Auteur et parolier, Francis Basset connaît la musique et au minimum toutes les chansons. Ses souvenirs, ses humeurs. Bonheur pur Collector !
Marc Chantereau, ça percute grave !
Je l’ai connu sur l’album de Langolff, Normal, en 86, où il a fait les percussions et je l’ai retrouvé presque 30 ans plus tard à la SACEM, à la Commission des Programmes pendant 3 ans. Dans cette même session oeuvrait Hervé Cristiani dont j’ai longuement parlé dans Paris Bazaar.
Marco, c’est le must des percussionnistes. Il était de toutes les séances d’enregistrement des plus grands, Français comme étrangers ( entre autres, il a fait tout l’ album de Paul Young en 83 où figure Every Time You Go Away). Je vous parle d’un temps…
La tournerie et le swing aux percus sur Il jouait du Piano Debout et Musique, ces deux France Gall c’est lui. Comme beaucoup d’autres de sa trempe- Tison, Buccolo, Jannick Top– il est ma jeunesse folle et ma nostalgie chouchoutée.
Il a commencé à 15 ans, il était au conservatoire, il accompagnait un danseur… et y’avait des danseuses sur lesquelles il flashait, en play-boy hétéro qu’il était déjà.
Remarqué par un très grand musicien percussionniste, Jean Pierre Drouet, il commence à faire des séances à 16 ans et demi. Il joue avec tout le monde et Marlon Brando lui demande même une cigarette pendant un Gala de l’Union des Artistes. Nota : Brando n’a jamais joué dans Madame Butterfly, où comme son nom l’indique « beurre qui vole ». Avec lui, la plaquette est venue se poser directement sur la table de nuit.
Marco joue derrière Liza Minelli aussi. Elle le présente comme son percussionniste un 24 décembre. De quoi ne rien envier à Jésus, du coup.
Anecdote avec Cabrel sur l’album Les Chemins de Traverse. Avec son compère batteur Pierre-Alain Dahan, ils devaient faire une rythmique sur Je l’Aime à Mourir. Marco : »Fallait pas de batterie sur ce titre. C’était ridicule. Tout le staff gueulait : « Vous faites chier ! Vous ne voulez pas jouer, c’est çà ?? » Ben non. Et c’est sûrement ce qui a contribué au succès de la chanson. Comme quoi parfois faut rien foutre pour réussir un truc. »
Marco a joué sur l’ album de Véronique Sanson, Besoin de Personne. Dans l’avion, Nino Ferrer qui faisait Le Sud lui demande si c’est bien lui qui a joué sur l’album de Sanson. Marco en arrive à lui sortir ses papiers pour confirmer.
Marco : « J’ai fait aussi l’album de Ray Charles quand il est venu à Paris. Mais j’ai pas vraiment d’anecdotes avec lui. Je ne le voyais pas. Et il me le rendait bien ! »
Anecdote avec Sardou : « Je l’appelais toujours Michael Sardou. Ça l’agaçait cette allusion à Michael Jackson. Un jour, il arrive et il me fait : « Wow ! J’suis en train d’apprendre le solfège en ce moment. Alors je chante des notes ?! » » Ben oui » , je lui dis. Il tombait des nues. Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. »
Alain Barrière aussi. « Il avait tendance à nous payer avant qu’on ait fini. Ce qui est assez rare. 15 jours à l’Olympia, le premier jour on était payés pour la totalité. »
Herbert Léonard c’était autre chose. « Il payait les musiciens en nanas…. »
C’est un concept. Sacré Herbert. Il avait déja défrayé ma chronique ici-même.
Marco: « Et j’ai fait de la pub. On est tombés sur un client qui voulait un truc genre Miles Davis. Mais il ne voulait pas de trompette. Il avait horreur de ça. Il voulait du Miles Davis sans trompette. Comme du Rocco Siffredi sans pénétrations et sans gros plans de pipes. »
La belle époque. Comme chantait Souchon : « T’en as rêvé des cornemuses. Terminé. Maintenant fais-moi qu’est-ce qui t’amuse ? »
C’est vrai, qu’est-ce qui m’amuse maintenant ?… euh… et toi Marco ?
Changer l’eau de cette époque
Je voudrais changer l’eau de cette époque comme on change l’eau des fleurs. Celle-ci est croupie et sent le vase des cimetières et la vase des poches d’huîtres crevées. Elles se fânent et se meurent les fleurs de cette époque. Elles ne respirent plus, ne s’épanouissent plus et n’ont plus de parfum. J’en entends déjà qui vont me taxer de passéisme, de « c’était mieuxavantisme » . Oui, sûrement un peu mais si c’était pas mieux avant, ça sera mieux autrement en tout cas.
Sans la tendance mortifère et culpabilisante de la bien-pensance omniprésente, sans la peur au ventre d’un couteau égorgeur ou d’une Kalachnikov, sans l’arrogance, le mépris et l’irrespect des politiques pour ceux qui vivent non pas comme s’ils devaient mourir demain, mais comme s’ils étaient déjà morts hier. Sans l’incivilité et l’agressivité érigées en must, sans l’argent roi, sans l’escalade technologique qui relègue l’humain au manutentionnaire de l’industrie des jours. Sans le foutage de gueule systématique, sans l’indifférence entretenue comme une poufiasse de notable.
Changer l’eau de cette époque pour retrouver le parfum des fleurs, pour voir les yeux des gens quand je leur parle, pour que tous les écrans s’effacent quand l’humain s’annonce, pour qu’une femme puisse se balader dans la rue la jupe au ras de la césarienne sans risquer sa vie, pour que ma petite fille puisse se mettre du rouge à lèvres sans se faire traiter de salope dans les transports.
Pour que je sois libre de déconner au grand jour comme Desproges quand il disait : »Les grecs s’appellent aussi Hellènes, c’est dire à quel point ils sont pédés ! » Ou encore : « Les Flamands et les Wallons sont d’une lourdeur inouïe. Tellement que même les Lillois s’en aperçoivent. » Pour brûler toute cette langue de bois comme du fagot à rôtir les andouillettes et me torcher avec la novlangue qui fait passer un assassin pour un noble passeur de vie à trépas.
Changer l’eau de cette époque pour la boire sans choper une dysenterie, et m’y baigner la bite à l’air.
Changer l’eau de cette époque pour que ses fleurs reprennent et que les jeunes filles se les glissent dans les cheveux, et que les hommes les offrent aux gens qui passent en ayant tout leur temps, ne courant plus dans les couloirs de la mort pour un salaire de survie.
Changer l’eau de cette époque pour y noyer tous les chagrins du monde. Cette eau-ci est boueuse et on ne noie rien dans une eau boueuse. Changer l’eau de cette époque pour qu’on se désaltère enfin dans cette soif de tout dont on nous abreuve.
Le Rétro à Sodos
Quand j’habitais dans le 11 ème y’a presque 20 ans, je voyais tous les jours le même sdf sur la ligne 9, avec le même discours rodé : « Bonjour, je m’appelle Gérard. Je suis clochard mais comme j’en ai un peu marre je vais passer parmi vous pour vous demander un franc ou deux… merci ! »
Et du jour au lendemain, après le passage à l’euro c’est devenu : « Je vais passer parmi vous pour vous demander un euro ou deux ! »
Du jour au lendemain, il demandait plus de six fois la mise. Et dans l’entendement des gens, ça sonnait effectivement comme un franc ou deux. Et après, tout était à l’avenant : tout à un euro dans les bazars et les foires à tout… je suis toujours fasciné par la facilité avec laquelle les politiques abusent les gens, confiants pourtant puisqu’ils continuent de voter et de regarder les débats pour les présidentielles.
Ça me rappelle mon oncle Edmond, frère de ma mère, Polonais donc et ne dérogeant pas à l’image d’Épinal du saoul comme un polonais. Il sympathisait avec des types dans les bistrots et leur payait des coups. Lui, il s’arsouillait copieusement, donnant presque sa chemise dans le bouclard et les autres restaient juste assez en deçà de leur saoulographie pour lui piquer sa malheureuse paye dans sa veste accrochée. Il se retrouvait sans un rond dans la rue, pleurant et jurant en polonais de s’être fait abuser.
C’est cette image de mon tonton qui me vient chaque fois qu’on se fait rouler dans la farine par les beaux discours et les idéologies qui ne font qu’attendre que rien ne se passe. Et ça va continuer comme ça encore et encore, et pendant ce temps-là les jeunesses s’usent, comme dit Syracuse, les bonnes volontés s’essoufflent et les belles illusions prennent du bide. Et les révolutions ne font que mettre en place d’autres tyrans ou d’autres branleurs. C’est pareil. Et nous on reste là, comme le Dormeur du Val, bouche ouverte, tête nue et l’anus baignant dans le frais cresson bleu.
C’est fou la sodomie quand on n’a pas de rétroviseur. Faudrait inventer ce gadget : le Rétro à Sodos. On se l’arrime au cou comme un collier de chien avec un rétro fixé dessus… je crois que je vais déposer l’idée. Dussé-je me brouiller avec les fabricants de vaseline et de gels lubrifiants.
Francis Basset