Acteur, cascadeur et chorégraphe de combats, Alain Figlarz a renouvelé les codes du cinéma d’action et figure aujourd’hui parmi les plus grands du métier.
Pour le suivre au cinéma depuis pas mal d’années maintenant, c’est le genre de bonhomme qu’on préfère croiser sur un grand écran que dans une rue sombre par une nuit sans lune. Le genre à vous faire changer de trottoir et puis de quartier et peut-être même bien de pays. Quand Alain Figlarz passe en mode badass, même la plus brûlée des têtes de dur rentre chez sa mère.
Une gueule qu’on n’oublie pas, comme le cinéma les aime depuis au moins Lino Ventura. Et au demeurant, un mec aussi simple qu’il est drôle et charmant. Avec sa bonne mentale d’un autre temps, à défaut d’être le gendre idéal, le pote qu’on rêverait d’avoir si on ne l’avait pas déjà trouvé.
Depuis sa première fois au cinéma, dans Gunblast Vodka de Jean-Louis Daniel en 2001, au plus récent Le Convoi de Frédéric Schoendoerffer en 2016, sans oublier Truands du même excellent réalisateur en 2007, en se souvenant aussi et non sans émotion du 36 Quai des Orfèvres en 2004, le chef d’oeuvre d’Olivier Marchal, Alain Figlarz a tracé de film en film les contours d’une personnalité absolument unique. Surtout, il a su redonner à la figure incontournable du truand ses belles lettres de noblesse et de sang.
Pour incarner l’inquiétant malfrat, le cinéma français a longtemps pu compter sur quelques grands talents qu’aucun cinéphile n’a pu effacer de ses tablettes. On pense évidemment aux premiers pas de Lino devant la caméra de Jacques Becker en 1954, avec Gabin pour partenaire, dans le légendaire Touchez pas au Grisbi.
On pense également à ces affreux magnifiques que furent Dominique Zardi, André Pousse, Michel Constantin et plus tard Jean-Pierre Kalfon, Richard Bohringer, Bernard-Pierre Donnadieu ou Tcheky Karyo. Ce n’est évidemment pas exhaustif. Aujourd’hui, il y a Alain Figlarz. Et ce n’est pas que subjectif. Le regard, la voix, la carrure, il n’a pas besoin de forcer le trait pour impressionner la pellicule. Et c’est avec un fameux commissaire, déjà un flic, que tout a commencé pour lui.
« Je suis un passionné et avant tout, je suis un fan de cinoche ! Tout petit, je regardais déjà Bruce Lee, j’étais complètement débile sur lui. J’étais très bon dans les Arts-Martiaux. Quand je dis très bon, ça veut dire que je pratiquais plein de choses, j’étais hyper-curieux. Le niveau ne m’intéressait pas. Ce qui m’intéressait, c’étaient toutes les techniques. J’avais toujours Bruce Lee en référence, donc forcément quand j’allais voir un prof, je le trouvais mauvais puisqu’il ne ressemblait pas à Bruce Lee (rires) !!… C’est d’ailleurs comme ça que j’ai compris ce qu’était le cinéma (sourire).
Petit à petit, je me suis mis dans la démonstration. J’ai commencé à me faire un nom. J’ai organisé la Nuit des Arts Martiaux à Bercy, j’ai amené le K-One en France (K-1, tournoi qui voit s’affronter des athlètes issus de plusieurs disciplines de combat pied-poing, très populaire au Japon-ndlr) en organisant le premier combat du genre. Je travaillais à l’époque pour le magazine « Karaté-Bushido » que dirigeait Ghislaine Barissat, et donc j’organisais des démonstrations. C’est là que j’ai appris à régler des combats, faire la régie d’un show, à comprendre ce qu’était un rendez-vous, une parole, un mytho, un pro… et puis, et j’en passe, il y a eu LA rencontre.
LA rencontre, ça a été Yves Rénier, le commissaire Moulin. Il était fan de ce qu’on faisait. Nous, le commissaire Moulin, on se disait : « C’est trop un truc de vieillard. » Et on fait un premier épisode. Moi, j’avais jamais tourné de ma vie, jamais fait une cascade pour le cinéma. Yves me dit : « Tu vas jouer le rôle du méchant et puis tu vas trouver les cascadeurs et tu vas régler les combats. » Il m’annonce la couleur de la paye. Là je luis dis : « Je vais te trouver tout ce que tu veux ! » (rires)
Je me souviens, le titre de l’épisode c’était « Mort d’un Officier de Police », et tu sais qui l’avait écrit ?… Gérard Cuq et Olivier Marchal ! C’est comme ça qu’on s’est connus tous les deux, lui encore poulet et moi tout jeune cascadeur (sourire) !
On s’est déboîtés pour Rénier, on a bossé comme des fous, on était à fond ! Yves était super content. Et je pense qu’on a contribué à rajeunir le personnage de Moulin. Il y avait tout d’un coup plus d’action, plus de bagarres… et on a continué à bosser ensemble avec Yves.
C’est avec lui que j’ai appris mon métier. Mes premiers rôles, c’est lui qui me les a fait faire. Mes premières leçons d’acteur, c’est lui qui me les a données. Et ça n’a pas été tendre, il m’a poussé jusqu’aux larmes (sourire), si si. Du coup, ça a été hyper-efficace.
Un jour, je croyais savoir mon texte, je l’avais appris vite fait, comme à l’école. Au moment de jouer, ça n’allait pas du tout. Il m’a dit : « Tu ne sais pas ton texte ! Je te fais confiance et tu me baises ! » Il a arrêté le tournage. Carrément ! Je peux te dire que je m’en souviens encore (rires). Ça a été la leçon de ma vie. »
©Jean-Marie Marion
Si Yves Rénier le met alors en selle, Alain, pour autant, ne va pas franchement galoper tout de suite. Le réglage des combats est tenu depuis longtemps déjà par des légendes, Claude Carliez, Daniel Vérité et quelques autres, qui trustent tous les génériques du genre.
Chez Delon comme chez Belmondo, ce sont donc toujours les mêmes qui assaisonnent les salades à la mandale. Ça cogne efficace mais pépère, « la bonne patate de Tonton » à l’ancienne. Les techniques auxquelles Figlarz se biberonne et qu’il peaufine depuis des années échappent encore aux radars du métier.
Et de toute façon, on ne va pas se bousculer encore moins se serrer pour lui faire de la place. On lui dit même que ses trucs tordus, ça ne marchera jamais. Rénier, heureusement, ne le laisse pas s’enliser dans le dur et va jusqu’à écrire des scènes de baston et de gunfight pour qu’il puisse manger. Grande classe et rare élégance qu’Alain n’a jamais oubliées. Un film, la Mémoire dans la Peau, va lui offrir de sauver enfin la sienne.
« La production cherchait un chorégraphe pour coordonner les scènes tournées en France et c’est Richard Dieux qui m’ a mis sur le plan (Richard Dieux, l’un des grands pionniers du Kick Boxing en France, champion d’Europe en 1976. Compagnon de route et sparring-partner du grand Dominique Valéra, légende de la boxe pied-poing, et ami de Roman Polanski qui l’a fait tourner dans Pirates et Frantic. Il s’est donné la mort en août 2008-ndlr). Mat Damon arrive avec un conseiller technique. On leur fait une démonstration. Et là, Mat Damon se retourne vers lui et lui dit : « Je crois que tu peux retourner à Los Angeles, il n’y a aucun souci. » Et ça s’est super bien passé.
Le film décroche un award pour les cascades. Le coordinateur de cascades, un Anglais, qui avait supervisé l’ensemble du tournage le reçoit, « merci, merci », tu crois qu’il aurait dit mon blaze ?? Tu parles, il s’en bat les couilles. Et Mat Damon prend la parole : « On a oublié quelqu’un, c’est lui qui m’a formé et fait les chorégraphies, Alain Figlarz !! »
Et là, de partout, c’est arrivé !! La rigolade, c’est qu’au même moment je tournais, à Marseille, Gomez et Tavarès. Les Anglais, les Américains débarquent. Et je parle anglais comme je parle marseillais, alors je cherche des Marseillais qui parlent anglais… n’importe quoi. Les mecs se sont dit : « Il est pas crédible ! » (rires) Heureusement, dans le métier ça s’est su. J’étais reconnu. »
Chaque chorégraphe a son propre langage, celui d’Alain Figlarz s’est donc nourri de son amour du Cinéma et de sa connaissance au moins encyclopédique des Arts Martiaux. C’est ce qui fait sa signature. Une grande diversité des mouvements, des séquences extrêmement riches, créatives et remarquablement écrites. Les combats qu’il règle sont nerveux, rapides et fluides, d’une violence éminemment spectaculaire, âpre et explosive.
Et puis, il y a aussi, dans les enchaînements qu’il imagine, comme une sauvagerie qui sait jaillir soudainement, belle et brutale. Réaliste. Quelque chose qui ne vient ni de la salle de sports, ni du dojo, mais de la rue.
« On ramène ce qu’on est. Moi, j’ai toujours été dans la rue. Quand il me fallait des sous, j’allais faire les marchés. J’étais aux Puces… ben, tiens, en même temps que Roschdy (Roschdy Zem-ndlr). C’est très drôle, lui vendait des pompes et moi des blousons. Et derrière, t’avais Gérard (Gérard Lanvin-Ndlr) qui vendait des jeans, au Malik.
Quand on discutait avec Roschdy, on était là : « Ouais, moi je veux être acteur… Ouais, et moi je veux être cascadeur ! (sourire) » Je me souviens, premier film, c’était « l’Autre Coté de la Mer » de Dominique Cabrera, tu y crois ? On se retrouve tous les deux !! Son premier film d’acteur, mon premier en tant que cascadeur ! Et trente ans après, on vient de se retrouver sur « Madame Claude » de Sylvie Verheyde avec Karol Rocher !! Il est génial, adorable !
Il vendait les dernières tiagues, les dernières rangers et il m’envoyait les clients pour le blouson après, le petit spencer qui va bien, le flight-jacket et en cheval, attention ! (rires) C’était énorme ! Et puis les bagarres ! « Il m’a volé des chaussures !! » Pim, pam, boum ! « Il m’a volé un blouson !! » Bim, bim, bam ! On était de chaque côté, donc les mecs avaient nulle part où aller ! (rires) Y’avait pas un week-end sans baston… Alors, oui, on vient de là… On ne s’invente pas un passé, on s’invente un futur… C’est ce qu’on a fait. »
Son futur, Alain Figlarz l’écrit tous les jours, en cherchant tout le temps. Son besoin de découvrir, de comprendre, d’apprendre, l’a ainsi conduit à partager le quotidien des troupes d’élite et des forces spéciales.
Réalisée par Stéphane Rybojad, qui l’avait déjà fait tourner dans le très efficace Forces Spéciales aux côtés de Benoît Magimel, l’émission l’Insider lui a offert de s’immerger, à chaque fois pendant deux semaines, au sein de la BRI, du RAID, du GIGN, des Commandos Marine, du SWAT américain, des Légionnaires du 2é REP ou encore du 13é Régiment de Dragons Parachutistes.
« Quand tu as l’occasion d’aller voir quelque chose, de te renseigner, si tu le fais pas t’es relou, voilà. Avec « l’Insider », j’y suis allé un peu fort, je suis allé voir les meilleurs ! Ça a été une gifle extraordinaire ! Aussi bien émotionnellement, humainement que professionnellement. Ça m’a énormément changé. Avant, je me la racontais un peu. Mais rencontrer ces hommes, quand tu sais ce qu’ils font, ce qu’ils ont fait, quand tu vois leur humilité… ça m’a redescendu mais grave.
Le ministère de la Défense a d’ailleurs énormément donné pour cette émission. Le pitch, c’est : « Un Mytho chez les Vrais » Moi, je fais du faux, eux font du vrai, c’est un faux qui va rencontrer les vrais, qu’est-ce qu’il en est en vrai ? Ah bah, putain, j’ai vu !!… j’aime mieux faire du faux (sourire) !
Leurs techniques tactiques évoluent à une vitesse dingue et ça m’a appris à me tenir au plus près de ce qu’ils font. Quand on reproduit au cinéma ce que font des hommes comme eux, le minimum c’est être au plus juste de leur réalité.
Depuis « l’Insider » , j’ai changé mon fusil d’épaule dans mes chorégraphies. C’est toujours aussi spectacle mais moins fanfaron, j’essaie d’être davantage dans le vif du sujet, dans le vif tactique. »
Alain Figlarz est cash. Il ne sait pas finasser, pas davantage courtiser. Il aime ou pas. Les fêtes de fin de tournage se font sans lui. Il préfère alors passer du temps avec sa femme, qu’en perdre dans les circonvolutions du clientélisme.
Si dans les jours qui suivirent la sortie en salles de 36 Quai des Orfèvres, les gens qui le croisaient dans la boulangerie le regardaient avec anxiété, des fois qu’il serait venu acheter son pain avec un calibre ou une grenade, on l’envisage aujourd’hui avec nettement plus de sympathie. Qu’il s’agisse des flics, des lascars ou de l’homme de la rue.
Frédéric Schoendoerffer, Olivier Megaton, Luc Besson et Olivier Marchal forment la famille de cinéma qu’il s’est choisie. Eux au moins ne le résument pas un « prof de gym en jogging » . Il a récemment réglé pour Anna, le nouveau film de Besson, une baston d’anthologie. Et il vient de rejoindre Marchal à Marseille pour le tournage de Bronx, film que le réalisateur porte depuis six ans.
Pour autant, il n’oublie pas les années où il mangeait des cailloux. Il dit d’ailleurs ne vivre de son art que depuis 2002. Et il n’arrête pas, Figlarz. Encore moins de rêver.
« Oui, je suis un rêveur. Et il faut que je reste toujours comme ça. Il ne faut surtout pas que j’arrive sur terre. Parce que si je fais ça, si je ne vois plus que la réalité des choses… je suis mort (sourire). »
O.D
Pour prolonger le plaisir, ces trois minutes enrichies aux extraits naturels d’Alain Figlarz… en action !!