelque chose de fou, d’extraordinaire, de féerique. Quelque chose de magique allait forcément m’arriver. Tout l’univers allait me fêter cet anniversaire en décuplant mes sensations, en mettant tous les rêves, tous les voyages, toutes les aventures à ma disposition.

Et le 18 septembre de mes 20 ans est arrivé. J’étais encore chez mes parents, à Quillebeuf-sur-Seine. Je me suis levé et je suis allé respirer l’air, derrière notre petite maison. Il faisait doux et les senteurs d’herbe et de fleurs m’ont fait augurer du meilleur. Mon père était déjà parti travailler et ma mère m’a souhaité mon anniversaire en me servant l’anecdote qu’il avait bu trois Ricard à ma naissance, lui qui buvait peu, heureux qu’il était d’avoir un garçon après ma grande soeur.

Avec un peu d’argent en poche, j’ai pris le car pour pour Pont-Audemer, petite ville à 14 kilomètres sur la route de Honfleur-Deauville. A nous deux Pont-Audemer ! J’ai 20 ans !!! J’ai traîné toute la journée là-bas, dévisageant les gens, surpris de ne pas voir leurs visages quotidiens s’éclairer sur mon passage. J’ai 20 ans, merde !

J’ai marché dans les rues, regardant les vitrines et la Risle couler entre les maisons. Et je m’exaltais tout seul, comme possédé par le démon de mon coeur. Cette phrase de Chateaubriant de ma scolarité hurlait dans ma tête. Alors je suis rentré dans un bar et j’ai commandé un verre de rhum. Comme un condamné à  mort. Sauf que mes 20 ans me condamnaient à la vie. À la grande vie. À l’amour d’une princesse médiévale revenue du fond des âges rien que pour moi. Je tâtais déjà de ĺa guitare et la gloire serait au rendez-vous et c’est par là qu’elle allait surgir. C’était évident.

Et l’après-midi s’est écoulé. De verre de rhum en verre de rhum. En fumant presque tout le paquet de Kent que j’avais acheté le matin. Et il ne se passait toujours rien. Et je n’avais plus d’argent pour prendre le car. Tout nauséeux, je ne savais plus si c’était à cause des rhums ou du désenchantement. Ou des deux. Et j’ai fait du stop pour Quillebeuf. Une camionnette de travaux publics a eu pitié de moi dans le beau soir couchant et je suis arrivé quand mes vieux étaient déjà à table. Mon père m’a dit : « On t’a pas attendu. Bon anniversaire mon gars ! »

J’ai repoussé mon assiette. Je n’avais pas faim. Ma mère a alors ouvert le frigo et a sorti le moka qu’elle avait fait, avec 20 bougies plantées dedans. Comme 20 banderilles dans un taureau malheureux. Mes 20 ans s’arrêtaient là, en silence avec mes vieux. Ça allait être quoi les années normales alors ? Les larmes m’ont giclé des yeux.

Paul Mac Cartney-Piano-Rock'n'Râleur-Voyager avec Rivat-ParisBazaar-Basset

On ne retourne pas à l’école 

Parfois, dans des moments de grande tristesse ou de solitude, on se prend à vouloir revivre des moments heureux à travers un lieu, une personne. Mais ça ne marche pas. Parce qu’il y a eu la vie avec son lot de changements sociaux, de bobos, d’adaptations vaille que vaille. Cette vie qui s’est collée sur nous comme un papier peint qui s’est décoloré au fil du temps.

Et quand un pan de ce papier peint s’est déchiré ou sali, on va chercher le rouleau neuf qu’on avait mis de côté au cas où. Mais ça ne « colle » plus. Les tons ne sont plus les mêmes. Pour rester raccord, il faut continuer avec le papier souillé. Ou tout déchirer. Et décider de tout repeindre à la place. Avec amour.

Quand Lennon vivait encore, un journaliste avait demandé à  Mc Cartney pourquoi ils ne reformeraient pas les Beatles. Et il avait répondu : « On ne retourne pas à  l’école. »

C’est un lieu commun de dire qu’il faut toujours aller de l’avant et ne pas regarder en arrière. Mais c’est compter sans la nostalgie. 

J’ai toujours cette phrase de Céline, piquée  dans le Voyage : « Les pauvres gens qui vont s’assoir au bout des jours pour savoir ce qu’ils sont devenus. » Je vais souvent m’assoir au bout des jours. De plus en plus souvent et je ne sais pas ce que je suis devenu. Pas le meilleur guitariste de ma génération en tout cas. Ni le meilleur écrivain. Devenu meilleur tout court peut-être. Plus sensible aussi. Il m’arrive de me complaire à pleurer en me souvenant des jours anciens, comme dit si bien Verlaine, avec mon pote Langolff. Ces moments de jeunesse folle qui ne reviendront jamais.

Pas plus que je récupérerais mon oeil droit, perdu avec un bouchon de champagne. À cinq millimètres près, il aurait pu me frapper l’arcade mais le destin n’a pas voulu. Il fallait que je le perde cet oeil pour comprendre qu’il aurait été vain que j’aille rechercher un rouleau de papier peint tout neuf pour me donner l’illusion que je pouvais continuer comme avant. Mais on ne continue jamais comme avant. À un moment donné, on attend simplement que rien ne se passe.

Quand j’avais 25 ans, j’avais écrit ces paroles sur une musique de mon frangin Langolff :

« Et j’attends que ma lâcheté soit virée sur la honte/ et j’attends que mon salaire soit viré sur mon compte/ j’attends des coups de fil et du fric par le jeu/ et j’attends des miracles des abus dangereux /j’attends

Qu’il y ait quelqu’un dans une poignée de main/ j ‘attends que les poignées d’heures se transforment en lendemains / et j’empile mes journées comme des casiers de bouteilles vides/ et mes belles illusions n’arrêtent pas de prendre du bide… »

J’annonçais déjà la couleur nostalgie à 25 balais… En tout cas, c’est sûr, je ne retournerai pas à l’école.

Francis Basset

 

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