Théâtre, cinéma, télévision, il est chez lui partout et son sourire nous accompagne depuis toujours. Georges Beller assume ses printemps mais ne connaît pas l’hiver.
C’est son sourire qu’on voit d’abord. Comme un phare allumé en plein jour. La suite est du même ton chaleureux. Il ne louvoie pas plus qu’il ne regarde ailleurs quand il vous en serre cinq. Il a le contact facile, la sympathie directe et il plante ses yeux bleus, curieux de vous, dans les vôtres. Ça commence comme ça avec Georges Beller.
S’entrouvre alors le grand livre de ses souvenirs, au fil desquels il évoque surtout les autres, comme s’il les jugeaient plus intéressants que sa propre personne. Ceux qu’il a aimés hier, qui sont partis depuis et qui restent présents à chacun de ses pas. Ceux qu’il aime aujourd’hui et qui l’étonnent. C’est le cas notamment de Franck Leboeuf. À l’heure de sa reconversion, l’ancien Bleu champion du Monde en 98 a fait le choix dont il a toujours eu envie. En raccrochant ses crampons, il est enfin passé de la pelouse aux planches du théâtre dont il rêvait petit.
« Oui, c’est une belle histoire, une histoire magnifique qui m’a beaucoup touché. C’est un garçon formidable, vraiment. J’étais sceptique au départ, franchement. Un garçon footballeur, en plus champion du Monde, qui veut faire acteur, je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il vient faire dans ce métier ?? » Donc, j’y suis allé un peu sur la pointe des pieds.
Et puis, j’ai vu qu’il savait faire ça et qu’il était très bon. J’ai appris qu’il avait pris des cours à l’Actors Studio. Il a voulu être acteur et il s’est donné les moyens de le devenir ! Et notre histoire est magnifique parce que, petit garçon, il regardait « Au théâtre ce soir » et un soir, il est tombé sur moi. Et il a voulu devenir acteur. La vie a décidé qu’il serait d’abord footballeur avec le succès qu’on sait, et des années plus tard, il s’est démerdé pour qu’on se rencontre. Ce qu’on a fait.
Aujourd’hui, on rigole ensemble, on s’aime beaucoup. Il a fait écrire une comédie par Nicolas Vitiello avec qui il avait déjà joué « Ma Belle-Mère et Moi » et avec laquelle ils ont cassé la baraque. Nicolas a donc écrit et mis un scène une pièce pour nous, on la joue ensemble, on est six sur scène, ça s’appelle « l’Artn’acoeur » et c’est une merveille ! Je joue une ordure (rires), une sorte d’escroc, vendeur de tableaux, c’est à mourir de rire ! »
Si le footballeur, devenu son copain, a découvert devant la petite lucarne les grands horizons que seul le théâtre sait ouvrir, c’est au Théâtre National Populaire que Georges Beller se souvient d’avoir eu le désir de ce métier. En découvrant Gérard Philippe et Georges Wilson. Ensuite ? Ensuite, il a embarqué à bord du France.
« J’avais dix-huit ans, je voulais aller aux États-Unis, je n’avais pas d’argent. Je me suis dit : « Je vais faire mousse sur le paquebot France. » Je suis donc allé voir les gens de la compagnie, ils ont rigolé : « Mais jeune homme, on n’est plus au 19é siècle ! Bon, sinon, vous faites quoi ? » À l’époque, mes parents ne le savaient pas, je faisais le mur tous les soirs et je passais à l’Échelle de Jacob avec un numéro de pantomime comique. Et le type me répond : « Ah, mais c’est formidable ça ! Vous ne parlez pas, la pantomime tout le monde comprend, c’est international (sourire) ! Allez voir monsieur Bouillon, c’est lui qui s’occupe des artistes sur le bateau. »
Il est venu me voir à l’Échelle de Jacob et j’ai été embauché. J’avais l’aller et le retour en première classe payés, il fallait juste que je tienne entre les allers et les retours (rires). Quand j’ai embarqué au Havre, ma mère m’a acompagné. Pas mon père. Pour lui, c’était une catastrophe, « il ne va pas gagner sa vie, il va finir à la rue ! » Il m’avait donné cent dollars en me disant : « Mon vieux, de toute façon, à New-York, tu tiendras cinq jours et tu rentreras à la maison. » … Rien que pour ça, pour lui prouver que je pouvais y arriver, je suis resté deux ans (sourire) !
Là, j’ai suivi les cours de l’Actors Studio. Et ça a changé ma vie. Mon professeur m’aimait bien. Il parlait un peu français, je parlais un peu yiddish. Il ne me faisait pas payer, il me disait juste : « Si tu arrives une seule fois en retard, tu es viré (sourire) ! » Il s’appelait Lee Strasberg. »
À la fin des années 60, Georges Beller va entamer une longue et belle carrière qui ne connaîtra quasiment aucun temps mort, et devenir l’un des grands visages familiers de la comédie à la française. Au cinéma, on le verra ainsi chez Jean-Paul Rappeneau aux côtés de Marlène Jobert et Jean-Paul Belmondo dans les Mariés de l’An II, chez Christian-Jaque avec Brigitte Bardot et Claudia Cardinale dans les Pétroleuses, avec Pierre Richard dans les Malheurs d’Alfred, avec Mireille Darc, Lino Ventura et Jean Yanne dans Fantasia chez les Ploucs de Gérard Pirès. Yanne le fera jouer aussi dans Chobizenesse, Je te tiens, tu me tiens par la barbichette et fera même de lui un inoubliable Camille Desmoulins, en 1984, dans sa dernière méga-production Liberté, Égalité, Choucroute.
« Je ne pourrais pas vivre sans amitié, sans amis. Des gens comme lui, comme Jean Yanne, Francis Blanche ou Coluche… « Ma Poule ! » , on s’est connus dans nos douze-quatorze ans, on ne s’est jamais quittés, on s’appelait tous les jours ! Et avec Jean, on se voyait quatre fois par jour. Si on ne se voyait pas à midi on se voyait à quatorze heures ! Je passais une heure avec lui, j’avais l’impression de sortir de la Sorbonne. Ce type avait voyagé partout, il avait un talent extraordinaire, il écrivait, il chantait, il jouait, il me faisait mourir de rire !!… Ils sont tous les jours avec moi… J’y pense tout le temps. Ils m’ont apporté beaucoup. »
C’est finalement quand il est devenu toubib que son père a commencé à prendre le métier de Georges un peu plus au sérieux. Ilex Beller, avant de devenir fourreur, eut plein de métiers. Il était aussi un artiste peintre autodidacte, dont les tableaux aujourd’hui encore racontent ce qu’était la vie dans les Shtetls de Pologne avant la barbarie nazie.
Dans ses vingt ans, il rejoignit les Brigades Internationales et partit combattre le franquisme en Espagne. Blessé au combat, il revint à Paris où il exerça le métier de fourreur avant de s’engager comme volontaire dans l’armée française en 1939, lorsqu’éclata la seconde guerre mondiale. Gravement blessé, il reprit son activité et dut fuir la France occupée en 1942. Il rentra de Suisse en 1944 et travailla sans relâche jusqu’à l’âge de la retraite. Autre époque, autre génération, le choix de son fils cadet de devenir comédien n’était pas exactement fait pour le rassurer.
« Il était d’abord très sceptique. Après, il est venu me voir au théâtre. Il me disait beaucoup de bien de mes camarades mais pas un mot sur moi, comme si je n’étais pas là (sourire). Il a mis comme ça un certain temps (rires)… avant de me dire qu’il était content et fier de moi, qu’il me comprenait… Il a commencé à se libérer après le début de « Médecins de Nuit » .
Le feuilleton a été un gros succès qui a duré huit ans ! Il a eu le temps de voir que ça marchait, il a eu le temps de comprendre que c’était ma passion. Et puis c’est ça qui était bien avec cette série, comme mes deux frères étaient médecins, j’ai pu moi aussi être médecin… quelque temps (rires ) ! »
Dans cette série créée par Bernard Kouchner et Hervé Chabalier et dont il a écrit lui-même une trentaine d’épisodes, Georges Beller était le docteur Michel. On se souvient aussi de Léone qu’interprétait Catherine Allégret, d’Alpha que jouait Greg Germain et d’Étienne Chicot dans le rôle de Christophe. Anémone, Hélène Vincent, Richard Anconina, Richard Bohringer, Gérard Lanvin, Jean-Pierre Kalfon, Dominique Zardi et tant d’autres y passèrent une tête.
Le feuilleton au long cours a suscité les vocations de certains et fait le bonheur de tous les autres, chaque vendredi soir avant Bernard Pivot et ses Apostrophes. Et Georges, tout en sillonnant les nuits de Paris une fois par semaine, soignant petits et grands maux, s’est partagé entre théâtre et cinéma. On l’a même vu tenir les commandes de contrôle dans Moonraker de Lewis Gilbert, fameux James Bond, onzième du nom. À la grande surprise d’ailleurs de son frère ainé, le psychanalyste Isi Beller qui, dans une salle de cinéma un soir en Inde, découvrit stupéfait son petit frère aux côtés de Roger Moore !
Au théâtre, que ce soit dans des pièces de Georges Wolinski, Bernard Shaw ou plus récemment de Laurent Baffie, quand ce n’était tout simplement pas les siennes, on l’a plus souvent applaudi parce qu’il faisait rire que pleurer. Peu soucieux, au fond, de plaire à ceux qui considèrent que rigoler au théâtre est suspect sinon malvenu et pour qui le Boulevard demeure infréquentable.
« Ce serait idiot de dire : « J’aime le fromage et pas le dessert, une fois pour toutes ! J’ai choisi le dessert et ce sera le dessert tout le temps et jamais de fromage ! » C’est complètement con ! On peut aimer Shakespeare et « la Cage aux Folles » , on peut aimer « Oscar » et Sagan ! Le public est plus intelligent que ça. D’ailleurs, quand on demande aux gens la liste des films qu’ils ont aimés, on voit rarement « Hiroshima, mon Amour » en premier (sourire), on voit plutôt « Rabbi Jacob » ou « la Grande Vadrouille » !
Je ne pense pas que le théâtre ait jamais provoqué de révolution. Je ne pense pas qu’il soit là pour ça. La littérature peut forger un esprit… mais pas un livre, il faudrait lire tout Voltaire pour vraiment s’en imprégner. Le théâtre, c’est le plaisir de la vie, c’est comme le soleil ou la pluie ! Il faut aimer sortir et se divertir, et le divertissement peut passer par de la poésie, du drame comme par le rire !
Et ça ne change pas la direction du monde ni la destinée de l’humanité mais le rire aussi amène la réflexion. J’ai le souvenir, quand on jouait « Pauvre France ! » avec Jean Lefebvre, que des jeunes gays qui n’osaient pas le dire à leur famille venaient avec leurs parents et disaient : « Voilà, papa, maman, c’est un peu comme ça ma vie ! »
Mais encore une fois, ce n’est pas le but du théâtre, le théâtre est là pour vous faire marrer ou vous faire pleurer, pour vous sortir de votre quotidien et vous amener ailleurs ! Et il faut arrêter avec ces jugements, on en a plein la tronche ! Les étiquettes, on en crève !! Ça a été le cas de de Funès qu’on encense aujourd’hui, de Bourvil, et même de Michel (Coluche-ndlr) qui n’a été consacré acteur que lorsqu’il a fait « Tchao Pantin » !
Dans l’exercice si difficile et exigeant qui consiste à faire rire ses contemporains, Georges Beller est passé maître depuis longtemps. Il n’en tire pour autant aucune certitude, aucune suffisance. Il retient surtout que l’humour, cet art de la distance, l’a guidé et sans doute aussi sauvé quand la vie l’a mordu et cruellement. Il dit aujourd’hui que ses peines et ses échecs l’ont rendu plus fort.
La perspective de partir en tournée avec l’Artn’acoeur le rend au minimum à ses vingt ans. Et à croire qu’un homme, finalement, ça ne change pas tant que ça, comme à vingt ans Georges fait toujours le choix de se risquer à vivre.
« C’est ma façon d’être. Je sais qu’il y a des gens qui ont tellement peur de la vie qu’ils ne la vivent pas et je le regrette pour eux. Elle passe vite la vie et chaque seconde peut être une belle seconde… il faut juste apprendre à la saisir (sourire). »
O.D
L’Artn’acoeur, une pièce de Nicolas Vitiello, avec Georges Beller, Franck Leboeuf, Nicolas Vitiello, Christine Lemler, Véronique Demonge et Michèle Kern, actuellement en tournée.